Nous retrouvons Georges-Arthur Goldschmidt (initiales GAG) au Zimmer, café-restaurant de la place du Châtelet. L’écrivain et traducteur français d’origine allemande nous attend dehors, à feuilleter les minutes de sa montre, qu’il prend aux mots. Et si nous sommes déjà à l’intérieur, nous devons le rattraper alors qu’il semble repartir en direction du métro.
Écrit par Dimitri Laurent
Si Goldschmidt est à l’heure, il fuit
toujours l’autorité. Des madeleines chères à Proust, étant gosse, il
n’en a pas vu la couleur. On a préféré lui administrer des coups de
bâtons. Nous n’en parlerons pas. De son enfance qui a duré jusqu’à sa
lecture de Nietzsche – faisons un raccourci – nous n’évoquerons pas non
plus ses épopées italienne et française, temps durant lequel il a fuit
le nazisme, caché chez des agriculteurs de 1943 à septembre 1944 en
Haute-Savoie, notamment. Point non plus de discussion au sujet de la
vingtaine de livres qu’il a publié. Pas pour cette fois. Allez, si, on
avoue, une seule : à propos de Molière ou la liberté mise à nue
(Circé). « Je me suis extasié de la perfection du langage de Molière.
Mais les français ne comprennent pas Molière, qui se rapproche souvent
de Kafka, dans sa langue ». Passons donc à Kafka. Quand il traduit
l’auteur de La Métamorphose, GAG ne fait pas de plaisanteries « C’est la différence entre mes traductions du Procès et du Château et celles de Vialatte qui, lui, utilise une langue plus enjouée ».
Gagafoutra et la volonté vers la puissance
Georges-Arthur Goldschmidt, Autobiographie, Kafka, Le livre de poche |
Goldschmidt tient à la rigueur,
regardant d’un œil suspicieux les traducteurs qui s’offrent trop
d’aises : « traduire c’est écrire son nom en petit sur la couverture ou
en deuxième, sous l’auteur, pour montrer réellement que l’on n’existe
pas. Je crois beaucoup en l’anonymat ». Quant à ses nombreuses
traductions de Peter Handke, l’auteur autrichien lui a concédé les
préférer aux autres, en cela qu’ « en retraduisant ma traduction, il
retrouve exactement son texte. C’est le but ». On en vient à parler du
silence. Ceci n’est pas un paradoxe. Le bilingue évoque la nuance qu’il
existe en allemand pour qualifier l’absence de bruit. « Il y a deux
mots, le silence des choses (Stille) et le silence des personnes
(Schweigen). C’est finalement très important ». On le provoque ensuite,
en parlant de l’anglais comme du « français mal prononcé ». Il riposte :
« du français ET de l’allemand mal prononcés. La grande vertu de la
langue anglaise est d’avoir réussi à embrasser ces deux idiomes ! »
Passons maintenant Nietzsche. « Alors que je vivais dans un pensionnat, à
Megève, où je ne pouvais lire, je rencontre à Paris un libraire qui me
demande ce que je fais, je lui parle de mes études – je venais d’avoir
le bac – et de l’Allemagne. Il me dit, “tenez, ce livre est pour vous”.
Je lis “Ainsi parlait Zarathoustra”, Nietzsche. C’était encombrant, ces
ouvrages-là, juste après l’occupation ». Le livre, qu’il appelle
affectueusement « Gagafoutra », il l’a ensuite traduit pour »Le Livre
de poche », un plaisir de jeunesse, dit-il : « Gagafoutra est le plus
mauvais livres de Nietzsche. Alors que tous les autres sont superbes,
celui-ci est enfantin, de la poésie médiocre ». D’ailleurs, entre deux
gorgées de café, GAG nous confie avoir « ajouté une phrase de mon
invention, dans la quatrième partie ». Seule fantaisie au compteur.
Pêché mignon sans conséquence : « Personne ne m’a encore envoyé de
lettre ». Faut-il en déduire que les français ne lisent pas vraiment
Nietzsche jusqu’à la fin ou bien que le style Goldschmidt peut se fondre
dans l’œuvre du penseur est-allemand ? Laissons la question en suspens.
L’ombre de Céline
Autre anecdote, sa traduction de
« Gagafoutra » est devenue une rente annuelle : « c’est un carton
monumental. Elle me rapporte entre 700 et 1200€ par an, je crois. Cela
correspond aux 3% des droits de traduction». Au sujet du philosophe
allemand, il continue, précisant pour les lecteurs français que « Le
titre “La volonté de puissance” est très mal traduit ; c’est plutôt :
“La volonté vers la puissance” ». Nuance de taille donc. Nous terminons
la discussion par l’évocation du nom qui fait encore jaser sur les
boulevards parisiens. Louis-Ferdinand Céline. « Si je concède volontiers
que le Voyage (Au bout de la nuit, NDLR) est un chef
d’œuvre absolu, j’ai toujours cette ombre derrière moi ». Celle du
Céline de Bagatelles. Même période, nous enchaînons sur sa lecture de
l’œuvre de Gershom Scholem, lecture qui l’a pris au corps, il y a
quelques années. À propos de l’historien allemand, spécialiste de
kabbale et de mystique juive, il raconte une dernière anecdote : « Après
la guerre, Scholem racontait des blagues à la radio berlinoise. Un juif
faisait se fendre la poire aux allemands ». Pied de nez. Gag. Ne pas
traduire.
La joie du passeur, Georges-Arthur Goldschmidt, CNRS Editions
192 pages – 20€
Disponible depuis le 3 octobre 2013
[Source : www.lerideau.fr]
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