domingo, 24 de novembro de 2013

Panne de désir plurilingue

L’ambition plurilingue proclamée par les cantons en 2004 fait naufrage. La fronde vient de Suisse alémanique mais les Romands, s’ils font leur autocritique, reconnaîtront qu’ils ne sont de loin pas à la hauteur des engagements pris

Par François Modoux
Sale temps pour le plurilinguisme. L’ambition que tous les élèves en Suisse apprennent dès l’école primaire une deuxième langue nationale et l’anglais fait naufrage. Cet objectif remonte à presque dix ans. Le compromis scellé en mars 2004 par les cantons laissait les Alémaniques décider librement de démarrer avec l’anglais ou le français. En revanche, tous les cantons se ralliaient à la nécessité d’anticiper l’enseignement des langues étrangères et de le renforcer. Partout on débuterait au plus tard dès la 3e année avec la première langue, et dès la 5e avec la deuxième. C’est cette exigence qui menace de voler en éclats, avec le risque collatéral de nouvelles tensions linguistiques entre Alémaniques et Romands.

La fronde vient de Suisse alémanique. La Fédération des enseignants alémaniques (LCH) a réaffirmé cette semaine le message qu’elle martèle depuis des mois: les élèves les moins scolaires sont surchargés et largués par l’effort accru demandé; à l’école primaire, l’enseignement obligatoire d’une seule langue étrangère suffit. Dans plusieurs cantons alémaniques, en Suisse orientale et centrale, mais aussi à Zurich (le plus peuplé), aux Grisons (spot touristique) ou en Argovie, des initiatives populaires ou des démarches parlementaires poursuivent le même but. La tendance lourde est transparente: mettre le paquet sur l’anglais (enseignement précoce dès la 3e confirmé) et renoncer au français en primaire – la langue de Molière restant au programme pour tous à l’école secondaire (7e, 8e et 9e).

Dans les représentations sociales dominantes en Suisse alémanique, le français ne sert plus à rien. L’apprendre est devenu un effort inutile au détriment d’autres branches perçues comme prioritaires – les maths, le sport, la musique, les arts. Cette panne de désir dépasse très largement les rangs de la droite nationaliste connue pour sa détestation du français et son ralliement idéologique à l’anglo-américain vu comme l’antithèse extérieure à l’Europe continentale honnie. Seuls les cantons voisins de la Suisse romande résistent encore à la vague du tout-à-l’anglais.

L’autre argument contre le français au primaire est financier. La stratégie plurilingue de 2004 réclamait des cantons qu’ils investissent dans l’enseignement des langues et qu’ils innovent. La résistance des enseignants reflète leur déception – trop souvent les moyens promis ne sont pas engagés – et leur méfiance légitime – ces moyens seront encore moins disponibles à l’avenir.

Car depuis deux ans, les cantons évoluent dans une spirale d’austérité. L’exercice 2014 sera le troisième consécutif sous le sceau des vaches maigres. Un canton sur deux a ficelé un plan d’économies. Les cantons alémaniques freinent tant qu’ils peuvent. Les dépenses de formation et de santé sont les premières visées. L’incertitude sur les futures rentrées fiscales des entreprises – adaptation aux exigences européennes – renforce l’attentisme prudent.

Les Romands sont mal à l’aise pour critiquer les attaques alémaniques contre l’ambition plurilingue de 2004. S’ils font leur autocritique, ils reconnaissent que l’enseignement précoce des langues étrangères dans leurs écoles souffre des mêmes faiblesses que celles dénoncées par les enseignants alémaniques. Une journée nationale de discussion à Lausanne vendredi a levé un coin du voile sur ce tabou. Elèves débordés et largués; instituteurs formés à la hâte qui bricolent un enseignement précoce des rudiments d’allemand sans réelle compétence dans la langue; recrutement de germanophones ou d’anglophones (native speakers) écarté au primaire par des systèmes scolaires rigides; une rigidité qui bride aussi l’innovation: l’enseignement des langues étrangères reste prisonnier d’un saupoudrage inefficace dans une grille horaire surchargée.

Minoritaires en Suisse, les Romands sont en position délicate. Ils pressentent que ce qui se décide à Zurich, Berne, Berlin et Bruxelles pèse davantage sur leur quotidien et leur destin que ce qui se passe à Paris. Mais de là à en tirer les conclusions… Leur intérêt objectif reste de progresser et en allemand et en anglais. Plutôt que reprocher aux Alémaniques de mépriser le français, ils gagneraient à avoir la fierté d’être meilleurs qu’eux – à la fois plus ambitieux et plus conséquents. On en est, hélas, très loin. 

[Source : www.letemps.ch]

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