Les éditions Grasset vont publier d'ici deux semaines un ouvrage déroutant, de l'artiste chinois Xu Bing, Une histoire sans mots, connu dans sa version américaine sous le titre Book from the Ground: From Point-to-Point.
Le livre est entièrement composé de symboles, d'émoticones, de
pictogrammes, décrivant la vie d'un employé. Bienvenue dans la journée
de M. Noir.
Qu'on ne s'y trompe pas : Une histoire sans mots est un
roman. Contemporain, certes, et comme disait Victor Hugo, « en écho du
siècle ». C'est une sorte de tragédie classique, sur 24 heures dans la
journée d'un homme, jeune travailleur en col blanc dans une grande
métropole. Avec une approche résolument tournée vers une universalité du
langage : le dessin comme véhicule de la parole, et surtout, le recours
aux smileys, ces visages jaunes composés depuis un clavier en
manipulant des signes de ponctuation.
Ainsi, ‘:' + ‘-' + ‘)' = :-), autrement dit, un visage qui sourit. Il
faut un peu de temps pour saisir la subtilité, mais en variant les
plaisirs, on parvient à comprendre cette forme de métalangage, pour
arriver à en mùanier les variantes.
Mais le roman de Xu ne s'écrit pas simplement avec ces smileys : on y
retrouve un personnage, symbole représentant un homme, et une multitude
de logos, représentant l'activité quotidienne : une enveloppe pour
l'email, des chopes pour la consommation d'alcool, des logos de
restaurants rapides, d'autres représentants des chaînes de télévision,
de site de vente en ligne, de services informatiques, et on en passe et
on en oublie...
Si l'histoire ne contient pas de mots, elle se tisse au travers de
références modernes, où les pictogrammes ont pris le pas sur le vocable.
Et de l'avis de l'artiste lui-même : « Un analphabète peut apprécier le plaisir de cette lecture autant qu'un intellectuel le fera. » (voir China File)
Des différents témoignages que l'artiste a donnés, l'idée de ce livre
est venue de ses longues heures d'attente dans des aéroports, et durant
les vols, où les pictogrammes deviennent le langage le plus universel
possible. Puis, en 2003, il découvre sur l'emballage d'un paquet de
chewing-gum un message rédigé en pictogrammes : en substance, on
explique au consommateur qu'après usage de sa gomme à mâcher, il est
prié de la mettre dans un morceau de papier et la jeter à la poubelle.
L'aventure pouvait commencer, et la quête de son langage universel
était facilitée par l'omniprésence des pictogrammes : les signalétiques
sont communes aux pays, sont reconnaissables aisément. Reste alors que
le cerveau, lui, a besoin de traduire ces dessins, et se dessine une
histoire écrite différemment pour chacun.
Théorisons un peu : Kant dit que le beau, c'est l'universel sans
concept. Le roman de Xu Bing est alors un dérivé de cette formule, ou
peu s'en faut. Lui, il touche l'universel, avec des
concepts-pictogrammes. Et si son récit se résume finalement à une
histoire d'amour après une rencontre sur internet, entrecoupée de
moments d'angoisses quant à la capacité de séduction, ou de séquences au
bureau, avec de longs moments d'ennui.
En somme, ce roman sans mot est d'une banalité affligeante dans son
contenu, mais son contenant dérange, perturbe et finalement, invite
chacun à une lecture différente : les mots s'imposent au lecteur, et
finalement, on en vient à rire de cette aventure un brin pathétique. Y'a
du Flaubert, dans cette affaire.
[Écrit par Nicolas Gary - source : www.actualitte.com]
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