Robert. H est un entrepreneur français installé à Rio de Janeiro depuis deux ans et demi où il a ouvert un restaurant. Comment a-t-il vécu cette expérience ? Quelles leçons en tire-t-il ? Avec notre partenaire Recursimo, spécialiste de l'interculturel.
Écrit par Amandine Pellizzari
Amandine Pellizzari : Comment est née l'idée de créer votre restaurant au Brésil ?
Robert H. : En passant quelques mois ici. Au départ, j’avais l’idée de monter un commerce de glaces, puis mon concept à évolué pour m’adapter au pays et aux conditions économiques. J’ai recherché un local pendant six mois mais l’activité était très saisonnière et les loyers sur Rio si élevés qu’au bout de deux mois je n’y croyais plus. J’ai donc choisi d’ouvrir un restaurant.
A.P : Comment s'est déroulée, sur le plan professionnel, votre rencontre avec des Brésiliens de Rio ?
R.H. : La mise en contact est très compliquée. Les fournisseurs que l'on démarche spontanément ne croient pas vraiment en vous ou ne vous portent pas beaucoup d'intérêt si vous entrez en contact avec un sujet de business sans qu’une personne de leur réseau ne vous ai mis en contact. C'est une étape indispensable avant de faire des affaires. Je n'ai pas de lien personnel avec eux aujourd'hui, mais cette approche était indispensable au départ pour bien commencer.
Si je prends l'exemple de mes employés, c'est pareil. Si vous souhaitez qu'ils se « défoncent », il faut veiller à bien soigner votre relation avec eux car ils vont tout d'abord travailler pour vous plus que pour la mission en elle-même. C'est assez étonnant pour nous, Français. Dans notre système de valeurs, on pourrait prendre cela comme de la manipulation, mais je pense que c'est un réel besoin pour les Brésiliens.
A.P : Quelles sont les principales difficultés rencontrées au travail avec les Cariocas ?
R.H. : Il y a une absence totale de l'idée de productivité. Ils sont décourageants car loin de nos standards dits professionnels. Il ne faut pas oublier qu'un Brésilien est, en moyenne, 4 ou 5 fois moins productif qu'un Français ou qu’un Allemand. On pense que le manque de productivité vient du bas de l'échelle mais c'est faux ! Il est aussi présent chez votre avocat ou votre comptable. C'est quelque chose d'inimaginable tant qu’on ne l'a pas vécu.
Et puis la bureaucratie est très difficile, et pas seulement réservée à l'administration. Pour un entrepreneur, c'est beaucoup de temps perdu par des processus longs qui, au final, nuisent au client.
L’autre différence est l’imprévisibilité des Brésiliens. Par exemple, si on prend un Allemand, on peut le dire qu'il est rationnel, efficace, ponctuel, organisé. Un Italien est en apparence bordélique, créatif et malin. Le Français est réputé pour être un râleur.
Mais pour moi le Brésil ça reste tout et son contraire. Je parlais toute à l'heure du lien qui est une étape préalable avant de rentrer dans la relation professionnelle, et à côté de ça il y a un processus qui rebute, décourage et qui ne donne pas confiance, comme cette bureaucratie ahurissante, qui n'est pas simple.
A.P : Selon vous, comment pourrait on expliquer ce manque de productivité ?
R.H. : Pour reprendre l’analyse d’un ami, que je partage, sur le rapport des Brésiliens au travail, je l’expliquerai par l’histoire. Tout d’abord, les Indiens, qui ont préféré mourir plutôt que de travailler lorsque les colons sont arrivés, parce qu'ils privilégiaient d’autres valeurs. Il y a eu ensuite les esclaves, pour qui le travail n’a pas été marqué par le bonheur, et enfin les colons, qui venaient pour ne pas faire grand-chose et profiter de la main d’œuvre locale. Si on reprend l’histoire et que l'on y ajoute le manque d’investissement dans l’éducation, on arrive à comprendre le Brésil d’aujourd’hui dans sa relation au travail.
A.P : Quelle est la logique qui conditionne la relation de travail ?
R.H. : Ce qui est important pour eux c'est la relation, c'est passer un bon moment au travail et le partager ensemble. Je me rappelle le cas de serveuses à qui je demandais comment s'était passée la journée. Elles répondaient : « c'était génial ! » Génial ? J’imaginais donc qu'on avait fait un nombre de couverts impressionnant. Je leur disais « Ah oui, on a fait un bon chiffre? ». « Un bon chiffre ? Ah non pas du tout... On a fait deux fois moins qu'hier ! » (rires). Mais elles avaient passé une très belle journée et fait de belles rencontres.
A.P : Quelles sont les différences quand on travaille avec des Brésiliens ?
R.H. : Au-delà de la productivité, quand on travaille avec des Brésiliens il faut beaucoup les encourager, les féliciter, les remercier. Mais en même temps, les Brésiliens sont des bosseurs. Ils n’hésitent pas à faire beaucoup d’heures, ils sont courageux, plein de bonne volonté, ont envie d’apprendre et sont toujours de bonne humeur. Ce sont les cotés sympas du travail avec eux.
A.P : Comment avez-vous fait face avec vos fournisseurs ? Vos collaborateurs ? Vos interlocuteurs ?
R.H. : Il faut avoir une volonté de fer pour continuer et ne rien lâcher. Pour la productivité, on revoit son management au quotidien. On adapte l’organisation pour mettre son équipe dans des conditions de productivité optimale. Je ne peux pas et ne veux surtout pas les changer, je travaille avec l'équipe que j’ai en m’adaptant au mieux. Puis j’investis dans des équipements pour combler ce manque de productivité.
A.P : Quels sont les principaux conseils à donner à un entrepreneur qui s’installe à Rio ?
R.H. : D’abord, d’entreprendre une activité professionnelle, la plus simple possible. Ensuite, j’irais presque conseiller de ne pas venir au Brésil ! (rires). Je ne regrette rien aujourd’hui car avec ma famille nous avons appris à nous dépasser, nous avons une vie que nous aimons à Rio. Mais très franchement, il y a d’autres pays d’ Amérique latine où il est plus simple de monter une affaire. Le Mexique par exemple, où la bureaucratie est plus légère et les infrastructures meilleures.
A.P : Est-que le Brésil est une sorte de grande école de l’apprentissage de l’impuissance ?
R.H. : Oui, je pense. Le Brésil, c’est un peu comme la samba. Il y a des périodes où tout se fait rapidement, où ça bouge puis ensuite de grands temps morts, où ils ne se passe rien, où on attend. Il faut accepter ça.
[Source : bresil.aujourdhuilemonde.com]
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