Dans la baie de Guanabara, au sud-est du Brésil, la
population de dauphins de Guyane est fortement contaminée par les PCBs.
Les concentrations de ce polluant, relevées sur les échantillons de
tissus de ces cétacés, sont parmi les plus élevées au monde. C'est ce
que révèle une étude menée par des chercheurs brésiliens et liégeois qui
s'inquiètent pour la santé des 12 millions d'habitants de la baie de
Guanabara.
Ses plages, son soleil, sa musique, son carnaval, ses forêts
tropicales...Les atouts du Brésil font tourner la tête des amateurs de
voyage. Destination à la nature encore largement préservée dans l'esprit
des Européens, ce pays émergent connaît cependant un important
développement industriel. Et qui dit industrialisation dit
malheureusement aussi pollution. La région du sud-est du Brésil est
particulièrement touchée. C'est là que se trouve notamment la ville de
Rio de Janeiro, sur les rives de l'immense baie de Guanabara.
S'enfonçant dans les terres brésiliennes jusqu'à 30 kilomètres de la
côte et ayant une largeur tout aussi impressionnante, la baie compte 150
km de plages et est fermée par un goulet d'à peine un kilomètre de
large. À l'intérieur, pas moins de 130 îles participent à en faire un
véritable décor de rêve.
Mais, au delà des apparences, la baie de Guanabara est loin d'être
idyllique pour tout le monde, notamment au vu de sa forte pollution. La
petite population de dauphins de Guyane (Sotalia guianensis) qui y
réside en fait les frais. C'est ce que démontrent Krishna Das (Laboratoire d'Océanologie de l'Université de Liège), Gauthier Eppe (CART – Centre de recherche analytique et technologique de l'Université de Liège) et Paulo Dorneles (Université fédérale de Rio de Janeiro et Professeur invité à l'ULg dès janvier 2014) dans un article prochainement publié dans la revue Science of The Total Environment.
"L'ensemble des polluants d'origine terrestre résultant de l'industrialisation de la région se retrouve dans le milieu marin", explique Krishna Das, chercheur qualifié F.R.S.-FNRS au laboratoire d'Océanologie – Centre MARE de l'Université de Liège. "Les cétacés occupent la position la plus élevée au niveau de la chaîne alimentaire et accumulent donc ces polluants",
poursuit la scientifique. En effet, plus on monte dans la chaîne
alimentaire, plus les substances toxiques sont consommées et
emmagasinées. C'est ce qu'on appelle la biomagnification. À titre
d'exemple, si un organisme composant le plancton ingère une unité de
substance toxique, un petit poisson qui mange 10 de ces organismes
absorbe donc 10 unités de substance toxique. Et lorsqu'un plus gros
poisson se nourrit lui-même de dix de ces petits poissons, il accumule
100 unités de substances toxiques et ainsi de suite. Situés au sommet
des réseaux trophiques marins, les cétacés sont particulièrement
concernés par cette problématique.
Dans le cadre d'une collaboration entre l'ULg et différentes équipes
de recherche brésiliennes, les scientifiques ont tenté de savoir ce
qu'il en était pour les dauphins de la baie de Guanabara et de ses
environs. Ils ont analysé les concentrations de trois polluants chez
trois espèces de cétacés. "Nous avons cherché la présence de PCBs
(polychlorobiphényls), de PCDDs (polychlorodibenzo-p-dioxines) et de
PCDFs (polychlorodibenzo-furanes), chez le dauphin de Guyane, chez le
sténo et chez le pseudorque », indique Krishna Das. La première espèce
est une espèce fortement côtière, tandis que les deux autres vivent un
peu plus au large. "Les dauphins de Guyane vivent à l'intérieur de
la baie et n'en sortent jamais. Quant aux sténos et aux pseudorques, ils
vivent en dehors de la baie mais y entrent régulièrement pour se
nourrir", poursuit Krishna Das.
Les trois types de polluants sont chimiquement très proches et ont été choisis pour leur origine industrielle. "Bien
qu'il soit interdit d'utiliser des PCBs pour la fabrication depuis les
années 80 au Brésil, de nombreux éléments en contenant, comme les
transformateurs électriques, sont encore en circulation aujourd'hui", précise Krishna Das. "L'hypothèse
de mes collègues brésiliens est qu'il existe un marché noir de PCBs
afin de pouvoir réparer ces éléments lorsqu'ils sont défectueux".
Massivement utilisés entre les années 1930 et 1970, les PCBs sont de
très bons isolants électriques et présentent d'excellentes propriétés
diélectriques et de conduction thermique. Mais leurs multiples effets
néfastes sur la santé ont amené les autorités de nombreux pays à en
interdire l'usage et à en contrôler les concentrations dans les aliments
destinés à l'homme et aux animaux. "De manière générale, ces
polluants affectent le système immunitaire, le système endocrinien, le
système nerveux et pour couronner le tout ils sont également
cancérigènes", explique Krishna Das. "Chez les mammifères
marins, les effets suspectés sont principalement l'immunosuppression,
qui a comme conséquence que les animaux développent plus facilement des
maladies, et des perturbations du système endocrinien". Les
scientifiques pensent par exemple que le faible taux de reproduction des
dauphins de Guyane de la baie de Guanabara est très probablement lié à
la présence de grandes concentrations de polluants dans leurs tissus.
Ces effets sont également constatés chez les hommes et, de plus en
plus d'études démontrent l'impact des PCBs sur, par exemple, les
dérèglements métaboliques et fonctionnels associés à l'obésité.
Les échantillons de lard et de foie sur lesquels ont travaillé
Krishna Das, Gauthier Eppe et Paulo Dorneles ont été prélevés, selon des
protocoles internationaux, sur des animaux échoués ou capturés
accidentellement dans des filets de pêche. "Pour les analyses, nous avons extrait les lipides de ces échantillons car les polluants que nous recherchons sont lipophiles", indique Krishna Das. "Pour
ce faire, on broie les tissus et on récupère la phase lipidique grâce à
des solvants organiques. Après purification de cette fraction
lipidique, on utilise les techniques de chromatographie et de
spectrométrie de masse pour séparer les molécules ciblées et pour les
doser". Ces analyses ont été effectuées en grande partie à l'ULg mais également en Espagne. "Je
me souviens que lorsque Paulo est arrivé avec les échantillons au
Centre de recherche analytique et technologique, ces derniers étaient
tellement contaminés que Gauthier Eppe et ses collègues avaient peur que
ces échantillons de dauphins contaminent tout leur système d'analyse", poursuit la chercheuse. Et pour cause : les résultats ont montré que les
échantillons provenant des dauphins de Guyane résidant dans la baie de
Guanabara contiennent des concentrations en PCBs parmi les plus élevées
au monde ! "Cette baie est reliée à l'océan atlantique mais
le renouvellement de l'eau y est très lent en raison du goulet qui est
très étroit", reprend Krishna Das. "L'eau stagne donc et les polluants ne sont pas ou très peu évacués vers le large". Dans
les années 90, la population de dauphins de Guyane de la baie de
Guanabara comptait plus de cent individus. Aujourd'hui, ces cétacés sont
au nombre de 40.
Si ces constats concernant ces mammifères marins sont tristes et
inquiétants, qu'en est-il de la santé des 12 millions d'hommes, femmes
et enfants qui vivent sur les rives de cette baie et en consomment tous
les jours les poissons ?
"Les dauphins de Guyane sont les sentinelles de la pollution de
la baie de Guanabara. Ce type d'étude pourra attirer l'attention des
gens, et donc l'attention des décideurs politiques, et peut-être faire
bouger les choses en matière de protection de l'environnement",
explique Krishna Das. Dans un futur proche, les chercheurs projettent de
poursuivre leurs investigations en analysant la contamination des
poissons de la baie ainsi que l'exportation des polluants via les
mouvements des poissons en dehors de celle-ci. "Nous aimerions
quantifier ce flux de polluants. Nous voudrions aussi mieux comprendre
le réseau trophique de la baie, notamment via l'utilisation des isotopes
stables du carbone et de l'azote. Ce sujet fait d'ailleurs l'objet
d'une étude parallèle dont les premiers résultats viennent d'être
publiés dans la revue Ecological Indicators", continue la
scientifique. Les chercheurs envisagent également de se pencher, en
collaboration avec le corps médical, sur la problématique humaine liée à
la forte pollution de la baie de Guanabara. "Il faut qu'il y ait une prise de conscience", insiste Krishna Das.
Enfin, de cette collaboration belgo-brésilienne pourrait bien naître
une nouvelle méthode permettant de déterminer le degré de contamination
des mammifères marins. "Le Brésil est un pays tropical et les
carcasses d'animaux échoués y pourrissent très vite. Il est donc parfois
difficile d'obtenir des échantillons de bonne qualité, notamment pour
des études histopathologiques, ou pour la recherche de biomarqueurs", précise Krishna Das. "Mais
les os se conservent bien et les polluants ont tendance à faire
diminuer la densité osseuse. L'idée de Paulo Dorneles et de ses
collègues est donc de développer une méthode de quantification de la
densité osseuse et de mettre cette densité en relation avec les
polluants déjà analysés", révèle la chercheuse.
Auteur : Université de Liège
[Photo : © Krishna Das / Université de Liège - source : www.notre-planete.info]
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