sábado, 24 de agosto de 2013

VU DU BRÉSIL : Cypel, l'enfant prodigue devenu député français

"Un Français de relativement fraîche date." Le quotidien brésilien O Estado de São Paulo réagit vivement aux propos dénigrants de Bruno Gollnisch, et se fend d'un portrait d'Eduardo Rihan Cypel, jeune parlementaire originaire de Porto Alegre.

Eduardo Rihan Cypel lors du congrès du Parti socialiste à Toulouse, en 2012
Par Andrei Netto

A la veille de l'entrée des nazis dans Varsovie, alors que la Seconde Guerre mondiale provoque un exode de masse, une famille de Juifs polonais fuit son pays, et l'Holocauste à venir, pour Porto Alegre. Abram Cypel, le grand-père, arrive en 1939 dans la capitale des gauchistes brésiliens et y installe sa famille. Quarante-sept ans plus tard, son fils et ses petits-enfants refont le chemin inverse et arrivent à Paris. Parmi eux, Eduardo Rihan Cypel, aujourd'hui élu à l'Assemblée nationale et nouvelle bête noire de l'extrême droite fasciste française.

A 37 ans, Cypel a fait les gros titres de la presse française après avoir été pris pour cible le 1er août dernier. L'auteur de cette invective, Bruno Gollnisch, est député européen et membre du comité central du Front national (FN), le principal parti extrémiste en France. L'homme est connu pour s'en prendre régulièrement aux musulmans et relativiser l'Holocauste, comme il l'avait fait en octobre 2004.

Obsédé par les immigrés, Gollnisch a qualifié le jeune député de "Français de relativement fraîche date", qui lui fait penser "à ces gens que vous invitez chez vous et qui, une fois qu'ils y ont pris pied, veulent faire venir un petit peu tout le monde".

Ces déclarations qui n'avaient rien d'improvisé (Gollnisch avait ses notes sous les yeux) visaient les origines brésiliennes d'Eduardo Rihan Cypel. Pour un extrémiste de droite, Cypel n'est pas un Français "de souche", ce qu'on reproche à ceux qui ne "méritent" pas de vivre en France.

Les défis de l'intégration

Eduardo Rihan Cypel arrive en France en septembre 1986, à l'âge de 10 ans, et s'installe avec sa famille à Créteil, dans la banlieue sud de Paris. Comme Raquel et Fernando, ses deux cadets, il suit sa mère et son père, un psychiatre qui s'apprête à faire un postdoctorat en France. L'inconfort de son statut d'étranger lui apparaît dès ses premiers jours d'école, quand il apprend qu'il lui faut reculer d'une classe, voire de deux, parce qu'il ne parle pas français. Son père refuse : il ira dans une classe d'initiation pour non-francophones.

Là, Eduardo se rend immédiatement compte qu'il n'est pas le seul confronté aux défis de l'adaptation. "Dans ma classe, il y avait des enfants qui venaient du Brésil, d'Egypte, d'Ethiopie, du Vietnam, du Sénégal, du Maroc, du Pakistan, d'Arménie..." C'est dans cette classe composée d'étrangers que naît en Eduardo l'admiration pour son pays d'accueil. "Nous venions d'un pays métissé, multiculturel, mais c'est en France que j'ai découvert la diversité du monde et des individus. J'ai toujours vu cela comme une très grande chance", explique-t-il dans un portugais impeccable.

Son intégration est aussi facilitée par le skate et le football, qu'il pratique avec le maillot rouge [du Sport Club Internacional de Porto Alegre] – et tout le monde se l'arrache : c'est la classe d'avoir un Brésilien dans son équipe. Eduardo ne tarde pas à se faire ses amis. Et bientôt, la famille, qui se donnait cinq ans avant de rentrer au Brésil, repousse le départ. En 1996, à 22 ans, Eduardo obtient la nationalité française : il est alors étudiant en philosophie à l'université Paris XII, où il décroche un master en 1999. "Je me destinais à l'enseignement."

Le traumatisme du 21 avril 2002

Il prend ensuite le chemin des grandes écoles, orientation typique des jeunes Français des classes moyennes et supérieures. En 2000, il intègre l'Institut d'études politiques de Paris, alias Sciences Po, où il approfondit ses connaissances en histoire, économie, droit public, philosophie et sciences politiques. Il sort diplômé de cette école réputée pour avoir formé plusieurs présidents de la République, dont François Mitterrand, Jacques Chirac et François Hollande.

Son virage vers la politique aura lieu le 21 avril 2002. Ce jour-là, dont la France se souvient comme d'une tragédie nationale, le président sortant Jacques Chirac, gaulliste (de centre droit), réunit suffisamment de suffrages pour accéder au second tour, où il aurait dû, logiquement, affronter Lionel Jospin, Premier ministre en qui le Parti socialiste a placé ses espoirs de revenir à l'Elysée. Mais ce dernier est éliminé, au profit d'un fasciste, le candidat du FN Jean-Marie Le Pen. "C'est l'élimination de Jospin et la présence de Le Pen [au second tour] qui ont déterminé mon engagement", raconte Eduardo Rihan Cypel.

Nouvelle vague

A l'époque, le PS n'est plus que l'ombre de lui-même : un parti vaincu, sans meneur, en proie à la division. Pour participer à sa reconstruction, toute une jeune génération adhère. Cypel, lui, hésite encore quand, en décembre 2003, il croise à Sciences Po celui qui est alors premier secrétaire du PS, un certain François Hollande : "Je me suis présenté et je lui ai dit ma volonté d'aider le PS. Il m'a répondu : 'Ecrivez-moi'."

Eduardo Rihan Cypel finit donc par rejoindre les rangs socialistes, et il commence son ascension sous la tutelle de Vincent Peillon, l'actuel ministre de l'Education nationale. En 2008, il est élu conseiller municipal de Torcy, en Seine-et-Marne. Deux ans plus tard, il devient conseiller régional d'Ile-de-France.

En 2011, à la veille des primaires du PS, Eduardo Rihan Cypel soutient la candidature de Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du FMI. "DSK me semblait le seul capable de remporter l'élection de 2012. Et sa candidature avait le vent en poupe, avec 60 % des intentions de vote, se justifie-t-il. Puis DSK a explosé en vol, et j'ai soutenu Hollande lors des primaires ouvertes."

Jeune vedette de l'Assemblée

Cette première étape franchie, le candidat socialiste l'intègre à son équipe de campagne. Eduardo Rihan Cypel est chargé de l'immigration, sujet sensible face un adversaire comme Nicolas Sarkozy, qui en a fait son cheval de bataille. Renforcé par cette reconnaissance interne, le jeune élu décide de faire son premier grand saut politique : se présenter à l'Assemblée nationale. Dans la huitième circonscription de Seine-et-Marne, il affronte Chantal Brunel. La députée sortante de l'UMP s'est rendue célèbre en proposant de "remettre dans les bateaux" les immigrés d'Afrique du Nord qui traversent la Méditerranée.

Une nette victoire, avec 52,7 % des voix, propulse Eduardo Rihan Cypel à l'Assemblée nationale, dont il devient l'une des jeunes vedettes. En mars dernier, alors que Hollande faisait face à une vague de manifestations contre le projet de loi sur le mariage homosexuel, il est appelé par Harlem Désir, le premier secrétaire du parti, pour devenir porte-parole du PS. "Cypel a toujours eu du flair politique, et une grande facilité de contact, de dialogue et beaucoup de pédagogie, explique Harlem Désir. Il aime le débat, il y est à l'aise, il est incisif et n'a pas peur d'adversaires plus durs. La droite et l'extrême droite le redoutent d'ailleurs en raison de sa force, de son agressivité."

Eduardo Rihan Cypel n'a pas tardé à conquérir l'espace médiatique français – et à devenir, aussi, persona non grata aux yeux des plus radicaux. Désormais aguerri, il a répondu à l'attaque de Bruno Gollnisch. Cet accès de xénophobie lui a rappelé l'histoire de son grand-père Abram : "Une partie de ma famille a été exterminée et une autre a dû fuir l'Europe en bateau pour échapper à la barbarie nazie, rappelle-t-il. Mon élection est d'une certaine façon une revanche sur l'Histoire."

[Photo : AFP / Lionel Bonaventure - source : www.courrierinternational.com]

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