Les Éditions de la Différence ont
publié le premier roman de Salim Jay en 1979, soit à peine quatre ans
après leur création – et depuis, Salim Jay, Joaquim Vital
et Colette Lambrichs ont su teinter d'humour, mais aussi d'ironie, et
quelquefois d'une chaleureuse moquerie, le sourire qui a toujours
caractérisé leur amitié.
Avec les Editions de la Différence
C'est donc à Salim Jay, après
Jacques Bellefroid qui a rédigé la quatrième de couverture du livre,
qu'il revient de saluer, dans cette tribune, la sortie d'Éléonore, le nouvel ouvrage de Colette Lambrichs.
Éléonore qui, comme l'écrit ici Salim Jay, plonge « la bourgeoisie cultivée de Bruxelles […] dans un bain révélateur. »
Merci, Salim, de parler de Colette Lambrichs avec le talent « fransquillonneur » que nous vous connaissons.
Le charme et la force d'Eléonore
(La Différence, 2013), le nouveau roman de Colette Lambrichs ne sont
pas inférieurs à ce que l'on savait pour avoir lu ses recueils de
nouvelles : Tableaux noirs, Histoires de la peinture et Logiques de l'ombre.
Elle y montrait déjà, sans peser ni poser, l'acuité de son regard sur
les gens et les choses de la vie. Conteuse qui ne s'en laisse pas
conter, la romancière étanche sa soif d'absolu en se faisant un allié du
rire. La gravité affleure souvent, mais si l'essentiel est quelque
part, Colette Lambrichs ne prétend pas le débusquer : elle accueille ce
que sont et ce que font les protagonistes de sa fable, personnages
troublés ou futiles, égoïstes ou vaniteux, tendres ou impérieux,
désemparés ou pas. Les paysages sont aussi de la fête, et la ville de
Bruxelles est comme tatouée dans ces pages.
Avec Eléonore, la bourgeoisie
cultivée de Bruxelles est plongée dans un bain révélateur. Colette
Lambrichs vit à Paris depuis 1972. Elle a été à l'origine avec le cher
Joaquim Vital de la publication en rafale des livres de Mohamed Leftah.
Voici qu'à son tour, elle nous montre d'autant mieux les diverses
facettes de son talent de conteuse qu'Eléonore est précisément
un roman à facettes sinon à tiroirs, une sorte de fable festonnée où
circulent des personnages attachants qui peuvent à l'occasion se montrer
crispants. Rien n'est dérisoire sous la plume de la romancière belge
qui nous délivre dans le même mouvement un chant d'amour pour sa ville
natale et une protestation contre ce qu'elle est devenue.
Eleonore est une octogénaire qui voit
venir la fin en opposant sa liberté aux accommodements dont la vie de
tous se suffit et se masque. On la découvre d'abord dialoguant avec sa
gouvernante andalouse, Fernanda, qui se trouve avoir eu un fils caché
avec le mari défunt de cette comédienne désormais âgée et comme revenue
de presque tout.
Eleonore Kallos est d'origine grecque et
Colette Lambrichs semble avoir pris un malin plaisir à convier à cette
auscultation de la « belgitude » qu'est aussi son roman, un grand nombre
de personnages ayant choisi Bruxelles en étant nés ailleurs.
Eléonore est certes un roman
mais on y peut lire aussi une sorte de pamphlet contre l'étroitesse des
jugements ou la mesquinerie des actions dès lors que Rita l'Italienne,
passée des bras d'un frère à l'autre, révèle sa capacité d'exultation et
fait tomber tous les masques en étant conquise par un sculpteur aussi
métèque et aussi belge que possible. Il y a quelque chose dans Eléonore comme une mélancolie radieuse, un défi à l'appauvrissement des sensations et des convictions.
Du misérable petit tas de secrets en quoi
les vies ne méritent pas d'être résumées, Colette Lambrichs sait
extraire des trésors de gourmandise intellectuelle autant que d'appétit
pour la bonne chère. Elle sait dire l'amour et le dédain, sans
grandiloquence, et en n'appuyant jamais le traît, dessine mieux que le
contour des êtres, et nous montre le lien des uns aux autres comme si
elle désignait à chaque protagoniste le halo qui le protègerait de
l'inanité.
La main à la plume a les doigts aussi
agiles que ceux d'une marionnettiste et l'on admire la délicatesse avec
laquelle l'omniscience de la romancière s'abstient de trancher le fil de
l'ineffable.
On apprend, à lire Eléonore,
que fransquillonner signifie, à Bruxelles, vouloir se distinguer des
autres en parlant le français sans accent. On découvre aussi que les
pharmacies vendent du dentifrice pour chien. C'est ce genre de détail
qui fait les délices de Taha Adnan, le poète marocain de langue arabe
vivant à Bruxelles. Et, pour la première fois en quelques quatre
décennies de bibliophagie, j'ai rencontré, grâce au roman de Colette
Lambrichs le beau mot d'estacade (qui désigne une jetée ou un ouvrage
assimilé aux ponts). Quant aux maatjes, ce sont des harengs. Et le
« vieux présent » est le nom d'un fromage.
Tel personnage d'Eléonore se
plaint de la « souricière des petites villes », définition décapante de
d'enfermement de tous sous les yeux de tous à Bruxelles. Mais
l'essentiel, dans ce roman des passions éteintes ou explosives, c'est
sans doute un amour de la langue proclamé notamment par le biais d'un
hommage dialogué à la verve de l'écrivain et peintre James Ensor. Car
Ostende, chantée par Ensor, n'est pas moins présente que Bruxelles dans
ce roman de l'exil intérieur qu'est Eléonore, un livre qui
virevolte et fouaille, analyse et apaise, sans détourner les yeux sur
rien et en ne se lassant jamais de comprendre et de rêver.
[Source : www.actualitte.com]
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