segunda-feira, 13 de maio de 2013

Dix-neuf traducteurs en promenade avec Robert Walser

Chinois ou tchèque, ils se consacrent à l’œuvre walsérienne. Invités cette semaine en Suisse, ils ont confronté leurs mots et leur passion. En seize langues, l’œuvre de l’auteur des « Microgrammes » acquiert une dimension mondiale


S’il y a un paradis des écrivains, souhaitons que Robert Walser y occupe une chambre avec vue sur l’Université de Lausanne et qu’il a observé, mardi 7 mai, les dix-neuf traducteurs penchés pendant toute une journée sur un petit texte publié dans l’édition du soir du Berliner Tageblatt, le 12.11.1927 (à lire sur www.letemps.ch).

Une de ces chroniques dont il était le maître, une prose, ciselée, rapide, légère. Die leichte Hochachtung, c’est d’ailleurs le titre de cette petite prose: La légère considération. Elle a été donnée comme devoir à ce groupe de traducteurs en voyage walsérien en Suisse, car toutes ses phrases commencent par un Je « sûr de lui » – particularité revendiquée par l’auteur, lui prétendait pourtant être un joli zéro tout rond.

Ils ont tous livré leur copie, et les voilà au Château de Dorigny, à l’invitation de la section d’allemand et du Centre de traduction littéraire (CTL), pour une journée d’étude sous la direction du professeur Peter Utz, grand spécialiste de Robert Walser, et d’Irène Weber-Henking, directrice du CTL.

Autour de la table, un Chinois et deux Japonais, une Russe, une Polonaise, une Hongroise et un Tchèque, un traducteur de Slovénie, une autre venue d’Israël. Deux sont Espagnols, deux arrivent des Etats-Unis. Pas de Portugais mais un Brésilien. Une Italienne, un Grec, une Catalane, un Turc. Et pour la langue française, Marion Graf, qui a traduit treize des ouvrages de Walser publiés par les Editions Zoé.

Tous se consacrent à faire connaître l’œuvre de Robert Walser dans des pays où elle est le plus souvent largement méconnue. Ou alors appréciée d’un petit groupe de lecteurs seulement : Walser suscite une forme d’affection particulière, ce « bonheur inexprimable », dont parle Megumi Wakabayashi, et le vertige devant les « abîmes » que l’on pressent sous l’ironie, la pudeur et la grâce.

Pour l’Italienne Margherita Belardetti, on aborde cette fragilité comme une fleur de pavot, avec la crainte de la froisser. Mais au travail! Un tour de table permet à chacun d’expliquer comment il a rendu cette « légère considération » qui intrigue dans le titre. Ce n’est pas si simple: en italien, elle est « all’acqua di rosa », en anglais, « mild » ou « faint » mais pas « light »; l’hébreu distingue trois mots: leicht, hoch et achtung… Une Japonaise y sent passer la brise, Walser évoque le zen. Pour un laïc, ces discussions passionnées évoquent les disputes des rabbins et des théologiens!

L’exact tombé de la phrase, l’allitération, le rythme des incises, la polysémie, les sous-entendus, l’ironie et la tendresse de la prose walsérienne, tout cela est pesé et discuté dans un allemand parfait que colore la musique des accents.

L’exercice comporte un piège: ce Je qui s’affiche au début de chaque phrase, toutes les langues ne peuvent pas le rendre. En espagnol, par exemple, il a fallu trouver des périphrases. Et, dans beaucoup d’autres idiomes, vaincre des réticences devant ces répétitions.

Mais il y a un avantage: la contrainte fonctionne comme une pierre de Rosette. Le retour d’un idéogramme, d’un signe, d’un « ego » grec permet de déduire comment s’écrit Je dans les autres alphabets. Les discussions sont vives, les rires résonnent souvent. Toute la journée est consacrée à passer quelque six lignes au tamis. A la fin, chacun emporte sa version avec la conviction qu’elle est à refaire.

En plus de cette halte lausannoise, les dix-neuf traducteurs accomplissent un parcours walsérien complet: à peine débarqués, on les a emmenés à Herisau, là où l’écrivain a vécu les 23 dernières années de sa vie à l’asile psychiatrique, dans un silence « souverain ». Ils ont suivi le sentier qui porte son nom.

A Berne, on leur a montré le Centre Robert Walser et les Archives littéraires de la Bibliothèque nationale; un tour de la ville de Bienne est aussi au programme. De vendredi à dimanche, la troupe sera en visite à Soleure, pendant les Journées littéraires, à l’invitation de Pro Helvetia. L’occasion pour eux d’entendre de nouvelles voix et, peut-être, de découvrir de jeunes auteurs à traduire.

Ce voyage marque en effet l’aboutissement du programme Moving Words: pendant cinq ans, la Fondation suisse pour la culture a mis un accent particulier sur l’encouragement à la traduction, suscitant des collections suisses dans des maisons d’édition de plusieurs pays (Inde, Turquie, Etats-Unis…), et subventionnant, entre autres, plusieurs projets en relation avec l’œuvre de Robert Walser. 

Comme ses textes ont paru dans un grand nombre de journaux et de revues, l’édition critique de ses Œuvres complètes est encore en cours, après les vingt volumes déjà parus chez Suhrkamp: il y a donc encore du travail pour les traducteurs de Walser, dans les trente langues dans lesquelles existent déjà des textes de lui, et dans les autres…

Plus qu’aucun autre pays, la Suisse, avec ses quatre langues, dépend de la traduction pour la cohésion nationale. Petit pays, elle en a aussi besoin pour faire connaître ses auteurs au-delà des frontières. Plusieurs des traducteurs de Walser ont d’ailleurs également traduit des ouvrages d’Adolf Muschg, de Hugo Loetscher et d’autres auteurs suisses. 

Il n’y a rien d’étonnant à ce que des institutions comme le CTL à Lausanne et le Collège de traducteurs de Looren, près de Zurich, développent des rencontres et des travaux autour de ce métier de passeur.

Journées littéraires de Soleure, vendredi 15 h., Gemeinderatssaal, rencontre avec quatre traducteurs de Walser, autour des premières phrases.


[Photo : KPK Herisau / Str / Keystone - source : www.letemps.ch]


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