Par Iulia Badea Guéritée
Comment expliquer que cette année, presque tous les débats du Salon du livre de Paris
tournent autour de l’identité européenne ? Comment expliquer la
présence de la commissaire européenne Neelie Kroes, le 25 mars, pour
parler du livre à l’heure du numérique ?
Peut-être par une raison évidente : la littérature – la culture dans
son ensemble – tout comme l’économie, la société, les finances ou la
politique, est confrontée à une crise existentielle. Petits ou grands
pays, les nations européennes, membres d’une même famille, sont autant
de solistes dans un concert multinational et multilingue, posture qui
renforce leur besoin d’identité propre.
L’identité européenne justement, se façonne dans le cadre d’une
construction aux multiples facettes. Thierry de Montbrial, directeur de
l’Institut français de relations internationales (IFRI) considère "la construction européenne comme le plus fantastique [des] laboratoires" : "Nous
nous trouvons devant un problème de double identité : accomplir celle
de l’UE, assez vague, et puis accomplir, avec fierté, notre identité
nationale. Qui peut dire aujourd’hui avec précision qui fait vraiment
partie, et comment, de l’Europe ?"
Des propos dignes d’un colloque consacré à la construction européenne
plutôt que d’une discussion sur le stand roumain du Salon du livre (la
Roumanie est l’invitée d’honneur) !
Pourtant, pendant les cinq jours de cette 33ème édition du Salon, les
discussions littéraires ont tourné autour d’un seul thème, comme dans
une valse fantastique, captivant à la fois un public français désireux
d’écouter et des journalistes du monde entier avides de comprendre ce
qu’était l’identité.
”Sommes-nous européens ou pas, maintenant que nos livres sont
traduits partout et que le continent récupère les écrivains roumains,
après un décennie communiste ?”, se sont demandé les écrivains roumains présents au salon. ”Quel est mon vrai pays : l’Union européenne, pour le public de laquelle j’ai écrit mon roman (Les lapins ne meurent pas, Actes Sud, 2011), la Roumanie, que je représente ici, la Moldavie, qui ne m’a jamais
vraiment reconnu, ou la Transnistrie, aux confins de laquelle j’habite,
dans un monastère coupé du monde ?”, s’interrogeait, avec amertume, le père Savatie Bastovoi.
“Quelle est la place des langues régionales, comme le catalan ? Peut-on écrire en castillan et être compris par tout le monde ?”, se demande Carlos Luis Zafon, l’écrivain espagnol contemporain, ambassadeur de sa ville natale Barcelone, autre invitée du Salon ?
Au coeur de cette immense librairie européenne, les dialogues
interculturels ont fusé. Nous pouvons donc affirmer que ce salon a été
celui d’une identité européenne…francophone ! Sans oublier de mentionner
les nombreux débats consacrés à la relation franco-allemande qui fêtait
cette année ses 50 ans, autour du thème de la ”communauté de destin”.
Le point commun de tous ces débats ? La langue française ! Ces
débats, ces rencontres ou ces dédicaces ont ainsi rappelé que la seule
manière de ne pas cautionner la mort d’une langue est de la parler.
Aussi bien pour comprendre que l’Europe est la patrie de toutes les
minorités linguistiques qu’elles soient arméniennes, hongroises,
catalanes, que pour s’étonner que, malgré la censure ou l’exil, la
littérature continue de pénétrer les âmes. De recréer ainsi le Paradis
originel ? Et pourquoi pas ! Le père Bastovoi, lui, a tranché : "Tout
le monde me demande comment je me sens à Paris. Eh bien, je me sens
comme au Paradis. Je vois des personnes de toute sorte, j’entends toutes
les langues, et le fait que moi, je ne parle pas français mais que
j’arrive à me faire comprendre de vous, par des signes et des sourires,
me renvoie aux origines du monde !"
Et s’il avait raison ? Bien au-delà des empires ottoman, roman, grec,
austro-hongrois qui tous se sont effondrés, les livres eux, sont
restés.
-----------------------------------------------------------------------
L'auteur:
Iulia Badea Guéritée est une journaliste française née en 1972 en Roumanie. Elle est responsable de la version roumaine de presseurop.eu et couvre la Roumanie et la Moldavie à Courrier international, où elle tient également un blog. Diplômée en littérature française du XXème siècle, elle travaille depuis 2000 à Paris. Elle est lauréate 2006 du prix Louise Weiss du meilleur journaliste européen.
[Source : www.presseurop.eu]
Sem comentários:
Enviar um comentário