quinta-feira, 8 de novembro de 2012

L'auteur aide un pirate russe à traduire son propre roman


L'appel de la lecture et l'idée d'être lu, plus forts que tout

Sur l'océan du net, les pirates peuvent surgir depuis un coin d'écume une rafale d'embruns... ou alors, venir de Russie, chevauchant des armées de scanners de livres. Parfois, ils agissent plus simplement, en traduisant un ouvrage qui n'est pas disponible dans le commerce, et diffusent sur la toile leur création. Peter Mountford a ainsi fait une découverte troublante. 

Daniel Voyager, (CC BY 2.0)
Une fois son ouvrage publié, le romancier s'est mis à opérer une veille personnelle, reposant sur des alertes Google. Et son attention fut rapidement attirée par des occurrences régulières depuis un forum de discussion sur WordReference.com, outil d'aide à la traduction en ligne. Un utilisateur, Alexander III, demandait des conseils pour réaliser la meilleure traduction possible de certains passages du livre, plutôt délicats. 

Mountford est alors intrigué : les droits de traduction ne sont pas vendus pour la Russie à sa connaissance. Qu'est-ce que cherche donc ce traducteur en herbe ? Il bute d'ailleurs sur des expressions assez rares, comme “zooted on shoe polish”, ou un hôtel des années 70 décrit avec “cucumber walls”. Autant d'expressions assez complexes, dont il fallait rendre le sens en russe, mais pour cela, le comprendre en anglais. 

« Au début, je ne comprenais pas qu'Alexander III traduisait le livre, je pensais qu'il était simplement un lecteur russe pointilleux, avec quelques lacunes en anglais. C'était amusant de voir d'ailleurs les gens se débattre avec les significations de mes phrases minutieusement travaillées », assure Peter. Il continue ainsi de suivre les rebondissements et les questionnements dudit traducteur, qui finit par expliquer à un utilisateur qu'il agit pour le compte d'un éditeur local. 

« Bon sang, j'ai pensé, mon livre va être publié en Russie ! », songe alors, naïf, Peter. Qui se souvient, la seconde suivante, que les droits ne sont toujours pas vendus, et qu'il avait donc affaire à un pirate de livres, opérant une traduction tout à fait illégale.

La Très Sainte Mère Russie de l'ebook
Avec un soin des plus attentionnés, Mountford se lance alors dans des recherches pour comprendre et découvrir que l'industrie du livre numérique en Russie est constituée à 90 % de piratage. Selon l'agence étatique Roshpechat, qui gère ces données, les Russes accèdent à 100.000 ebooks, dont seuls 60.000 titres sont légaux. Et le téléchargement illégal génère plusieurs milliards de roubles chaque année. 

« Parce que les ebooks sont de plus en plus rapidement disponibles en Russie - deux fois plus de livres numériques ont été vendus en 2011 qu'en 2010, on s'attend à ce que le marché pirate continue de prendre des parts sur les libraires officiels. Ce n'est pas simplement que les livres soient moins chers sur le marché noir [...]. Sans surprise, les éditeurs russes légitimes sont écrasés par ce marché de contrefaçon », analyse Mountford. 

Dans un premier temps, le romancier envisageait d'entrer en relation avec le traducteur ; une prise de contact l'aurait peut-être refroidi dans son entreprise, et alors le livre n'aurait jamais vu le jour en version numérique piratée, certes, mais jamais vu le jour en Russie tout court. « Si la version pirate devient u best-seller en Russie - cela me semble peu probable, mais admettons - peut-être que l'un des éditeurs officiels fera une offre. Peut-être que je vendrai mes droits en Chine ? » 

Fin juillet, il se décidera tout de même à contacter le traducteur, se présentant comme l'auteur. Et hop silence radio durant plusieurs semaines, plus de messages sur le forum... jusqu'à un email d'Alexander III, réclamant de l'aide pour comprendre les passages, encore et toujours. « C'est insensé d'aider quelque à me voler mon travail, je sais, mais je ne pouvais pas résister à l'idée de ce partenariat avec lui. Je ne sais toujours pas pour qui il travaille - aucun éditeur russe n'a acheté les droits. » Autant faire en sorte que la traduction soit impeccable... 

Le livre en question, A Young Man's Guide to Late Capitalism, n'est pas encore traduit en français. A moins que, quelque part, sur WordReference... 



Par Nicolas Gary


[Publié sur www.actualitte.com]

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