L'appel de la lecture et l'idée d'être lu, plus
forts que tout
Sur l'océan du
net, les pirates peuvent surgir depuis un coin d'écume une rafale d'embruns...
ou alors, venir de Russie, chevauchant des armées de scanners de livres.
Parfois, ils agissent plus simplement, en traduisant un ouvrage qui n'est pas
disponible dans le commerce, et diffusent sur la toile leur création. Peter Mountford a ainsi fait une découverte
troublante.
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Daniel Voyager, (CC BY 2.0) |
Une fois son
ouvrage publié, le romancier s'est mis à opérer une veille personnelle,
reposant sur des alertes Google. Et son attention fut rapidement attirée par
des occurrences régulières depuis un forum de discussion sur WordReference.com,
outil d'aide à la traduction en ligne. Un utilisateur, Alexander III, demandait
des conseils pour réaliser la meilleure traduction possible de certains
passages du livre, plutôt délicats.
Mountford
est alors intrigué : les droits de traduction ne sont pas vendus pour la Russie
à sa connaissance. Qu'est-ce que cherche donc ce traducteur en herbe ? Il bute
d'ailleurs sur des expressions assez rares, comme “zooted on shoe polish”, ou un hôtel des années 70 décrit avec “cucumber walls”. Autant d'expressions assez complexes, dont il
fallait rendre le sens en russe, mais pour cela, le comprendre en
anglais.
« Au début, je ne comprenais pas qu'Alexander III
traduisait le livre, je pensais qu'il était simplement un lecteur russe
pointilleux, avec quelques lacunes en anglais. C'était amusant de voir
d'ailleurs les gens se débattre avec les significations de mes phrases
minutieusement travaillées », assure Peter. Il continue ainsi de suivre les rebondissements et les
questionnements dudit traducteur, qui finit par expliquer à un utilisateur
qu'il agit pour le compte d'un éditeur local.
« Bon sang, j'ai pensé, mon livre va être publié en Russie
! », songe alors, naïf, Peter. Qui se
souvient, la seconde suivante, que les droits ne sont toujours pas vendus, et
qu'il avait donc affaire à un pirate de livres, opérant une traduction tout à
fait illégale.
La Très
Sainte Mère Russie de l'ebook
Avec
un soin des plus attentionnés, Mountford se lance alors dans des recherches
pour comprendre et découvrir que l'industrie du livre numérique en Russie est
constituée à 90 % de piratage. Selon l'agence étatique Roshpechat, qui
gère ces données, les Russes accèdent à 100.000 ebooks, dont seuls 60.000
titres sont légaux. Et le téléchargement illégal génère plusieurs milliards de
roubles chaque année.
« Parce que les ebooks sont de plus en plus rapidement
disponibles en Russie - deux fois plus de livres numériques ont été vendus en
2011 qu'en 2010, on s'attend à ce que le marché pirate continue de prendre des
parts sur les libraires officiels. Ce n'est pas simplement que les livres
soient moins chers sur le marché noir [...]. Sans surprise, les éditeurs russes
légitimes sont écrasés par ce marché de contrefaçon », analyse Mountford.
Dans
un premier temps, le romancier envisageait d'entrer en relation avec le
traducteur ; une prise de contact l'aurait peut-être refroidi dans son
entreprise, et alors le livre n'aurait jamais vu le jour en version numérique
piratée, certes, mais jamais vu le jour en Russie tout court. « Si la version pirate devient u best-seller en Russie -
cela me semble peu probable, mais admettons - peut-être que l'un des éditeurs
officiels fera une offre. Peut-être que je vendrai mes droits en Chine ? »
Fin
juillet, il se décidera tout de même à contacter le traducteur, se présentant
comme l'auteur. Et hop silence radio durant plusieurs semaines, plus de messages
sur le forum... jusqu'à un email d'Alexander III, réclamant de l'aide pour
comprendre les passages, encore et toujours. « C'est insensé d'aider quelque à me voler mon travail, je
sais, mais je ne pouvais pas résister à l'idée de ce partenariat avec lui. Je
ne sais toujours pas pour qui il travaille - aucun éditeur russe n'a acheté les
droits. » Autant faire
en sorte que la traduction soit impeccable...
Le
livre en question, A Young Man's Guide to Late Capitalism, n'est pas encore traduit en français. A
moins que, quelque part, sur WordReference...
Sources :
The Atlantic
Guardian
MPH Books
The Atlantic
Guardian
MPH Books
Par Nicolas Gary
[Publié sur
www.actualitte.com]
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