André Markowicz est un spécialiste des traductions extrêmes: célèbre pour
ses versions dépoussiérées des romans de Dostoïevski, il aborde aujourd'hui les
poésies de la dynastie des Tang, un «jeu» pour ce traducteur qui ne connaît pas
le chinois.
Cet érudit a publié, en septembre dernier, une
anthologie remarquée de la poésie romantique russe, «Le Soleil d'Alexandre»,
autour de la figure centrale de Pouchkine. Depuis, il se consacre à la
traduction de très anciens auteurs chinois «pour se reposer». Pour André
Markowicz, ce genre de défi résume l'essence même de la traduction: «Pas
seulement passer d'une langue à l'autre, mais d'une culture à l'autre». Il sait
de quoi il parle: il est Russe par sa mère et Français par son père et a voué sa
vie à l'étude des langues.
«Équation à plusieurs inconnues»
En s'attaquant à des poèmes chinois, composés d'idéogrammes qu'il ne déchiffre pas et parce qu'il ne parle ni ne connaît cette langue, ce traducteur professionnel crée de nouvelles règles de l'art. Il s'inspire de différents «mot à mot» en français, en anglais ou en russe pour «reconstruire» le rythme et le sens «comme on résout une équation à plusieurs inconnues». Ainsi, pour la «Chanson de la source aux pêchers», de Wang Wei (701-761), il a travaillé à partir de «trois versions tirées de trois anthologies américaines, deux mot à mot - l'un fourni par un ami sinisant, l'autre trouvé sur internet - et cinq autres traductions en français». Il rêve de publier «un livre de 300 poèmes chinois, 150 ans de poésie Tang» en quatre volumes. «Qui voudra de ça? Mon éditeur, Actes Sud, me regarde avec accablement: déjà, publier Pouchkine demande du courage, mais publier de la poésie chinoise traduite par un non sinisant, vous imaginez....», ironise-t-il de sa voix feutrée. Ce qui le motive? «Tout d'abord, égoïstement, bien lire ces textes magnifiques, puis les donner à lire aux autres, faire partager mon admiration». C'est avec le même sérieux qu'il a impulsé, au début des années 90, la publication en breton de poèmes écrits par Gennadi Aïgui (1934-2006) en tchouvache, une langue issue de l'ouïgour et parlée par les lointains descendants des Huns de l'ouest de l'Oural (Russie). «Je suis tombé amoureux de cette poésie, je voulais la faire connaître... Ça n'a pas été un best-seller, bien sûr», reconnaît-il avec un sourire. Autre fait d'armes de sa croisade sémantique, il se flatte d'avoir fait traduire la «Gwerz de Skolvan», une ballade bretonne, en arabe dialectal, en tchouktche, une langue autochtone du Grand Nord sibérien et en mi'Kmaq, un dialecte des tribus indiennes de l'Algonquin qui, d'ailleurs, selon lui, a légué au français l'expression «micmac». La complainte très ancienne de Skolvan évoque une mère incapable de pardonner à son fils qui a commis un crime terrible. «L'idée était de trouver l'équivalent du crime qui ne peut être pardonné dans des civilisations très différentes».
«Prises de langues»
À 52 ans, André Markowicz a l'habitude des «prises de langues». Ses traductions de Dostoïevski dans un style «chaotique, à la syntaxe bousculée», selon lui absolument fidèle à l'original, ont fait scandale. Au-delà des livres, il tire ses revenus de ses traductions pour le théâtre, des adaptations qu'il fait parfois en tandem avec sa compagne universitaire, Françoise Morvan, pour différents metteurs en scène européens. Tous deux sont installés à Rennes, «un peu isolés» à cause des écrits abrasifs de Françoise Morvan sur la langue bretonne, le nationalisme et les «dérives identitaires». Cet isolement lui pèse peu car «il vit avec ses livres», voyage souvent pour ses adaptations théâtrales et reste relié au monde «grâce à internet». Cet intellectuel au physique fragile est persuadé que sa démarche n'a «rien d'élitiste» et que «la poésie, ça s'adresse à tout le monde». [TIT-NOTE_B]«Le Soleil d'Alexandre - Le cercle de Pouchkine» - Éditions Actes Sud 2011[/TIT-NOTE_B]
«Équation à plusieurs inconnues»
En s'attaquant à des poèmes chinois, composés d'idéogrammes qu'il ne déchiffre pas et parce qu'il ne parle ni ne connaît cette langue, ce traducteur professionnel crée de nouvelles règles de l'art. Il s'inspire de différents «mot à mot» en français, en anglais ou en russe pour «reconstruire» le rythme et le sens «comme on résout une équation à plusieurs inconnues». Ainsi, pour la «Chanson de la source aux pêchers», de Wang Wei (701-761), il a travaillé à partir de «trois versions tirées de trois anthologies américaines, deux mot à mot - l'un fourni par un ami sinisant, l'autre trouvé sur internet - et cinq autres traductions en français». Il rêve de publier «un livre de 300 poèmes chinois, 150 ans de poésie Tang» en quatre volumes. «Qui voudra de ça? Mon éditeur, Actes Sud, me regarde avec accablement: déjà, publier Pouchkine demande du courage, mais publier de la poésie chinoise traduite par un non sinisant, vous imaginez....», ironise-t-il de sa voix feutrée. Ce qui le motive? «Tout d'abord, égoïstement, bien lire ces textes magnifiques, puis les donner à lire aux autres, faire partager mon admiration». C'est avec le même sérieux qu'il a impulsé, au début des années 90, la publication en breton de poèmes écrits par Gennadi Aïgui (1934-2006) en tchouvache, une langue issue de l'ouïgour et parlée par les lointains descendants des Huns de l'ouest de l'Oural (Russie). «Je suis tombé amoureux de cette poésie, je voulais la faire connaître... Ça n'a pas été un best-seller, bien sûr», reconnaît-il avec un sourire. Autre fait d'armes de sa croisade sémantique, il se flatte d'avoir fait traduire la «Gwerz de Skolvan», une ballade bretonne, en arabe dialectal, en tchouktche, une langue autochtone du Grand Nord sibérien et en mi'Kmaq, un dialecte des tribus indiennes de l'Algonquin qui, d'ailleurs, selon lui, a légué au français l'expression «micmac». La complainte très ancienne de Skolvan évoque une mère incapable de pardonner à son fils qui a commis un crime terrible. «L'idée était de trouver l'équivalent du crime qui ne peut être pardonné dans des civilisations très différentes».
«Prises de langues»
À 52 ans, André Markowicz a l'habitude des «prises de langues». Ses traductions de Dostoïevski dans un style «chaotique, à la syntaxe bousculée», selon lui absolument fidèle à l'original, ont fait scandale. Au-delà des livres, il tire ses revenus de ses traductions pour le théâtre, des adaptations qu'il fait parfois en tandem avec sa compagne universitaire, Françoise Morvan, pour différents metteurs en scène européens. Tous deux sont installés à Rennes, «un peu isolés» à cause des écrits abrasifs de Françoise Morvan sur la langue bretonne, le nationalisme et les «dérives identitaires». Cet isolement lui pèse peu car «il vit avec ses livres», voyage souvent pour ses adaptations théâtrales et reste relié au monde «grâce à internet». Cet intellectuel au physique fragile est persuadé que sa démarche n'a «rien d'élitiste» et que «la poésie, ça s'adresse à tout le monde». [TIT-NOTE_B]«Le Soleil d'Alexandre - Le cercle de Pouchkine» - Éditions Actes Sud 2011[/TIT-NOTE_B]
- Sophie Pons
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