Dans un court essai très politique, l’auteur d’“Espèces dangereuses” nous invite à réfléchir à la notion de nationalité. Rencontre.
Écrit par Sylvie Tanette
L’an dernier, un jeune auteur né en Russie et installé en France depuis 2016 a marqué la rentrée littéraire d’hiver avec Espèces dangereuses, son premier roman coup de poing. Il y racontait, en français, la vie des homosexuel·les dans la Russie de Poutine. Porteur de la double nationalité française et russe, Sergueï Shikalov propose aujourd’hui un texte décapant sur sa situation de binational. Avec beaucoup d’acuité, il s’interroge sur les peurs et fantasmes qui entourent la notion même d’identité.
Qu’est ce qui a provoqué l’écriture de ce livre ?
Sergueï Shikalov – Au cours de la procédure qui a conduit à ma naturalisation, je me suis posé un certain nombre de questions en préparant ce qui s’appelle l’entretien d’assimilation. J’ai toujours été passionné par la langue française, mais était-ce suffisant pour demander la nationalité ? La nationalité russe m’a été attribuée à la naissance, mais est-ce que je me sens russe ? Ce qui a vraiment déclenché ce livre, c’est quand l’extrême droite a proposé d’interdire l’accès de certains emplois publics aux binationaux. Ceux-ci étant par définition des citoyens français, c’était un appel à la division du peuple. Or, dans la constitution de cette république que l’extrême droite prétend défendre, le peuple français est indivisible. Face à ce paradoxe, l’idée n’était pas d’apporter des réponses, mais d’inviter lectrices et lecteurs à réfléchir sur le sujet. Je voulais essayer de comprendre pourquoi la double nationalité dérange, alors que c’est le quotidien de beaucoup de gens.
Vous écrivez qu’il y a un flou sémantique sur le mot nationalité.
Quand vous demandez la nationalité française, on vous pose tout un tas de questions, c’est un véritable examen avec un système de notation très aléatoire. On vous interroge sur les dates du règne de Pépin le Bref, sur ce qu’a fait Louis XIV. Est-ce qu’ignorer tout ça m’empêche d’être un bon français ? On en arrive au discours sur l’identité nationale, mais donnez-moi une définition de ce que c’est ? Et ne peut-on pas avoir une identité multiple ?
“Si vous voulez devenir français, il faut effacer votre passé.”
En France, l’idée de nationalité serait liée à l’histoire coloniale ?
Oui, car le terme d’assimilation était employé à propos des Algériens. Est-on obligé d’abandonner nos spécificités culturelles, linguistiques, culinaires pour se faire absorber par la culture d’accueil ? L’entretien d’assimilation s’appelle ainsi car il y a un message derrière : si vous voulez devenir français, il faut effacer votre passé. Au moment de prendre la nationalité, on vous encourage à franciser vos prénoms et noms, si vous pensez que ça peut faciliter votre intégration. Comme si je devais m’appeler Serge au lieu de Sergueï. Cela dit, si vous envoyez un cv avec un prénom musulman, vous avez moins de chance d’obtenir un entretien d’embauche. C’est une injustice malheureusement fréquente qui ne concerne pas que la France. En Russie, c’est institutionnalisé et les Russes de papier ne sont jamais considérés comme des Russes.
Vous écrivez qu’ils sont d’ailleurs les premiers à être envoyés au front ?
Oui. Ce sont des immigrés ouzbeks, kazakhs, kirghizes, présents depuis des années qui se font naturaliser, s’installent. Quand il faut de la chair à canon, on estime que, vu qu’ils ont sollicité la nationalité russe et qu’on a eu la gentillesse de la leur accorder, ils doivent aller faire cette guerre inutile.
L’idée de nationalité est au cœur du conflit ?
Les nationalistes russes sont persuadés que les Russes, les Ukrainiens, les Biélorusses, ça n’existe pas. Il n’existe que des Slaves, représentés majoritairement par les Russes. Pour eux, la nationalité ukrainienne ne peut être envisagée que dans une république appartenant à la fédération de Russie, comme les peuples du Caucase. Ce qui les dérange c’est ce groupe de Slaves de l’ouest qui se met à part, choisit un autre chemin, se rapproche de l’Europe.
Nationalistes russes et extrême droite française sont dans la même logique ?
Ils ne connaissent pas l’Histoire, ils veulent diviser et exclure, cherchent des boucs émissaires, toujours. Lorsque vous leur demandez pourquoi, ils sont incapables de vous donner un argumentaire et se noient dans leurs explications bidon. Il suffit de regarder les interviews de certains députés. Lors des dernières législatives, j’ai cru assister à des sketchs.
Français de papier de Sergueï Shikalov (Seuil coll. Libellé), 60 p., 5,50 €. En librairie
[Photo : Claire Serie / Hans Lucas via AFP - source : www.lesinrocks.com]
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