Les récits saisissants dans Doubar (Editions des Syrtes) placent Gueorgui Demidov à la hauteur de Chalamov et de Soljenitsyne.
Gueorgui Demidov
C’est là une réelle résurrection que connaît aujourd’hui l’écrivain russe Gueorgui Demidov (1908-1987), physicien de formation, victime de la Grande Terreur de 1938. Comme des centaines de milliers d’autres innocents, il fut arrêté et condamné, lui pour « terrorisme trotskyste », un crime contre-révolutionnaire passible du fameux article 58 du Code de l’URSS. Déporté dans les camps de la Kolyma, il survécut à l’un des endroits les plus glacés et les plus terrifiants du globe, là où, disent les zeks (les détenus), « même les corbeaux ne font pas de vieux os », parce que, dans cet archipel concentrationnaire, « l’hiver dure douze mois, tout le reste c’est l’été ».
Manuscrits confisqués par le KGB
Après avoir purgé ses huit ans à extraire de l’or et à chasser des morses, Demidov reçut un supplément de dix ans pour n’être relâché qu’en 1951, et réhabilité en 1958. Vingt ans de perdus, mais la vie sauve, ce qui, dans le monde de Staline, était une chance. Le jeune déporté s’était promis de survivre pour pouvoir un jour témoigner. Une fois libre, il se mit à écrire « pour le tiroir » et les amis et, dans les années 70, pour le samizdat, la presse clandestine. Surveillé par la police politique, Demidov vit ses manuscrits confisqués par le KGB. Il mourut sans savoir ce qu’il en adviendrait. L’expérience des camps est évidemment hallucinante ; elle l’emporte sur tout en horreur… mais de songer que, après pareil enfer, l’écrivain a vu disparaître ses manuscrits dans les coffres de l’État vous donne comme un coup de grâce…
Au Goulag,
Demidov fut l’ami de Varlam Chalamov (1907-1982), l’immense auteur des Récits de la
Kolyma, l’un des
principaux écrivains de la Terreur avec Soljenitsyne, dont il se distingue par
un nihilisme absolu, quasi insoutenable. Chalamov croyait que Demidov n’avait
pas survécu ; il disait de lui que c’était l’un des hommes les plus nobles
et les plus intelligents qu’il ait rencontrés.
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Gueorgui Demidov Gueorgui Demidov et sa fille à Oukhta à la fin des années cinquante
La glasnost gorbatchévienne permit à
ces manuscrits confisqués de réapparaître et à ces écrivains, Chalamov comme
Demidov, de sortir des oubliettes. Doubar et autres
récits est donc
un livre sauvé par miracle de la destruction ; par sa puissance, il se
place au niveau des récits de Chalamov, en version humaniste, ou de
Soljenitsyne, en version agnostique.
Enterrements à la sauvette
Le lecteur y
partage la vie quotidienne des détenus dans ces camps désolés, où les « crevards » tombent par milliers, où
les assassins et les voleurs sont considérés par les gardes comme « socialement
proches », alors que les
politiques sont destinés à agoniser. Demidov montre bien que l’intention du
système est d’exterminer sans bruit des pans entiers de la population et ce de façon
aléatoire, les crimes
étant le plus souvent imaginaires, pour ne pas dire absurdes.
[Photos Valentina Demidova - source : www.causeur.fr]
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