sexta-feira, 6 de dezembro de 2024

« Les Blagues de guerre de Franz Kafka et ses amis » : comment mettre l’ambiance à Noël (et sauver le monde)

Jusqu’à Noël, Bibliobs vous livre ses conseils de lecture, de quoi vous donner quelques idées de cadeaux. Aujourd’hui, les meilleurs mots d’esprit de Franz K. et ses amis. ★★★☆☆


Écrit par Elisabeth Philippe

Le titre sonne lui-même comme plaisanterie. Déjà, des « blagues de guerre » ! Pourquoi pas « humour de prison » ou « poilade à l’Ehpad ». Ensuite, Kafka. L’auteur hypocondriaque et tuberculeux du « Procès » n’a pas forcément la réputation d’un boute-en-train. Pourtant, pour qui l’a bien lue, l’œuvre de l’écrivain pragois disparu il y a tout juste cent ans, ne manque pas d’humour. Noir, grinçant, absurde, désespéré, mais de l’humour quand même. Loin d’être le célibataire tourmenté auquel la postérité l’a trop souvent réduit, Franz Kafka vivait dans le monde, fréquentait des amis. Parmi eux, bien sûr, Max Brod, celui qui trahit les dernières volontés de l’écrivain en sauvant les manuscrits que Kafka aurait voulu voir détruits après sa mort. Dans les papiers conservés par Brod (et aujourd’hui propriétés de la Bibliothèque nationale d’Israël après des imbroglios juridiques… kafkaïens), se trouvait un petit dossier marron qui renfermait une feuille pliée en deux sur laquelle était écrit : « Recueil de bons mots datant de la Première Guerre mondiale. Kafka aussi a participé à notre recueil : Elsa, Ernst, moi, Kafka. » Elsa étant l’épouse de Brod et Ernst, Ernst Taussig, le frère de celle-ci. Il est extrêmement émouvant d’imaginer ces quatre amis, peut-être dans des cafés, se raconter les plaisanteries qui circulaient alors que l’Europe était à feu et à sang. Une façon comme une autre de résister à la peur et au découragement. Citons celle-ci, récoltée par Kafka :

 

« Visite médicale d’incorporation :

“En bonne santé ?
– Sourd d’une oreille.
- Laquelle ?
- Celle de droite.
On lui hurle dans l’oreille gauche :
- Apte.”

 

Cet humour qui moque le vieil empereur François-Joseph, le sort des simples soldats ou celui, plus enviable, des hauts gradés, peut nous paraître lointain. Mais il résonne aussi avec notre époque, elle-même ravagée par les conflits. En 1924, dans le « Prager Tagblatt », Max Brod consacrait un article à ces « blagues de guerre », à l’occasion de la commémoration des dix ans de « la der des der ». Il écrivait : « Les blagues de guerre qui circulaient dans les autres pays belligérants devraient être répertoriées pour constituer une toile de fond complémentaire. Et si un jour les représentants des nations se réunissent pour se raconter mutuellement ces blagues avec lesquelles ils se sont moqués d’eux-mêmes durant les hostilités (…), il est probable que cette noble conférence du mot d’esprit permettra un pas plus décisif vers la réconciliation que bien des congrès de la Société des Nations réunis ces dernières années. »

 

L’humour pour sauver le monde. Et ce n’est pas une blague.

 

« Les Blagues de guerre de Franz Kafka et ses amis », sous la direction de Keren Mock, Albin Michel, 272 p., 20,90 euros


 

[Photo : MEHDI BENYEZZAR - source : www.nouvelobs.com ]

 



Sem comentários:

Enviar um comentário