Bonne nouvelle: le président a enfin lancé la planification écologique promise et attendue. Mauvaise nouvelle: il a accompagné cette annonce d'un concept pour le moins ambigu.

Écrit par Gérard Horny — édité par Diane Francès
Vous êtes resté à l'écart de l'actualité française pendant quelque temps. On vous dit que le 24 septembre dernier, un responsable politique de premier plan a fait une déclaration télévisée dans laquelle il a claironné: «Ce qui est très important pour nos Français, c'est qu'on est attachés à la bagnole, on aime la bagnole et moi, je l'adore.» On vous dit aussi que le même personnage a récidivé le lendemain en poussant un grand «cocorico» à propos de l'écologie «à la française» avec cette tirade: «Notre écologie est aussi une stratégie de préservation de notre cadre de vie, de notre richesse de biodiversité et au fond, de nos paysages qui constituent l'identité profonde de la France.»
Et on vous demande quelle est cette personnalité. Vous écartez d'emblée l'hypothèse d'un écologiste, vous ne croyez pas non plus que ce puisse être quelqu'un de gauche, sauf peut-être Fabien Roussel –qui ne déteste pas tenir des propos carrément franchouillards– mais vous pensez plutôt qu'il s'agit de quelqu'un de droite, très à droite même, du côté de Marine Le Pen ou d'Éric Zemmour.
Vous avez tout faux. Ces propos sont extraits de l'entretien accordé par le président Emmanuel Macron à TF1 et France 2 et de sa conclusion du Conseil de planification écologique. Ils ont à juste titre intéressé les politologues qui se sont posé la question de savoir pourquoi le président avait jugé bon de les tenir.
La réponse est en général la même: dès que l'on parle climat et transition énergétique, les Français entendent «taxe carbone» et «prix élevé du carburant», ils craignent pour leur pouvoir d'achat et leur mode de vie. Voulant éviter un retour des «gilets jaunes», le président s'est voulu rassurant: au fond, rien ne changera et vous continuerez à vivre comme avant, la France restera la France. Envelopper les réformes qui risquent de fâcher dans de bonnes paroles, ce serait le meilleur moyen de les faire passer.
Deux hypothèses dont aucune n'est satisfaisante
Ces précautions oratoires n'en restent pas moins très troublantes. On peut envisager deux hypothèses.
Dans la première, le président prend certes des décisions qui vont dans le bon sens du point de vue de la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité, mais il est décidé à ne faire que le strict minimum car en fin de compte, la croissance de l'activité économique reste sa première préoccupation.
Dans la seconde, ce discours est d'une totale insincérité: le président a bien conscience que, dans la réalité, les Français devront changer leur mode de vie plus qu'il ne le leur dit; tout ce qu'il raconte sur la bagnole ou les paysages ne l'empêchera pas d'interrompre certains projets d'autoroutes ou de poursuivre l'implantation d'éoliennes terrestres.
Le problème est qu'aucune de ces hypothèses n'est satisfaisante. Il est manifeste qu'au niveau mondial, un grand retard a été pris dans la lutte contre le réchauffement climatique (pour ne parler que de ce problème environnemental) et que des mesures énergiques doivent être prises.
Ces mesures auront un coût financier, certaines d'entre elles auront aussi un coût social: on ne passe pas d'un modèle économique fondé sur les énergies fossiles et la recherche de la croissance la plus élevée possible à une économie décarbonée où la hausse du PIB n'est plus la seule priorité sans que des changements profonds n'interviennent à la fois dans la production et la consommation.
Il ne faut pas se moquer du monde
Pour réussir ce passage d'un modèle à un autre, l'État a de toute évidence un rôle important à jouer, que soit par la réglementation, par ses interventions directes ou par des incitations financières. Mais il aura besoin aussi des collectivités locales, de tous les acteurs de la vie économique et de l'ensemble de la population. Faire croire que toutes les transformations qui sont à opérer pourront se faire sans rien changer au mode de vie, c'est se moquer du monde.
Et ce n'est pas le meilleur moyen de gagner en crédibilité: il est risqué de parler des paysages qui constituent l'identité profonde de la France au moment même où l'on annonce le maintien du rythme actuel pour l'implantation d'éoliennes terrestres, alors que le pays en compte déjà 8.000. Si l'on veut que la majorité de la population adhère au projet de transformation qui se dessine, il vaut mieux ne pas lui raconter d'histoires. Quant à l'hymne à la bagnole, il ne s'imposait pas vraiment...
Cette idée d'une écologie «à la française» est d'autant plus critiquable qu'elle ne repose sur aucun concept clair. En fait, elle se veut raisonnable, à un juste milieu entre ceux qui sont dans le «déni» et abandonnent leurs objectifs climatiques et ceux qui sont dans la «cure» et veulent faire un massacre dans l'agriculture et l'industrie (en clair, les écologistes), comme si la raison était une spécificité française.
Mais chaque pays est dans une situation particulière qui implique des mesures particulières, en fonction du niveau de vie et de consommation d'énergie qu'il a atteint, des sources d'énergie disponibles sur son territoire, etc. Il n'y a pas une politique de transition énergétique mondiale qui pourrait s'appliquer uniformément à chaque pays; il n'y a que des politiques nationales qui doivent converger vers le même objectif de zéro émission nette en 2050, avec toutefois des politiques en partie communes pour les pays appartenant à un même ensemble économique comme l'Europe.
Le charbon n'est plus un problème en France
Prenons l'exemple du charbon. Le chef de l'État se veut exemplaire en annonçant un arrêt des deux centrales électriques au charbon encore en fonctionnement en France dès 2027. Les critiques ont eu beau jeu de rappeler qu'il l'avait déjà promis pour 2022 et que cet objectif a été reporté en raison des problèmes d'approvisionnement en gaz provoqués par la guerre en Ukraine. Plus tôt ces deux centrales seront arrêtées ou reconverties, mieux ce sera, mais il est facile de se décerner des bons points en ce domaine alors que le charbon n'est plus un vrai problème pour la France depuis longtemps grâce à l'importance de son parc nucléaire.
En Allemagne, où il pèse encore avec le lignite pour plus de 31% dans la production d'électricité, l'abandon du charbon pose un problème beaucoup plus compliqué. Et l'on ne parlera pas de la Chine, où l'on continue à construire des centrales au charbon; là, on peut vraiment parler de déni.
Le chef de l'État passe vite en revanche sur les émissions de gaz à effet de serre dans l'agriculture, sujet qui fâche et devient vite très sensible politiquement (et pas seulement en France). Quant au problème des émissions dans les transports, l'industrie et le le bâtiment, commun à tous les pays développés, on voit mal ce que peut être une politique «à la française».
Le vrai sujet: l'écologie «à l'européenne»
Pour les chaudières à gaz dans les logements, on peut privilégier l'incitation au changement et l'orientation vers les pompes à chaleur plutôt que l'interdiction, comme a voulu le faire l'Allemagne avant d'être contrainte de reculer la date prévue de 2024 à 2028 pour cause de conflits au sein de la coalition au pouvoir.
Mais, globalement, les problèmes se ressemblent fortement d'un pays à l'autre et le plus raisonnable est d'adopter une approche européenne sur un certain nombre de sujets. Le problème est que l'Europe semble avoir beaucoup de mal à mettre en œuvre le Pacte vert pour l'Europe lancé par la Commission en décembre 2019: un nombre croissant de pays rechignent à prendre des mesures jugées peu populaires. La vraie question aujourd'hui pour nous est de savoir dans quelle direction et à quelle vitesse va aller l'écologie «à l'européenne».
L'idée d'une politique «à la française» en ce domaine est d'autant moins pertinente que les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique sont fondamentalement un problème international. Ce qui compte, c'est d'aller tous ensemble dans la même direction. L'intérêt bien compris de chacun est de faire sa part du travail.
Mais on voit bien que dans le contexte géopolitique actuel, on se situe davantage dans une ambiance de compétition exacerbée que dans une optique de coopération. Et il très facile de dresser des groupes de pays ou des groupes sociaux les uns contre les autres.
Il n'y a pas qu'une politique «à la française» possible
Ainsi que le GIEC le souligne dans son sixième rapport d'évaluation publié en mars de cette année, les émissions de gaz à effet de serre sont de 1,7 tonne par habitant dans les pays les moins développés alors que 35% de la population mondiale vit dans des pays où la moyenne est supérieure à 9 tonnes par habitant. À l'échelle mondiale, les 10% les plus riches sont responsables d'environ 40% des émissions, soit 15 fois plus par personne que les 50% les plus pauvres. Il est manifeste qu'on ne peut demander aux uns et aux autres de fournir les mêmes efforts.
Ce que l'on constate au niveau mondial se retrouve également au niveau national. Peut-on imposer des contraintes aux plus démunis qui continuent de rouler avec leurs vieux diesel et se dispenser d'importuner les plus aisés qui utilisent leurs jets privés pour rejoindre leurs résidences de luxe à Courchevel ou à Saint-Tropez? Fixer la ligne de partage entre le déni et la cure n'est pas chose aisée et les idées peuvent s'opposer férocement sur le point de savoir où il faut mettre le curseur; il n'est pas une seule politique «à la française» possible.
C'est quoi le «progrès» aujourd'hui?
Le chef de l'État obscurcit encore son propos en parlant d'une écologie «de progrès». On comprend bien que cette formule est uniquement destinée à discréditer les écologistes qui seraient des partisans d'un retour à la lampe à huile. Mais cela ne nous dit rien de ce que ce vocable peut signifier aujourd'hui.
Il y a un vingt ou trente ans, une autoroute permettant de désenclaver une ville ou d'en contourner une autre était considérée comme un progrès; aujourd'hui, une partie substantielle de la population y voit le le symbole d'une politique d'un temps révolu. Ce qui semblait acquis naguère ne l'est plus; la notion de progrès est à redéfinir.
En matière de lutte contre le réchauffement climatique, il est certain que la science et la technique peuvent être de puissantes alliées. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, on dispose de trois leviers: la substitution d'énergies décarbonées aux énergies fossiles précédemment employées, l'efficacité énergétique, qui permet de consommer moins d'énergie pour un même résultat, et enfin la sobriété. Le progrès scientifique et technique peut permettre des avancées sur les deux premiers points, mais la sobriété appartient à un autre registre. Elle dépend de l'organisation de la société et des comportements individuels.
Le rôle déterminant de la sobriété
Ainsi que le montrent les travaux menés par France Stratégie dans le prolongement du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, la sobriété a un rôle déterminant à jouer dans la transition écologique. Et là, on touche directement au mode de vie. On connaît le discours employé depuis Georges Pompidou: il ne faut pas «emmerder les Français».
[Photo : Ludovic Marin / AFP - source : www.slate.fr]
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