sexta-feira, 14 de outubro de 2022

Nick Cave : « À chaque fois que je monte sur scène, je me sens redevable »

À l’occasion de la parution d’un livre d’entretiens, le musicien australien se confie au “New York Times Magazine” dans une interview très intime. À 65 ans, Nick Cave revient sur la mort tragique de deux de ses enfants et le rôle que son public et la scène ont tenu dans sa reconstruction après le deuil. Il évoque aussi sa toxicomanie passée et Elvis Presley, et regrette la place qu’occupe aujourd’hui la morale dans la création : “C’est le pouvoir d’attraction et de répulsion du bien et du mal qui confère toute sa beauté à la création artistique.”

“J’essaie d’écrire, explique le musicien et auteur Nick Cave, en partant du principe que les épreuves de la vie, si terribles soient-elles, peuvent être source de rédemption et de sublime.” Avant de pouvoir considérer l’existence à travers ce prisme, il a payé le prix fort. En 2015, son fils de 15 ans, Arthur, s’est tué en tombant d’une falaise près de la maison familiale à Brighton, en Grande-Bretagne. Après coup, et avec le temps, Cave a réussi à apprécier la beauté fragile de l’existence. Ce vacillement s’incarne aussi dans sa musique. Nick Cave avait toujours été l’une des âmes damnées du rock, un auteur reconnu et un chanteur qui n’avait pas peur de la provocation et de l’abrasion lyrique et sonore, un infatigable explorateur des noirceurs de l’âme.

Peu à peu, cependant, il est devenu le vecteur lumineux d’albums et de concerts à la fonction cathartique, des moments de grâce, réconfortants et sincères – qui n’en sont pas moins sans compromission.

En dehors de la musique, son cheminement a pris forme avec [le site] The Red Hand Files, où lui qui était auparavant une personnalité terriblement intimidante répond de manière limpide et avec une attention touchante aux questions souvent existentielles qui lui sont soumises par les internautes. [Nick Cave assure avoir reçu près de 60 000 questions de ses fans. Il a publié plus de 200 réponses depuis la création du site en septembre 2018.]

Et cette métamorphose du sexagénaire australien [il a fêté ses 65 ans fin septembre] est justement le propos de Faith, Hope and Carnage, une série d’entretiens intimistes entre Nick Cave et le journaliste Sean O’Hagan, paru le 20 septembre [encore inédit en français]. Malheureusement, alors que les entretiens venaient de toucher à leur fin, le fils aîné de Cave, Jethro, est mort brutalement à l’âge de 31 ans [en mai]. “Tous les gens endeuillés savent que le temps du chagrin est compté, explique Cave quand on lui demande s’il a l’intention de poursuivre cette exploration du deuil. Mais par respect pour Arthur et Jethro, je ne peux pas me contenter de dire ‘Maintenant c’est bon, je passe à autre chose’.

Pour moi, la phrase la plus terrible du livre se trouve dans la postface de Sean. Il annonce que depuis la fin de vos entretiens, vous avez perdu un autre fils. Cela après environ 250 pages où vous expliquez comment vous avez réussi à retrouver du sens à la vie et à retourner auprès des vivants après la mort d’Arthur. Peut-être est-ce encore trop tôt pour que vous puissiez répondre, ou peut-être n’y a-t-il pas de réponse, mais comment pensez-vous continuer à avancer, après avoir perdu un autre fils ?

C’est difficile à exprimer, mais je sais très bien qu’on peut s’en sortir. Quand Arthur est mort, le pire pour moi c’était de me demander si cette souffrance allait un jour prendre fin. Je ne veux pas que tout ce que je dis et fais tourne autour du deuil, mais je me sens l’obligation de dire aux personnes dans cette même situation – et il y en a des centaines qui m’écrivent sur The Red Hand Files – qu’on peut s’en sortir. La plupart des gens qui m’écrivent, surtout ceux qui viennent tout juste de perdre quelqu’un, ne peuvent pas comprendre. Mais je sais exactement ce qu’ils ressentent. C’est ce qui se passe avec Jethro.

Avec la mort d’Arthur, la vie a fini par prendre pour vous une sorte de luminosité mystique qu’elle n’avait pas auparavant. J’ai ressenti la même chose lors de la perte d’un proche, mais j’avais également peur de voir ce sentiment disparaître avec le temps, et de devoir à nouveau faire le deuil de cet apaisement. Est-ce aussi l’une de vos inquiétudes ?

Un toxicomane qui arrête la drogue va ressentir une sorte d’euphorie passagère [Nick Cave a été accro à l’héroïne pendant la majeure partie des années 1980 et 1990]. La moindre promenade est un émerveillement. Ensuite il y a une sorte de descente et la vie reprend son cours normal. Il y a peut-être de ça dans le deuil, mais ma sensibilité religieuse, qui a toujours été présente en moi, a été exacerbée après la mort d’Arthur. Parfois je me sens plus mystique que les autres, mais j’ai toujours connu cette tension entre mes croyances religieuses et mon scepticisme et ma rationalité, ce que je considérais comme une faiblesse. Ce qui a changé chez moi, c’est que je vois désormais que ce n’était pas un défaut, que toute l’énergie de ma créativité venait de ce combat. Et ce conflit est peut-être l’essence même de l’expérience religieuse.

Votre père est mort quand vous aviez 19 ans. À l’époque, le deuil avait-il eu un effet différent sur votre musique par rapport à aujourd’hui ?

Je ne réalisais pas du tout les effets du deuil quand mon père est mort. Je crois que je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait. J’étais imperméable à tout, sauf à mes envies. Quand Arthur est mort, je me suis retrouvé au fond du trou, dans les ténèbres les plus effroyables. Il était presque impossible de distinguer quoi que ce soit en dehors du désespoir. Susie [sa femme depuis 1999, mère d’Arthur et de son frère jumeau Earl] et moi avons réussi, sans trop savoir comment, à nous sortir de là et – c’est un peu bête à dire – c’est en partie grâce aux gens qui continuaient à m’écrire et qui me disaient : “Je suis passé par là, voilà ce que vous allez traverser, voilà ce qui va se passer.” C’était extrêmement porteur et émouvant.

Les concerts que j’ai faits par la suite étaient aussi très forts, l’affection du public m’a sauvé. Mon public a été une source de réconfort prodigieuse, et maintenant à chaque fois que je monte sur scène, je me sens redevable.

[Lisez l'intégralité de cet article sur www.courrierinternational.com]

 

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