terça-feira, 11 de outubro de 2022

De l'influence des boules Quies sur la langue française

Les consonnes quiescentes sont celles que l'on a ajoutées à l'écrit alors qu'on ne les entend pas à l'oral. Soit pour des raisons étymologiques, soit... par erreur.

 
Écrit par Michel Feltin-Palas
 
Je suis certain que vous connaissez tous les boules Quies, ces protections auditives qui permettent de passer une nuit (à peu près) tranquille quand on s'aperçoit - trop tard - que celui ou celle dont on partage les nuits est un (ou une) épouvantable ronfleur (-euse). Mais savez-vous que ce mot, en latin, signifiait "calme", "tranquillité" et évidemment "quiétude" ? Savez-vous aussi qu'il s'agissait aussi du nom d'une divinité romaine servante du Dieu sommeil ? Savez-vous enfin qu'il est également à l'origine de l'expression "consonnes quiescentes", une formule un peu savante utilisée par les linguistes pour désigner ces lettres que l'on écrit, mais que l'on n'entend pas, comme le -d de "sourd" (justement) ?

Le plus souvent, celles-ci ont une origine étymologique, comme le montre l'exemple du mot "doigt". Ne me dénoncez pas à mon directeur de la rédaction, mais, de vous à moi, on pourrait parfaitement l'orthographier "doi". J'en veux pour preuve que cette graphie a eu cours en des temps reculés - si, si -, avant qu'il ne se produise un phénomène dont nous connaissons encore aujourd'hui les conséquences.
 
Effectuons un petit retour au Moyen Age et plaçons-nous au cœur de la chancellerie royale, soit l'épicentre de la haute administration. Pour composer les actes au nom du roi, celle-ci a longtemps recouru à la seule langue jugée digne de ce nom à cette époque : le latin. Jusqu'au jour où cela a commencé à déplaire aux monarques. La langue de Cicéron n'était-elle pas aussi, n'était-elle pas surtout, celle de l'Église catholique, cette puissance qui bridait leur autorité ? Aussi ont-ils commencé à partir du XIIIe siècle à demander que l'on rédige certains documents en français. "Le premier texte qui émane de la chancellerie date de 1254", précise Gilles Siouffi dans Mille ans de langue française (1). Le basculement n'est pas acquis pour autant. En 1328, au début du règne de Philippe VI de Valois, le latin domine encore largement.
 
C'est que les érudits employés au service du souverain rechignent. À leurs yeux, libeller des actes dans la langue du peuple est une faute de goût, presque une déchéance. Certes, ils vont finir par obéir - comment faire autrement ? - mais en profitant de la moindre occasion pour ... relatiniser en douce ce français qu'on les oblige à utiliser et dont la graphie n'est pas encore fixée. Pour cela, ils vont notamment ajouter ici et là des lettres que l'on n'entend pas : nos fameuses lettres quiescentes. Les Romains disaient digitus ? Ils décident donc de transformer "doi" en "doigt", avec un -g et un-t qui, selon eux, apportent à ce mot une note à la fois chic et antique.
 
Le mouvement est lancé ; il ne s'arrêtera pas.Tout au long de son histoire, que ce soit à l'initiative de lettrés divers, des imprimeurs ou de l'Académie française, notre langue se verra ornée à l'écrit de consonnes que l'on ne prononce pas à l'oral. Avec toutefois des fortunes diverses, comme le montrent ces quelques exemples :
 
Celles que l'on a gardées : outre "doigt",figurent dans cette listehiver (de hibernus, anciennement iver) ; "paix" (de pax, anciennement pais) ; "sept" (de septem, anciennement set) ; temps (de tempus, anciennement tems) ; vingt (de vingiti, anciennement vint).
Celles que l'on a perdues. Les graphies ci-dessus nous paraissent naturelles car nous les avons conservées, mais certaines formes qui furent en usage ont depuis disparu. Notre "dette" s'écrivit jadis debte (du latin debita) ; "fait", faict (de facta) ; "soudain" soubdain (de subitaneum). Et l'on peut se demander comment nous réagirions s'il nous fallait revenir à adjustement (d'après ad et justus) ; doubte (dubitare);nuict (noctem) ousaulmon (salmonem).
Celles qu'il n'est jamais venu à l'idée de personne d'ajouter. Si l'on respectait l'étymologie de manière rigoureuse, bien des mots changeraient de forme. "Avoir", par exemple, devrait céder sa place à havoir puisqu'il est issu du latin habere et "orge" à horge (hordeum).
Celles que l'on a ajoutées par erreur. Certaines graphies sont carrément loufoques.Pour rester avec notre h, savez-vous pourquoi il y en a un à "posthume" ? Parce que l'on s'est trompé ! Ce mot vient en effet du latinpostumus, "enfant né postérieurement au décès de son père". Mais on a cru y voir l'influence d'humare ("enterrer", "inhumer"). À ce compte-là, on pourrait aussi écrire posthérieur...
L'amusant est que l'écrit a une influence sur l'oral. De fait, nous avons parfois fini par prononcer ces fameuses lettres censées rester silencieuses. C'est ainsi que "arAIgnée" a pris le pas sur arAgnée (du latin aranea) et "suBtil "sur suti(l) (de subtilis). "Cette évolution tient paradoxalement à la montée du niveau d'éducation, indique le linguiste Mathieu Avanzi. Au fil des décennies, les Français se sont mis à articuler des lettres que l'on n'entendait pas auparavant, tout simplement parce qu'avec le recul de l'illettrisme, ils se sont mis à les voir. La prononciation a suivi l'orthographe."
Et c'est ainsi que certaines lettres quiescentes... ne le sont plus !
 
Sources
Mille ans de langue françaisepar Frédéric Duval, Alain Rey et Gilles Siouffi, Editions Tempus.
Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert
Chronologie, L'histoire de la langue française, par Frédéric Duval, Jacques Dürrenmatt, Jean Pruvost, Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt, Editons Bescherelle
- Page personnelle d'André Thibault, professeur à la Sorbonne. http://andre.thibault.pagesperso-orange.fr/
 
 
[Source : www.lexpress.fr]

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