De nombreux mots français proviennent de cette langue sémitique. Et pas seulement en raison de l'influence de la Bible.
Écrit par Michel Feltin-Palas
Avouez-le. Vous parieriez votre chemise que le mot cidre vient de Bretagne - crêpe oblige - ou à la limite de Normandie, le pays des pommes. Eh bien, vous la perdriez. Il s'agit en réalité de l'évolution de l'hébreu sekar, "liqueur empoisonnante, liqueur forte", devenu en grec sikera, puis en latin sicera "boisson fermentée". Ce terme évoluera plus tard en cisera avant que le [s] ne cède la place à un [d].
Eh oui ! On l'ignore souvent, mais, comme cidre, près d'un millier de termes de la langue française proviennent en ligne plus ou moins droite de l'hébreu, comme l'indique Henri Béhar, historien de la littérature française, dans un ouvrage qu'il vient de consacrer à ce sujet (1). En premier lieu, on trouve évidemment ceux issus de la tradition religieuse, de casher à cabale en passant par Belzébuth et sabbat. Un mouvement qui s'est accéléré avec la première traduction de la Bible en français, au XIIIe siècle. À partir de ce moment sont apparus en français différents noms communs comme jubilé, brouhaha ou tohu-bohu, mais aussi des noms de lieux qui nous sont devenus familiers tels Jérusalem, Palestine ou Bethléem. C'est de là aussi que sont issus de nombreux prénoms comme David, Adam, Eve, Daniel, Raphaël ou Séphora - dont il n'est pas inutile de rappeler qu'avant de devenir une marque de parfumerie, elle est d'abord la (très belle) épouse de Moïse. L'Ancien Testament, toutefois, n'explique pas tout. Au XXe siècle, la création de l'État d'Israël, accompagnée de ce phénomène rarissime que fut la résurrection d'une langue morte, aura, elle aussi, une influence sur notre vocabulaire. Voici quelques illustrations de ces différents apports :
· Jésus. À tout seigneur, tout honneur (c'est le cas de le dire) : Jésus porte un prénom prédestiné puisque Yeshoua signifie en hébreu "Dieu sauve". À noter que Messie (celui que Dieu a oint, et qui est autorisé de ce fait à parler en son nom) est également un terme d'origine hébraïque, à la différence de Christ, d'origine grecque. Ce qui n'empêche l'un et l'autre de cohabiter en bonne intelligence dans la composition Jésus-Christ.
· Judas. On le sait : Judas est le disciple qui aurait trahi Jésus en échange d'une somme de trente deniers. Ce que l'on sait moins, c'est que cet homme portait lui aussi un prénom prédestiné puisque, note Henri Béhar, "30 est la valeur numérique de Yehuda, en hébreu".
· Abracadabra. Popularisé par les magiciens, le mot renvoie en fait à la formule hébraïque rituelle ha-brakha dabra ("la prière a dit"), destinée à guérir ou à protéger.
· Amen. Ce terme qui termine la plupart des prières chrétiennes marque l'approbation des fidèles. On le traduit traditionnellement par "ainsi soit-il".
· Pâques. On ne s'en étonnera pas : le nom de la plus grande fête chrétienne est issu de l'hébreu Pessa'h, qui signifie "passage par-dessus". Dans les deux cas, il s'agit de marquer la rupture entre un "avant" et un "après" : la sortie d'Égypte de Moïse et des siens dans l'Ancien Testament ; la résurrection de Jésus dans le Nouveau. À noter toutefois que les deux termes s'orthographient différemment : la Pâque juive ne prend pas de -s, à la différence des Pâques chrétiennes.
· Shoah. Sans doute l'emprunt à l'hébreu le plus tristement célèbre de la langue française. Ce terme, qui signifie littéralement "catastrophe", a peu à peu remplacé le mot d'origine grecque Holocauste, qui désigne un sacrifice religieux.
· Kibboutz. Mot adopté sans transformation aucune à partir du terme hébreu désignant une propriété agricole collective, fonctionnant sur des principes strictement égalitaires.
· Knesset. Nom du Parlement israélien directement issu d'un terme biblique signifiant "assemblée", "réunion", "communauté".
· Echalote. Le saviez-vous ? Ce bulbe tire son nom de la ville d'Ascalon, en Palestine, dont il était la grande spécialité. C'est Rachi, grand savant juif du XIe siècle installé à Troyes, qui le baptisa pour cette raison eschaloines - d'après le latin ascalonia - avant qu'il n'évolue peu à peu pour prendre sa forme moderne.
· Alléluia. Ce cri de réjouissance signifie "louer Yahvé". Henri Béhar note qu'il est curieusement orthographié puisque le u est ici prononcé [u] ("ou"), comme en latin. Mais si vous ne comprenez pas pourquoi, ne vous inquiétez pas : après tout, tout cela, c'est de l'hébreu !
(1) Alléluia ! Je parle hébreu sans le savoir, par Henri Béhar, éditions Non Lieu
[Source : www.lexpress.fr]
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