«Chaque grande maison se doit d'avoir une Cologne.»
The Genuine Eau de Cologne. | Patrick Haney via Flickr
Écrit par Antigone Schilling
Classique des classiques et unisexe depuis des siècles, la Cologne se
caractérise par sa fraîcheur hespéridée. Longtemps admirable, elle est née en
Italie avant d'endosser, de façon générique et populaire, son actuel nom
rhénan. Utilisée de façon thérapeutique, elle n'est plus en purgatoire dans les
officines, mais s'incarne en pilier de la parfumerie. Une fraîcheur vivifiante
et joyeuse à redécouvrir.
De
l'Italie à Cologne
Terre d'agrumes, la péninsule a
développé des parfums volatiles, notamment au couvent de Santa Maria Novella à
Florence où les religieux préparaient des «eaux». Une célèbre Acqua di
Regina dut son nom à Catherine de Médicis en 1533. L'Officina Profumo de Santa Maria Novella fut
créée et ouverte au public en 1612. Les recettes se multiplièrent et les noms
en latin se déclamèrent, comme l'Aqua Mirabilis.
Supposées guérir de nombreux maux, ces eaux avaient
moult vertus. «C'est un antidote merveilleux contre toutes sortes
de venins, et un préservatif excellent contre le mauvais air et la peste. Elle
ouvre avec un égal succès les obstructions du foie, de la rate, et guérit les
maladies qui en sont la suite, comme jaunisse, puanteur d'haleine, et autres
semblables...»
À l'origine, ces compositions
pouvaient aussi se boire, pour le bien des grands corps malades.
Apothicaire, Giovanni
Paolo Feminis aurait réussi à obtenir en Italie le secret de
leur fabrication auprès de religieuses, et l'introduisit en Rhénanie au XVIIIe siècle.
À Cologne, son eau devint admirable (aqua mirabilis). Le négoce fut ensuite développé par un Jean
Marie Farina, peut-être neveu de Feminis. Héritière de la formule, cette
famille associa l'eau au nom de la ville de Cologne, qui vit la renommée de son parfum dépasser celle de
sa cathédrale ou de son carnaval. En 1727 ces eaux sont reconnues pour leurs
vertus par l'Académie de médecine de Cologne.
L'histoire se prolonge en
Allemagne avec la banque Mühlens et une recette donnée en cadeau de mariage. La
famille se mit à la commercialiser sous un numéro: «4711, la véritable Eau de Cologne», une
dénomination due à la numérotation des habitations qu'ont imposée les occupants
français sous Napoléon.
Eau de Cologne, flacon de 1811. | Archives de
la famille Farina via Wikimedia
Amateur de cette eau, l'Empereur la portait dans un flacon long et
vertical, rouleau posé droit dans ses bottes. Le canard Farina (sucre trempé)
est aussi apprécié à l'époque. Mais, quand Napoléon impose par décret en 1810 que les
formules de ces «remèdes» soient divulguées, les fabricants décidèrent
d'oublier l'aspect médicinal et privilégièrent l'usage externe pour ne pas
révéler leurs secrets.
Au XIXe siècle, les commerces de ces eaux parfumées sont nombreux
à Cologne. En 1865, on compte trente-neuf enseignes au nom de Farina.
L'histoire se déroule en
parallèle en France. Un membre de la famille Farina –celui qui créa le flacon
vertical pour Napoléon–, ouvre une boutique rue Saint-Honoré en 1806. Balzac
disait de ce parfumeur: «Sa
célébrité est telle qu'il peut se passer de publicité.» Lui
succéderont les époux Collas qui revendirent la maison à deux cousins, lesquels
sont à l'origine de la création en 1862 de la maison Roger & Gallet, tombée depuis dans le
giron de L'Oréal. Le nouveau propriétaire perpétue la fabrication de ces eaux
de Cologne classiques, dont la Jean Marie Farina, qui continue d'être composée
depuis 1806.
Chez Guerlain, plusieurs eaux
magnifiques ont traversé le temps, dont l'Eau du
coq de 1894. Dans son remarquable flacon décoré
d'abeilles, L'Eau de
Cologne impériale (1853) fut, elle, composée par Pierre
François Pascal Guerlain en l'honneur de l'impératrice Eugénie.
Créée en 1916, la maison Acqua di Parma renoue
avec l'italianité des Colognes et dessine un univers jaune en hommage au soleil
d'Italie, puis bleu pour la Méditerranée. Toujours à l'honneur, les agrumes se
redécouvrent. Ainsi d'un Chinotto
di Liguria, un agrume amer méconnu, hormis des personnes adeptes de
sodas italiens.
En dépit de ses qualités et de sa
renommée chez Roger & Gallet ou Guerlain, l'eau de Cologne est souvent
perçue comme un produit de qualité inférieure ou comme une potion à frictionner
achetée en pharmacie. Proposée dans des contenants plus volumineux et sans
atomiseur, sa concentration souvent jouée en mineur s'utilise généreusement en
splash.
Avec le temps, elle devint un genre
mineur de la parfumerie. Quand Jean Claude Ellena la
décrivait dans son Que
sais-je?, il écrivait: «Ce produit est lié aujourd'hui
à un geste de confort et d'hygiène souvent attaché à la pratique du sport.»
Fraîcheur
L'eau de Cologne se caractérise par
sa tête fraîche dosée d'agrumes. Ces notes dites hespéridées sont
associées au jardin
mythique du même nom (la Sicile, pour les Romains). Hercule
dut, pour l'un de ses douze travaux, dérober des pommes dudit jardin. Ces
fruits mythiques, cadeau de mariage à Héra, seraient plutôt des oranges.
Bergamote, néroli, petit-grain (distillat des branches, feuilles des arbres,
souvent le bigaradier ou
orange amère) et fleur d'oranger parfument les Colognes. Avec le temps et la
découverte de nouveaux agrumes, leur palette s'est élargie, pouvant
s'orientaliser de yuzu, kumquat… sans oublier que la mandarine est chinoise.
Dans l'Encyclopédie de Diderot, la Cologne est définie comme un «alcool aromatisé par un grand nombre
de plantes, et distillé sur ces aromates». Sont cités parmi les ingrédients, le romarin, l'eau
de mélisse, la bergamote, le néroli, le cèdre et le citron.
L'odeur de la Cologne se caractérise
par sa signature hespéridée en tête, qui domine une fragrance enrichie des
notes aromatiques du lavandin et du romarin. Leur concentration ont, en
principe, le pourcentage le plus bas (entre 2 et 5%). Suivent les eaux de
toilette, puis les eaux de parfum et les extraits (plus de 20%). Mais, aux
États-Unis, le terme de Cologne est plus générique et peut qualifier tout
simplement un parfum ou une eau de toilette.
Renouveau
Jusque dans les années 1980, l'eau de
Cologne est moins noble que le parfum. Vendue souvent en pharmacie, elle
s'utilise en frictions avec un geste généreux.
Depuis une première vague de Colognes
imaginées par et pour des créateurs de mode, elles sont (re)devenues tendance
au début des années 2000. Dans la fleur de son succès, Helmut Lang posa
le nez sur une parfumerie originale et choisit de réinventer une Cologne en
l'an 2000 (relancée en 2014). Maurice Roucel a
travaillé avec le créateur sur le projet de deux parfums sans genre mentionné,
une appellation Cologne plutôt masculine et une eau de parfum féminine; les deux
ayant 80% de leurs composants en commun. Maurice Roucel se souvient que le
créateur voulait pour la Cologne l'évocation de l'odeur d'un compagnon après
une étreinte. Sa composition est plutôt aromatique: lavande, romarin, cœur
floral et fond boisé poudré.
Après le succès d'Angel, Thierry Mugler arriva
en 2001 là où l'on ne l'attendait pas avec sa Cologne, jouant sur l'ambiguïté
d'un parfum sans sexe. Un être janusien incroyable lui servit de support de
communication, tandis que sa Cologne, d'un vert acidulé presque pop, osait
mêler aux senteurs classiques de bergamote, néroli, petit-grain et fleur
d'oranger, un nouvel accord baptisé «S» (pour sexe?), afin de susciter une touche
de sensualité sur fond de muscs blancs.
Une très belle création d'Alberto Morillas qui se souvient: «Je voulais faire une Cologne très
fraîche avec une overdose de musc. La fameuse molécule “S” était un clin d'œil pour ramener une note que certains reconnaissent immédiatement mais d'autres
pas. Avec cette Cologne, je voulais prouver qu'avec une overdose elle était
aussi puissante qu'un parfum.»
La Cologne retrouva son prestige
et une nouvelle aura. De nombreux lancements suivirent. En 2002, Comme des garçons imagine une série Cologne avec
Vettiveru, Citrico et Anbar. En 2003, la Cologne bigarade de Jean-Claude Ellena
chez Frédéric Malle est très orange amère, épicée de
poivre rose et de cardamome. En 2004 Dior lance une magnifique collection de
Colognes (prémices de Maison Christian Dior), avec trois opus dont une
incroyable Eau noire aux arômes de fougère et de réglisse composée par Francis Kurkdjian, ainsi qu'une Cologne blanche et un
Bois d'argent d'Annick Ménardo. Nommé parfumeur maison, François Demachy ajouta en 2010 à la collection
une Cologne royale très hespéridée avec bergamote, citron, néroli et menthe.
Selon le parfumeur, «chaque
grande maison se doit d'avoir une Cologne».
Chez Chanel figure dans la collection des exclusifs,
une Cologne composée en 2007 par Jacques Polge: mandarine, bergamote, sur cœur néroli et
fond floral.
Francis Kurkdjian a composé en
2009 pour sa maison éponyme une Cologne à mettre le matin et une à porter le
soir. La matinale est toute en fraîcheur: bergamote, citron sur cœur thym
blanc, lavande et fond néroli un peu poudré. La tenue de soirée est plus
opulente, voluptueuse avec ses notes roses et miel et encens sur benjoin. Thierry Wasser a ajouté un nouveau chapitre aux
fleurons historiques avec la Cologne du parfumeur, en 2010. S'il rend hommage à
une fleur d'oranger calabraise, il l'entoure de notes vertes sans oublier un
zeste de citron et de bergamote. Dominique Ropion pour Frédéric Malle a imaginé une
Cologne indélébile, à l'opposé de l'idée évanescente d'une fragrance fraîche
qui fait trois petits tours et puis s'en va. Pour la parfumeur, l'idée était de
durer dans le temps autour d'un accord absolu de fleur d'oranger, de bergamote,
de citron, de romarin et de narcisse, auquel il a ajouté beaucoup de musc pour
jouer les prolongations.
Atelier Cologne raconte des histoires sur ce thème
et fait le tour des agrumes: Orange sanguine, Pomelo Paradis, Bergamote soleil,
Cédrat enivrant. Les eaux flirtent avec le concept de la Cologne chez Hermès, à l'iconique Eau d'orange verte, Jean Claude
Ellena a ajouté des Colognes autour du pamplemousse rose et d'une gentiane
blanche (exquise). Selon le parfumeur: «En
remettant les eaux de Cologne en selle comme je le fis chez Hermès et chez
Frédéric Malle, je voulais renouer avec l'image aristocratique de l'eau de
Cologne; ce qui me semble juste avec notre époque où une forme de nouvelle
aristocratie est en place. L'homme de gauche que je suis est conscient qu'il
existe une nouvelle aristocratie non basée sur la possession de terre ni sur le
mérite républicain; mais sur la fortune parfois immédiate, celle du
paraître.» Il la définit ainsi: «Simplicité,
immédiateté, fraîcheur, non genre du propos. Elle ne devrait pas être tenace.»
Aujourd'hui
Cette année 2019 s'annonce sous le
signe de la Cologne. Mugler relance son icône avec une collection haute en
couleur et cinq Colognes en héritage, à mélanger: Love You All, Run Free, Come
Together, Take Me Out, Fly Away. La marque apporte toujours une dimension pop à
la Cologne tout en réinventant une histoire autour de la création d'Alberto
Morillas.
Pour les parfums Louis Vuitton, Jacques Cavallier-Belletrud a
imaginé des Colognes à porter en été. Sun Song, autour de la fleur d'oranger et
du citron. Cactus Garden, autour du maté, de la bergamote et du lemongrass (qui
n'est pas exactement de la citronnelle). Afternoon Swim, un festival d'agrumes.
La marque Couvent
des Minimes lance de nouvelles collections dont des Colognes
botaniques en continuant l'histoire d'un botaniste du XVIIe siècle, Louis Feuillée. Les
noms latins mettent en scène le terme eau: Aqua Mysteri, Aqua Solis, Aqua
Paradisi, Aqua Sacrae, Aque Nymphar. Nommé à la direction de la création
olfactive de la marque, Jean Claude Ellena va y mettre sa patte et son nez.
Pour sa marque personnelle, Mizensir, Alberto Morillas a imaginé des Colognes, un
White Néroli au début, et l'ajout de trois nouveautés. Cœur de Cologne marie
néroli, fleur d'oranger, bergamote, citron, liatris, muscs, encens. Cologne de figuier mêle un
esprit hespéridé au croquant vert d'une feuille de figuier froissée. Cologne du
maté fusionne la mandarine et le thé mâtiné de maté.
Aurélien Guichard, qui lance à l'automne sa marque Matière première, a composé une Cologne au cédrat avec
des notes épicées de poivre noir et de baie rose.
Classique
des classiques, la Cologne a aujourd'hui retrouvé piquant et noblesse.
Fraîchement dans l'air du temps, elle possède aussi l'immense atout de ne pas
avoir besoin d'être définie par son genre. En souvenir de son passé, on peut
encore s'en asperger généreusement dans un grand splash.
[Source : www.slate.fr]
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