domingo, 7 de abril de 2019

Une exposition sur la mode musulmane fait polémique en Allemagne

Porter le voile est-il un acte politique ? Une forme de soumission ? Une affaire de style ? Avant même son inauguration à Francfort, le jeudi 4 avril, une exposition sur la mode islamique suscite la controverse en Allemagne. 
Chanel #VII et Valentino #X : deux clichés de la série Al-Kouture, du photographe Wesaam Al-Badry, qui sont à voir
 au musée des Arts appliqués de Francfort dans le cadre de l’exposition “Contemporary Muslim Fashions”. 
Photo : WESAAM AL-BADRY, 2018.



Du jamais-vu à l’entrée du musée des Arts appliqués de Francfort. À partir du 5 avril, les visiteurs qui viendront visiter l’exposition Contemporary Muslim Fashions (“les modes musulmanes contemporaines”) devront se soumettre à un contrôle des sacs et passer par des portiques de sécurité. Il faut dire qu’avant même son vernissage, le 4 avril, l’exposition a suscité le débat dans la presse et les médias allemands.
Pour faire la publicité de l’événement, le musée des Arts appliqués de Francfort a utilisé des clichés de la série Al-Kouture du photographe américano-irakien Wesaam Al-Badry. Des portraits de femmes en niqab, dont on ne voit que les yeux et dont le voile bigarré affiche le logo de marques de luxe occidentales. Alors quoi, s’est emportée la Frankfurter Allgemeine Zeitung : “Nous ne sommes pas pour l’oppression des femmes ici, mais on peut accepter un peu d’oppression symbolique si les voiles sont colorés et suivent la mode ?”

Une “gifle” à toutes les femmes obligées de porter le voile

Sous le titre “La tolérance nous rend aveugle”, le quotidien conservateur a dénoncé les inquiétants dérapages auxquels conduirait l’envie de promouvoir à tout prix une société multiculturelle et ouverte :
L’exposition plaide pour une dépolitisation du vêtement, or celui-ci n’est justement pas qu’une mode. Adoptant la perspective occidentale qu’ils entendent précisément remettre en question, les défenseurs de la diversité culturelle aiment à clamer haut et fort : c’est juste différent de ce qui se fait chez nous, pas mauvais en soi !”
Des féministes ont aussi donné de la voix. L’organisation Terre des femmes a affirmé que l’exposition était “une gifle aux petites filles et aux femmes du monde entier qui voudraient pouvoir circuler tête nue, rapporte Der Spiegel. Monireh Kazemi, une journaliste et militante du droit des femmes, originaire d’Iran, est également montée au créneau, raconte la radio publique Deutschlandfunk Kultur sur son site Internet“En Iran, nous devons porter le voile. Nous savons par expérience ce que c’est que de devoir, contre sa volonté, se couvrir le corps et se voiler la tête”, a-t-elle déclaré.
La Deutschlandfunk Kultur souligne toutefois le contresens qui est fait sur le travail de Wesaam Al-Badry : “Ce qui est intéressant, c’est qu’on utilise ce travail pour critiquer l’exposition alors qu’il dénonce ce que critiquent les détracteurs de l’exposition.” En effet, la série Al-Kouture ne pose pas seulement la question de savoir si ces niqabs colorés et griffés seraient plus acceptables pour un œil occidental. Elle interroge aussi l’influence que de grandes marques comme Chanel ou Valentino ont sur les traditions vestimentaires islamiques.
Extrait de Somewhere in America (2013). Dans cette vidéo, projetée à Francfort, le réalisateur américain Habib Yazdi met en scène des “Mipsterz”, 
des hipsters musulmanes. Photo : HABIB YAZDI.


Un marché en pleine croissance

“Il n’y a pas eu toute cette excitation à San Francisco”, où l’exposition a été montée du 22 septembre 2018 au 6 janvier 2019, observe pour sa part la Süddeutsche Zeitung. Là-bas, “l’exposition a été accueillie par une vague de solidarité avec un groupe de population qui se trouvait ostracisé par le muslim ban de Donald Trump”. En Allemagne, le contexte est tout autre. Selon le journal de centre gauche, il serait “impensable” qu’une responsable politique allemande porte le voile en signe de solidarité, comme l’a fait le Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern après l’attentat perpétré contre la mosquée de Christchurch :
On assiste en revanche à un effet curieux, à savoir que féministes et extrémistes de droite se rejoignent sur la question. L’islamophobie est sans doute la seule xénophobie qu’on défend avec un certain succès en invoquant la démocratie et les droits des femmes.”
Pour la Süddeutsche Zeitung, la polémique sur l’exposition passe à côté du véritable enjeu : “Le marché de la mode islamique est en pleine croissance. Les musulmanes ont consacré 44 milliards de dollars à la mode en 2016 et 2017, soit un sixième des achats de vêtements de tous les musulmans. Des marques comme DKNY coordonnent leurs campagnes avec le ramadan. Harrods de Londres a lancé le Harrods Hajj pour donner le coup d’envoi de la saison des pèlerinages. Des blogueuses, vlogueuses et influenceuses comme l’Indonésienne Dian Pelangi comptent des millions de followers. Des plateformes comme le site turc Modanisa et The Modist de Dubaï font du port du voile une tendance.”

Le privilège des élites

Et c’est bien ce dynamisme que Contemporary Muslim Fashions entend montrer. L’exposition, imaginée par le conservateur de musée autrichien Max Hollein, entremêle photos, vidéos et vêtements – des voiles, mais pas seulement, loin de là. Der Spiegel, qui a vu visiter l’exposition avant son vernissage, le souligne : “On en sort de bonne humeur. On peut voir des robes, des tenues de stylistes du monde entier. Pas de burqa, pas de voile intégral, pas de cage de textile noir. Il s’agit davantage de réponses fières à la contrainte et à l’uniformité. On combine, on cite, on associe, on parodie et on usurpe.”
La Süddeutsche Zeitung partage ce constat : “Malgré tout, l’exposition se veut une vitrine de l’autoaffirmation des femmes et de l’imagination féminine. Elle y parvient très bien à plus d’un égard.” Le quotidien cite en exemple le travail d’une marque indonésienne : “Quand on tombe sur les vêtements de Nurzahra, dont les combinaisons de plusieurs couches réinterprètent de façon totalement nouvelle les motifs bleu et blanc des anciens colons néerlandais, on se demande pourquoi des modèles de ce type ne sont pas dans un musée depuis longtemps.”
À Abu Dis, dans les Territoires occupés palestiniens, en 2013. Des étudiantes, membres de l’équipe de javelot de l’université Al-Quds, 
s’entraînent une dernière fois avant la pause estivale. Photo : TANYA HABJOUQA / NOOR
Le quotidien de Munich n’a en fin de compte qu’un seul regret : que l’exposition ne mette pas davantage en avant l’ambiguïté du voile. Certaines femmes le portent volontairement, mais des centaines de millions d’autres n’ont pas le choix. Pour les athlètes d’Égypte ou des pays du Golfe, il est vital que des marques comme Nike commercialisent des hidjabs adaptés à la pratique sportive, car sans cela, elles ne pourraient même pas s’entraîner. “La mode leur procure un espace. Reste à savoir si ces femmes ne préféreraient pas s’entraîner sans voile”, souligne le journal. Il poursuit :
Le voile, comme toutes les modes ‘islamiques’, est chargé d’ambivalence : il est émancipateur pour l’une, oppresseur pour l’autre. Une femme qui porte le voile en Allemagne fait peut-être passer un message politique, sa coreligionnaire qui vit en Irak ou au Yémen ne fait que céder à la pression sociale. C’est surtout vrai pour les femmes pauvres, il est déprimant de constater que les élites aisées, éduquées, cosmopolites peuvent se permettre bien plus de choses.
  • Contemporary Muslim Fashions, au musée des Arts appliqués de Francfort jusqu’au 15 septembre 2019. L’exposition est ensuite annoncée à Rotterdam, aux Pays-Bas, puis à New York, aux États-Unis.


[Source : www.courrierinternational.com]

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