quarta-feira, 27 de março de 2019

Cinéma politique français, oxymore ?




Écrit par
Jean-Paul Brighelli

J’ai vu coup sur coup deux excellents films politiques, au meilleur sens du terme: Vice d’Adam McKay, en janvier, et la Chute de l’empire américain, de Denys Arcand, sorti ces dernières semaines. Deux réussites totales dans des genres a priori différents — car le film politique est d’une grande plasticité.

D’un côté, la biographie d’un salopard en chef bien réel, épaulant pour son plus grand profit un crétin patenté (Bush Junior, magnifiquement interprété par Sam Rockwell), de l’autre une fiction autour des aventures d’un naïf aux prises avec quelques dizaines de millions de dollars indéclarables au fisc canadien. De part et d’autre, le fric — car comme disait l’autre barbu, le facteur économique est déterminant en dernière instance. Deux fictions — le documentaire politique, c’est encore autre chose, et de Frédéric Rossif à Romain Goupil, nous savons faire. Et la fiction, écrite ou filmée, bien mieux que le documentaire ou l’essai, est capable de dire l’essentiel d’une époque sans se préoccuper de l’exactitude de détail, que les vrais créateurs laissent aux historiens et aux comptables de poils à couper en quatre.

Pendant ce temps, le cinéma français se regarde le nombril avec insistance, et s’enfonce dans des histoires de couples plus ou moins recomposés ou différents, de la grosse rigolade franchouillarde aux problèmes existentiels en gros plans interminablement muets.
J’ai commencé par penser que nous avions perdu la main — puis je me suis demandé si nous l’avions jamais eue. Certes, tout Godard est politique — mais parfois de si loin, et dans un langage cinématographique si abscons (Remember Weekend ?) qu’il en devient illisible, étant entendu qu’on « lit » un film de Godard, on ne le regarde pas. Alors quoi ? Le Président, d’Henri Verneuil ? 1961 ! Les Grandes familles, de Denys de la Patellière ? 1958 ! La Belle équipe, de Duvivier ? 1936 ! Comme la Marseillaise… Je vais finir par croire que le Professionnel (Lautner, 1981, avec une célèbre musique de Morricone) était un film politique…
Les films politiques qui ont nourri mes années de formation étaient italiens — Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Elio Petri, 1970), le Conformiste (Bertolucci, 1971), l’Affaire Mattei (Francesco Rosi, 1972). Quand les capitaux étaient français, le metteur en scène — Costa-Gavras — était grec (et les Grecs savent faire du cinéma politique, ô combien !). Voir Z ou l’Aveu.
Pendant que les Américains liquidaient cinématographiquement le Viet Nam, d’Apocalypse now à Voyage au bout de l’enfer ou Platoon, quel film avons-nous produit sur la guerre d’Algérie ? Une allusion à la torture dans le film d’Alain Resnais, Muriel, a failli rapporter au metteur en scène une interdiction totale, heureusement qu’il était marié avec la fille de Malraux. Rien qui soit à la hauteur des Centurions (Mark Robson, 1966, adaptant un livre écrit par un Français, Jean Lartéguy — mais voilà, il n’a pas eu le bonheur d’être aimé à gauche, son éloge des paras gênait les admirateurs du Petit Père des peuples) ou de la Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo (1971 — un film que les militaires américains ont passé et repassé en boucle aux stagiaires et apprentis en coups d’État de l’École des Amériques, un film que les gouvernements uruguayen et mexicain ont interdit de peur qu’il ne donne des idées aux peuples les mieux asservis). Même les Algériens ont fait un film (admirablement lyrique) sur une guerre qu’ils n’ont jamais gagnée sur le terrain, mais qu’ils ont su revendiquer pendant que nous nous enfouissions la tête dans le sable du désert (Mohamed Lakhdar-Amina, Chronique des années de braise, 1975, revenu de Cannes en 1975 avec la Palme d’or).

Soyons objectif : Avoir vingt ans dans les Aurès, malgré ses naïvetés cinématographiques, était un film intéressant. Mais à part ça ? On me dit du bien de l’Ennemi intime — mais je ne l’ai pas vu, si Dupontel est un immense acteur, Benoît Magimel me donne des boutons.

Et depuis ? Les Espagnols savent en finir avec la guerre civile (la Isla minimachroniquée ici-même, avait un arrière-fond politique tenace), les Argentins savent régler les comptes de la dictature (l’Histoire officielle en 1986, ou Dans ses yeux, en 2009), les Allemands savent liquider l’Allemagne de l’Est (Good Bye Lenin ! en 2003, et mieux encore, la Vie des autres en 2007). Les Britanniques même savent faire — voir Billy Elliott, les Virtuoses, The Full Monty et la plupart des films de Ken Loach ou de Stephen Frears. Et j’en passe.

Pendant ce temps, les Français creusent encore leur nombril, et vu l’hypertrophie de ce point d’ancrage dans l’utilisation du compas national, ils n’ont pas fini de forer… L’autofiction a saisi le cinéma après avoir englouti la littérature. Il ne reste plus qu’à mettre en scène les mésaventures d’Edouard Louis et de Didier Eribon, et nous aurons enfin atteint le fond.
Entendons-nous : on ne fait pas plus de bon cinéma que de bonne littérature avec de bonnes intentions ou de bons sentiments. Les films « politiques » d’Yves Boisset (ah my gode, comme disait Mae West, rappelez-vous l’inénarrable Dupont-Lajoie, en 1975, malgré Jean Carmet, Isabelle Huppert et quelques autres) ne sont pas du cinéma, mais des bonnes intentions en 35mm.
À vrai dire, je m’y suis collé moi-même. Mais Main basse sur une île, en 2011, malgré la réalisation énergique d’Antoine Santana, reste un film de télévision — circonscrit de surcroît à la Corse.
C’est que si nous hésitons à faire du cinéma politique (au sens que je donne à ce terme : construire une fiction qui rende compte d’une époque), c’est peut-être que les producteurs n’ont aucun goût pour d’autres sujets que les enculages de diptères germano-pratins ? Quai d’Orsay, qui ne manquait pas de qualité, était au mieux une pochade, où seul Niels Arestrup mettait un poids inquiétant. Mais Thierry Lhermitte composait un Villepin virevoltant fort drôle — et déconnectait le film de tout sens politique.
Quant au cinéma historique, il ne faut pas y penser. Pendant que les Anglais font des merveilles avec les aventures d’Elisabeth Ière (non, pas avec Marie Stuart, qui est une calamité filmée où au bout de dix minutes on souhaite voir s’abattre la hache du bourreau sur le cou de l’épouvantable Saoirse Ronan, mais avec Cate Blanchett en 1998), de la reine Anne (avec Olivia Colman et Rachel Weisz dans la Favorite), ou de Victoria avec Confident royal (2017 — Judi Dench sublimissime), nous sommes incapables de faire un film en costumes — nous qui avons excellé dans le genre, rappelez-vous Jean Marais dans ses œuvres, ou Adjani dans la Reine Margot — 25 ans déjà !
C’est bien un problème de production — et d’ego des réalisateurs. On confie des caméras à des gamins et des gamines qui n’ont rien de plus pressé que de filmer les cicatrices de leurs boutons d’acné. Rendez-nous Jean Renoir !
À moins que nous soyons un pays fini — et les carences de création ont toujours été des marqueurs infaillibles des pays finis, des régimes à bout de souffle, des empires qui s’écroulent. Après Suétone ? Macrobe ! Lactance ! Et tous les écrivains chrétiens soucieux de souffler sur les cendres.
Un de ces quatre, nous nous apercevrons que nous sommes l’ombre de nous-mêmes — l’ombre de notre ombre, l’ombre de nos chiens.

PS. Je sors du Chant du loup, qui a failli être un très bon film politique — mais par quelle perversion le metteur en scène, qui est tout de même un garçon à suivre, a-t-il cru nécessaire d’inclure une scène de cul sans intérêt dans ce huis-clos sous-marin ? Il aurait pu rivaliser avec le Bateau de Wolgang Petersen ou l’Octobre rouge de John McTiernan — et quelques scènes sont presque des parodies de thrillers américains. Très regardable, mais quel dommage…




[Source : www.causeur.fr]

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