Le Prix spécial de médiation
2019 est attribué au Centre de traduction littéraire de Lausanne (CTL) et le
Collège de traducteurs Looren, qui ont joué un rôle significatif dans la
reconnaissance de la traduction littéraire. Les directrices de ces deux
institutions, Irene Weber Henking (à droite) et Gabriela Stöckli,
reviennent sur cette évolution et partagent leur vision de löckli, reviennent
sur cette évolution et partagent leur vision de l’avenir.
Le
Centre de traduction littéraire de l’Université de Lausanne (CTL), que vous
dirigez depuis 1999, fêtera ses trente ans en 2019. Quels changements avez-vous
pu observer dans le domaine de la traduction littéraire ?
Prof. Irene Weber Henking, directrice du
CTL :
Les changements sont importants : les traductrices et traducteurs littéraires ont gagné en visibilité sur la scène publique. La dimension créative de leur travail est désormais reconnue. De plus, tout un système de formation a été mis en place en Suisse, de la formation de base jusqu’à la formation continue des traducteurs établis. Il y a vingt ans, on pensait que tout le monde dans ce pays était bilingue, plurilingue même, et que la traduction coulait de source. Aujourd’hui on sait que ce n’est pas le cas. Et les traductrices et traducteurs ont une meilleure conscience de leur rôle dans le marché littéraire.
Les changements sont importants : les traductrices et traducteurs littéraires ont gagné en visibilité sur la scène publique. La dimension créative de leur travail est désormais reconnue. De plus, tout un système de formation a été mis en place en Suisse, de la formation de base jusqu’à la formation continue des traducteurs établis. Il y a vingt ans, on pensait que tout le monde dans ce pays était bilingue, plurilingue même, et que la traduction coulait de source. Aujourd’hui on sait que ce n’est pas le cas. Et les traductrices et traducteurs ont une meilleure conscience de leur rôle dans le marché littéraire.
Le CTL a joué un rôle clef
pour la reconnaissance de la traduction littéraire. Quelle est sa
singularité ?
I.W.H. : Le CTL est le premier institut en Suisse à avoir joué le rôle de pont entre
les différents acteurs du monde de la traduction : auteurs, traducteurs,
maisons d’éditions, lecteurs, monde scientifique, festivals littéraires. Nous
avons joué le rôle de passeur. Je n’aime pas utiliser ce mot de
« passeur » pour les traducteurs, mais le CTL a effectivement joué ce
rôle-là. Et nous avons commencé ce travail à une époque à laquelle personne ne
s’y intéressait. Aujourd’hui, nous travaillons avec un très large réseau de
partenaires, sans qui nous ne pourrions pas mener à bien toutes nos activités.
Au niveau universitaire, nous sommes toujours le seul institut suisse à offrir
une formation en traduction littéraire. Dix langues sont proposées, dans une
multitude de combinaisons. Je ne connais d’ailleurs aucun autre programme qui
offre une telle panoplie de langues.
Le CTL a une position
particulière, ancré à la fois à l’Université de Lausanne et dans le milieu
littéraire. Est-ce une force ?
I.W.H. : Ce double ancrage ralentit certaines prises de décisions, mais nous en
tirons surtout de la force : nous bénéficions d’un soutien du monde
académique et touchons un large public. Nous organisons régulièrement des
lectures en dehors de l’université, permettant aux auteurs et traducteurs de
rencontrer leurs lecteurs, ce qui complète d’une manière idéale la transmission
des savoirs théoriques à l’université. Là encore, nous jouons un rôle de pont.
De plus, c’est un réel gain de temps et
d’énergie que de pouvoir, rapidement, mettre les traducteurs et étudiants en
relation avec des spécialistes de langues et littératures, qui sauront répondre
à leurs questions sur des textes en hindi, latin, italien ou encore allemand.
Que représente ce Prix
suisse de médiation, récompensant à la fois le CTL et le Collège de traducteurs
Looren ?
I.W.H. : C’est la reconnaissance officielle d’un travail mené en Suisse romande avec
des moyens très restreints. L’engagement de toutes les personnes qui ont
travaillé dans la petite équipe CTL est récompensé, mais aussi celui des
traductrices et traducteurs avec qui nous avons collaboré. En trente ans, ils
ont été environ cinq cents à donner des ateliers, des conférences ou des
lectures.
Quant au Collège de traducteurs de Looren, sa
création a été une excellente nouvelle : le lieu de résidence qui nous
manquait ouvrait enfin ses portes. Nos activités sont très complémentaires et
nous collaborons régulièrement. Cette double récompense est un grand bonheur.
Ce prix montre, en effet, que nous avons su créer un réseau pour la traduction
littéraire couvrant toute la Suisse. Ce prix renforce notre légitimité et nous
offre une belle base pour continuer.
Quels les points restent à
améliorer selon vous ?
I.W.H. : La visibilité des traductrices et traducteurs doit encore être défendue,
les acquis sont fragiles. Il reste aussi du travail dans la critique des
traductions dans les médias. Le style du traducteur est trop souvent confondu
avec le style de l’auteur et nous connaissons très mal l’histoire de la
traduction, pourtant cruciale pour la littérature suisse. Enfin, la traduction
de/vers l’italien doit être mieux soutenue, que ce soit par le biais des maisons
d’éditions ou peut-être par la création d’un nouveau prix. Nous devons veiller
à l’équilibre des langues en Suisse, mais sans nous limiter aux quatre langues
nationales. Il existe en Suisse une véritable polyphonie littéraire. Celle-ci
se construit grâce à la traduction, et pas seulement entre les quatre langues
officielles.
***
Mme Stöckli, partagez-vous le constat d’Irene Weber
Henking sur la visibilité de la traduction littéraire ? Avez-vous pu
observer ce changement depuis que vous dirigiez le Collège de traducteurs
Looren, à savoir depuis sa création en 2005 ?
Dr. Gabriela Stöckli, directrice du Collège
de traducteurs Looren :
Oui, la visibilité de la traduction littéraire et l’intérêt qui lui est porté ont considérablement augmenté. Pour vous donner un exemple : nous organisons tous nos manifestations publiques (lectures, tables rondes etc.) avec des partenaires. Au début, il était difficile de trouver des personnes intéressées à programmer des rencontres sur la traduction ou avec des traductrices et traducteurs. Ça a beaucoup changé : aujourd’hui, il est reconnu que le discours sur la traduction et la prise de parole des traductrices et traducteurs sont des contributions pertinentes à la compréhension de la création littéraire et des échanges culturels.
Oui, la visibilité de la traduction littéraire et l’intérêt qui lui est porté ont considérablement augmenté. Pour vous donner un exemple : nous organisons tous nos manifestations publiques (lectures, tables rondes etc.) avec des partenaires. Au début, il était difficile de trouver des personnes intéressées à programmer des rencontres sur la traduction ou avec des traductrices et traducteurs. Ça a beaucoup changé : aujourd’hui, il est reconnu que le discours sur la traduction et la prise de parole des traductrices et traducteurs sont des contributions pertinentes à la compréhension de la création littéraire et des échanges culturels.
Quel rôle le Collège de
traducteurs Looren dans cette visibilisation ?
G.S. : Nous avons toujours consacré l’essentiel de notre énergie aux partenariats
stratégiques pour valoriser et rendre visible le travail des traducteurs. Nos
collaborations avec des structures partageant nos buts, comme le CTL, sont
essentielles et nous sommes ravis de recevoir ce prix spécial avec le CTL.
La visibilité, c'est la perception du public
et la reconnaissance de la profession, mais c'est aussi un premier pas vers de
meilleures conditions de travail. Dans ce contexte, la coopération avec les
associations est une préoccupation importante pour nous. Nous travaillons
également avec des maisons d’éditions, des institutions internationales et
sommes intégrés à un réseau européen de centres de traduction.
Entre 2009 et 2012, Pro Helvetia a réalisé le
programme « Moving Words », dans le cadre duquel la diffusion
internationale de la littérature suisse, que nous essayons également de
soutenir, a été complétée par une extension du soutien direct aux traducteurs.
Il en a résulté une coopération efficace et durable.
Vous avez accueilli des
traductrices et traducteurs travaillant dans une grande diversité de langues.
Cette ouverture aux langues s’est-elle imposée dès le départ ?
G.S. : Plutôt que de choisir cette ouverture, nous avons renoncé à énoncer des
restrictions quant l'origine de nos résidents. Le fait d’être une institution
privée, quoique soutenue par les pouvoirs publics, nous permet de prendre de
telles décisions. Nous en tirons une belle reconnaissance internationale. Et,
surtout, cela nous permet d'atteindre notre objectif principal, à savoir la
promotion directe des traducteurs du monde entier en offrant des bourses de
séjour pour nos hôtes, qui travaillent dans une grande variété de combinaisons
linguistiques, ainsi qu’en leur proposant de la formation continue sous la
forme d’ateliers.
Comment voyez-vous
l’avenir de la traduction littéraire et de votre travail ?
G.S. : De façon générale, je pense que la traduction est liée à notre avenir.
L’échange, la nécessité même de cet échange sera toujours plus importante. La
passion, le travail minutieux et la patience, que requière la recherche d’une
bonne correspondance, linguistique et culturelle, seront des qualités précieuses.
En effet, dans un monde globalisé, l’expérience du passage entre les langues va
se généraliser. De plus en plus de personnes adopteront la posture de
traducteur, traductrice. Je considère ainsi la traduction comme un rapport au
monde, à la vie.
En ce qui concerne nos projets : il y a
cinq ans, nous avons lancé les programmes latino-américain et italien, que nous
poursuivons. En 2017, nous avons lancé le programme « Traducteurs en
herbe », en partenariat avec le CTL et en collaboration avec différentes
universités, ainsi qu’un programme pour la traduction et l’écriture plurilingue
en romanche, intitulé « Traversadas litteraras ». Nous intensifions
nos rapports avec les autres régions linguistiques suisses : ainsi, pour
la première fois au printemps prochain, nous permettrons à cinq traducteurs et
traductrices de résider un mois au Château de Lavigny (VD).
Propos recueillis par Nathalie Garbely
[Photo : Maurice Haas - source : www.looren.net]
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