Alors que le président de la République Emmanuel Macron est en déplacement en Nouvelle-Calédonie jusqu'au 5 mai, 29 ans après la mort du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, retour sur l'histoire du mot "kanak", qui remonte à l'époque de la colonisation.
Par Catherine de Coppet
Le 4 novembre prochain se tiendra en
Nouvelle-Calédonie le référendum sur l'accession du territoire à la
pleine souveraineté, prévu par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998. C'est dans ce contexte qu'Emmanuel Macron est en déplacement à compter
d'aujourd'hui et jusqu'au 5 mai, dans cet archipel qu'il n'a jamais
visité. L'occasion de revenir sur l'histoire du mot "kanak" avec "La Fabrique de l'autre", chronique mensuelle de la Fabrique de l'Histoire qui analyse un mot désignant un groupe de gens, et propose d'en comprendre la genèse à travers l'histoire.
Le mot "kanak" désigne les populations autochtones de
Nouvelle-Calédonie, et il doit son inscription dans l'histoire
contemporaine au mouvement indépendantiste né dans les années 1970.
Un mot polynésien...
"Kanak" viendrait du polynésien où il signifie tout simplement "homme". Il
désigne aujourd'hui les populations mélanésiennes de
Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire la population présente sur cet archipel
océanien depuis des milliers d'années, et qui représente environ 40%
des habitants de l'archipel, d'après le recensement de 2014, basé sur
les déclarations des habitants.
L'arrivée du mot "kanak" en Nouvelle-Calédonie et son intégration dans le langage courant relève d'un parcours complexe. Et remonte à l'époque de la colonisation, qui commence à la fin du XVIIIe siècle. .
..arrivé par le truchement de la langue "bichelamar"
À cette époque se développent dans le Pacifique des langues assez particulières, nées de la communication entre les populations locales et ceux qui étaient régulièrement en contact avec elles : les colons et explorateurs, les chasseurs de baleines, les santaliers, qui faisaient le commerce du bois de santal, et les pirates. Ces langues dites "véhiculaires", ont été regroupées sous l'appellation pidgin. En Nouvelle-Calédonie, le pidgin qui était parlé, ressemblait à une sorte d'anglais mêlé de mots venus d'Europe, de Chine, et d'autres régions du Pacifique.
Ce pidgin, qui va permettre au mot kanak d'arriver en Nouvelle-Calédonie, s'appelait le "bichelamar".Une langue qui est encore utilisée au Vanuatu, sous le nom de "bislama".
De "kanak" à "canaque"
La colonisation de l'archipel est d'abord le fait des Anglais, avec James Cook : il s'approprie le territoire à la fin du XVIIIe siècle, et lui donne le nom de Nouvelle-Calédonie, en référence au nom latin de l'Écosse, "Caledonia". La France de Napoleon III s'est ensuite imposée à partir de 1853 pour y implanter une colonie pénitentiaire. Et c'est à cette époque que le terme "kanak" est "francisé", intégré au français, sous l'orthographe "canaque". Il désigne alors l'ensemble des populations mélanésiennes, qui se distinguent par leur diversité (28 langues locales sont aujourd'hui reconnues sur l'archipel).
Le terme "canaque" va prendre rapidement une connotation très péjorative et insultante dans le français parlé sur l'archipel. Rappelons qu'un groupe de Mélanésiens sera envoyé à Paris pour l'exposition coloniale de 1931 et exhibé comme des animaux au Bois de Boulogne.
De 1946 à 1970 : une qualification parmi d'autres
Au XXe siècle, avant 1970, le mot "kanak" tel que nous le connaissons aujourd'hui n'a pas encore émergé dans l'archipel. Depuis une loi de 1946 attribuant la citoyenneté pleine et entière, et donc le droit de vote, à tous les ressortissants des territoires d'outre-mer, l'implication politique des populations locales est une réalité.
Mais ces élus mélanésiens adoptent alors une attitude pacifiée, à rebours de ce qui se passe dans les autres colonies françaises : leur discours prône un attachement à la France, sans revenir sur les injustices coloniales faites de répressions armées et de spoliations foncières. Cette attitude va de pair avec l'acceptation, par cette génération de politiques, du nom donné aux populations colonisées : "indigènes", "autochtones", "canaques", autant de noms qui étaient d'usage chez les colons.
L'affirmation du mot "kanak": le tournant politique des années 1970
Malgré l'histoire stigmatisante du mot "kanak", ou peut-être grâce à elle, le mot a repris une force inattendue à partir des années 1970, au moment où le mouvement indépendantiste s'est forgé, théoriquement et politiquement sous la houlette, notamment, du charismatique Jean-Marie Tjibaou.
En décidant de s'approprier le terme kanak, moyennant un changement d'orthographe (de "canaque" à "kanak"), la génération indépendantiste crée une revendication identitaire commune et nouvelle. Le glissement du terme "kanak" vers un sens politique est consolidé en 1975 : dans la pièce qu'il écrit pour le festival Melanesia 2000, Jean-Marie Tjibaou associe le terme "kanak" au nom d'un héros d'un mythe régional, "Kanakè". La revendication identitaire s'ancre dès lors dans une réalité culturelle, unifiée par le terme "kanak".
"Kanaky", la République oubliée ?
La suite de cette histoire, c'est le développement du mouvement indépendantiste kanak, les affrontements entre pro- et anti indépendantistes à partir de 1984, qu'on appellera les "événements", les accords de Matignon en 1988, puis l'assassinat de Jean-Marie Tjibaou le 4 mai 1989, et enfin l'accord de Nouméa en 1998, qui inscrit la notion de double légitimité pour l'avenir de l'archipel, celle des Kanaks et celle des non-Kanaks qu'on appelle aussi "nouvelles populations".
Il est intéressant de noter que Le Front de libération nationale kanak et socialiste, le FLNKS, fondé en 1984 et dirigé par Tjiabou, portera à l'ONU en 1987 un projet de constitution pour la "République de Kanaky", Kanaky étant le nom du futur État indépendant. Ce texte chargé de références s'appuyait notamment sur la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 et choisissait le français comme langue officielle.
Bibliographie
Stéphanie Graff, "Quand combat et revendication kanak ou politique de l'État français manient indépendance, décolonisation, autodétermination et autochtonie en Nouvelle-Calédonie", Journal de la société des océanistes, 2012/1 (n°134)
Mireille Darot, "Kanaky ou Caillou ? Implicites identitaires dans la désignation de la Nouvelle-Calédonie", Mots, 1997 (n°53)
"Changements climatiques et peuples autochtones", Organisation Internationale GITPA / IWGIA France, L'Harmattan, 2009.
..arrivé par le truchement de la langue "bichelamar"
À cette époque se développent dans le Pacifique des langues assez particulières, nées de la communication entre les populations locales et ceux qui étaient régulièrement en contact avec elles : les colons et explorateurs, les chasseurs de baleines, les santaliers, qui faisaient le commerce du bois de santal, et les pirates. Ces langues dites "véhiculaires", ont été regroupées sous l'appellation pidgin. En Nouvelle-Calédonie, le pidgin qui était parlé, ressemblait à une sorte d'anglais mêlé de mots venus d'Europe, de Chine, et d'autres régions du Pacifique.
Ce pidgin, qui va permettre au mot kanak d'arriver en Nouvelle-Calédonie, s'appelait le "bichelamar".Une langue qui est encore utilisée au Vanuatu, sous le nom de "bislama".
De "kanak" à "canaque"
La colonisation de l'archipel est d'abord le fait des Anglais, avec James Cook : il s'approprie le territoire à la fin du XVIIIe siècle, et lui donne le nom de Nouvelle-Calédonie, en référence au nom latin de l'Écosse, "Caledonia". La France de Napoleon III s'est ensuite imposée à partir de 1853 pour y implanter une colonie pénitentiaire. Et c'est à cette époque que le terme "kanak" est "francisé", intégré au français, sous l'orthographe "canaque". Il désigne alors l'ensemble des populations mélanésiennes, qui se distinguent par leur diversité (28 langues locales sont aujourd'hui reconnues sur l'archipel).
Le terme "canaque" va prendre rapidement une connotation très péjorative et insultante dans le français parlé sur l'archipel. Rappelons qu'un groupe de Mélanésiens sera envoyé à Paris pour l'exposition coloniale de 1931 et exhibé comme des animaux au Bois de Boulogne.
De 1946 à 1970 : une qualification parmi d'autres
Au XXe siècle, avant 1970, le mot "kanak" tel que nous le connaissons aujourd'hui n'a pas encore émergé dans l'archipel. Depuis une loi de 1946 attribuant la citoyenneté pleine et entière, et donc le droit de vote, à tous les ressortissants des territoires d'outre-mer, l'implication politique des populations locales est une réalité.
Mais ces élus mélanésiens adoptent alors une attitude pacifiée, à rebours de ce qui se passe dans les autres colonies françaises : leur discours prône un attachement à la France, sans revenir sur les injustices coloniales faites de répressions armées et de spoliations foncières. Cette attitude va de pair avec l'acceptation, par cette génération de politiques, du nom donné aux populations colonisées : "indigènes", "autochtones", "canaques", autant de noms qui étaient d'usage chez les colons.
L'affirmation du mot "kanak": le tournant politique des années 1970
Malgré l'histoire stigmatisante du mot "kanak", ou peut-être grâce à elle, le mot a repris une force inattendue à partir des années 1970, au moment où le mouvement indépendantiste s'est forgé, théoriquement et politiquement sous la houlette, notamment, du charismatique Jean-Marie Tjibaou.
En décidant de s'approprier le terme kanak, moyennant un changement d'orthographe (de "canaque" à "kanak"), la génération indépendantiste crée une revendication identitaire commune et nouvelle. Le glissement du terme "kanak" vers un sens politique est consolidé en 1975 : dans la pièce qu'il écrit pour le festival Melanesia 2000, Jean-Marie Tjibaou associe le terme "kanak" au nom d'un héros d'un mythe régional, "Kanakè". La revendication identitaire s'ancre dès lors dans une réalité culturelle, unifiée par le terme "kanak".
"Kanaky", la République oubliée ?
La suite de cette histoire, c'est le développement du mouvement indépendantiste kanak, les affrontements entre pro- et anti indépendantistes à partir de 1984, qu'on appellera les "événements", les accords de Matignon en 1988, puis l'assassinat de Jean-Marie Tjibaou le 4 mai 1989, et enfin l'accord de Nouméa en 1998, qui inscrit la notion de double légitimité pour l'avenir de l'archipel, celle des Kanaks et celle des non-Kanaks qu'on appelle aussi "nouvelles populations".
Il est intéressant de noter que Le Front de libération nationale kanak et socialiste, le FLNKS, fondé en 1984 et dirigé par Tjiabou, portera à l'ONU en 1987 un projet de constitution pour la "République de Kanaky", Kanaky étant le nom du futur État indépendant. Ce texte chargé de références s'appuyait notamment sur la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 et choisissait le français comme langue officielle.
Bibliographie
Stéphanie Graff, "Quand combat et revendication kanak ou politique de l'État français manient indépendance, décolonisation, autodétermination et autochtonie en Nouvelle-Calédonie", Journal de la société des océanistes, 2012/1 (n°134)
Mireille Darot, "Kanaky ou Caillou ? Implicites identitaires dans la désignation de la Nouvelle-Calédonie", Mots, 1997 (n°53)
"Changements climatiques et peuples autochtones", Organisation Internationale GITPA / IWGIA France, L'Harmattan, 2009.
[Photo : Rémy Moyen - AFP - source : www.franceculture.fr]
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