quinta-feira, 18 de janeiro de 2018

L’unique « vignoble » de Manhattan est géré par un juif irakien à l’histoire incroyable

Le Château Latif, qui en est à sa troisième année de production, prends ses racines dans la ville de Basra, ville natale du propriétaire 
Latif Jiji, dans son vignoble de Manhattan, installé il y a 33 ans (crédit : David Klein, via JTA)
Publié par DAVID I. KLEIN

Latif Jiji jette un œil sur la récolte du Château Latif de cette année, avec satisfaction.
Si vous n’avez jamais entendu parler de Château Latif, vous n’êtes pas le seul. En réalité, votre sommelier préféré n’en a probablement jamais entendu parler non plus. Ce n’est pas le sud de la France, ni Napa Valley. C’est le terroir de l’Upper East Side de Manhattan.
À sa connaissance, Jiji est le seul viticulteur de Manhattan qui cultive son propre raisin sur l’île. Le « château » est une maison en pierre rouge que Jiji, 89 ans, partage avec sa femme Vera depuis 50 ans, et le vignoble s’étend sur une cour de 13 mètres sur 45. Les raisins proviennent d’une seule vigne, qui mesure plus de 30 mètres, et qui pousse dans le jardin, jusque sur le mur extérieur et sur le toit.
Bien que la vigne puise son eau de l’East Rive, ses racines remontent à des cours d’eau bien différents : le Shatt al-Arab, le point de confluence entre le Tigre et l’Euphrate, sur la ville portuaire irakienne de Basra. C’est là-bas, en 1927, que Jiji est né dans une famille juive. Il a hérité du goût à la viticulture de son père, qui cultivait des raisins et faisait du vin dans la cour de leur maison, sur la rue principale de Basra.
Jiji a expliqué que sa passion pour le vin « venait du fait d’être juif en Irak, de fêter Pâques ». La fabrication et le fait de boire de l’alcool était ce qui distinguait les minorités juives et chrétiennes d’Irak de la majorité de musulmans irakiens, pour qui l’alcool est interdit.
Des Juifs déplacés irakiens, en 1951 (crédit : Wikipedia)
Durant son enfance, Basra était une ville endormie, avec une dizaine de synagogues et deux écoles juives, a indiqué Jiji au JTA. La vie à Basra était calme, et les Juifs, chrétiens et musulmans coexistaient dans la ville.
Mais en 1941, après que la courte alliance entre l’Iraq et l’Allemagne nazie a déclenché une invasion britannique, des émeutes et des actes de pillage qui ont ciblé les quartiers juifs et les commerces ont éclaté dans la ville. Le pogrom est devenu connu sous le nom de Farhoud, un terme en arabe qui signifie « dépossession violente », et bien que Basra ait été relativement épargnée, près de 200 Juifs ont été tués à Bagdad, et des centaines d’autres blessés.
La famille Jiji a été épargnée et a ouvert sa porte à leurs amis et à leur famille, qui fuyaient des endroits dangereux.
« Les Juifs, évidemment, avaient peur », a déclaré Jiji. « Les amis et les proches ont commencé à venir chez nous. Nous avions près de 50 personnes. Nous leur avons laissé nos lits, mes frères et sœurs et moi. Je me souviens avoir dormi sur le sol avec une serviette pour oreiller pendant des jours. »
« On commençait à parler de ce qu’il faudrait faire si nous étions attaqués. Nous n’avions pas d’armes, mais nous avions de grandes battes, et nous y avions attaché des boulons. Nous les gardions avec nous en cas d’intrusion, mais personne n’est venu. » 
David Ben-Gurion en train de lire la Déclaration
d’Indépendance à Tel Aviv le 14 mai 1948
(crédit : Israel Government Press Office)
La violence a fini par se résorber, et la vie a repris son cours au sein de la communauté juive irakienne. Mais dans les années qui ont suivi, Farhoud restera le souvenir d’une pente glissante qui a mis un terme à 2 700 ans de vie juive en Irak. Jiji se souvient qu’il écoutait la radio en 1948, quand les Nations unies ont voté le Plan de Partage de la Palestine. Bien que sa famille ait salué la création de l’État d’Israël, il avait aussi vite compris que sa vie en Irak était finie.
À l’automne, il était inscrit dans une université américaine. Au bout d’une décennie, le reste de sa famille avait fui vers les États-Unis ou Israël. 
La vie de Jiji aux États-Unis a commencé de manière improbable, au Hope College, une école profondément chrétienne dans la ville de Holland, dans le Michigan. Il a ensuite étudié au prestigieux Massachussets Institute of Technology (MIT), pour obtenir un diplôme d’ingénieur. 
Mais durant sa première année, le gouvernement irakien lui a donné un ultimatum : revenir ou perdre la nationalité irakienne. Ayant déjà abandonné l’idée d’un avenir passé en Irak, le choix était évident. Mais Jiji, devenu apatride, est resté en suspens, en possession d’un visa d’étudiant et sans autre statut. 
L’université était l’un des rares endroits qui lui restait ouvert, donc Jiji a poursuivi ses études, et a obtenu son doctorat de l’Université du Michigan. Bien qu’il ait été naturalisé américain en 1961, Jiji est resté un universitaire, et a enseigné l’ingénierie dans plusieurs universités, notamment le City College of New York, où il a travaillé jusqu’à sa retraite en 2014. 
Jiji a rencontré Vera – une enfant d’immigrants juifs hongrois, qui a grandi dans le Bronx, dans une maison où l’on parlait magyar, – lors d’un évènement à New York pour la radio WBAI. 
Et bien que le vin de Jiji soit initialement un hommage à son père et à Basra, il est également comme les 4 enfants qu’ils ont élevés ensemble, le produit de 50 ans de mariage. 
Le vin fabriqué par Jiji vient d’une vigne unique qui mesure plus de 30 mètres. (Crédit : David Klein via JTA)

Vera avait prévu un jardin élaboré pour leur cour en 1977. Parmi les nombreuses plantations, elle a installé un cerisier et un arbre à feuillage. 
« Je l’ai montré fièrement à mon mari, puis il a pris un minuscule bâton, l’a planté dans le sol, et ça a tout envahi », a-t-elle dit à propos du vignoble. 
Le projet initial de Jiji n’était pas de faire du vin – il pensait juste que la vigne ajouterait une touche spéciale dans la cour. Sept ans plus tard, elle a produit suffisamment de raisins pour qu’il se dise qu’il pourrait au moins tenter. Jiji s’y connaissait un peu en viticulture, à force d’avoir observé les procédures primitives employées par son père, et il s’est renseigné, a acheté des livres sur le sujet, et s’est équipé. 
La première récolte, en 1984, a donné 15 kilos de raisins, de quoi faire neuf bouteilles de vin. Son record est de 306 kilos en une seule récolte. 
Vera est fière de Château Latif. Après tout, c’est elle qui a trouvé ce nom, un jeu de mot avec le célèbre Château Lafitte, du vignoble de Rothschild, dont les millésimes font partie des plus chers au monde. (Le vin du Château Latif, lui, n’a pas de prix. Jiji n’a pas la licence nécessaire pour le vendre, et il le partage avec ses amis et ses proches.) 
En plus de son emplacement, le vignoble est assez rare. En effet, la plupart des vignobles ont de l’espace et peuvent donc faire pousser les raisins sur plusieurs vignes courtes. 
« C’est contraire aux traditions, des Grecs aux Arabes, en passant par les Italiens et les nord-africains », a expliqué Jiji au sujet de sa vigne verticale. 
La récolte du raisin (crédit : Rahim Khatib/Flash90)
Le vin est un vin sec, fait de raisins du Niagara qui sont originaires de New York. Bien qu’on puisse les trouver dans le commerce, les raisins sont rares dans les vignobles. Et bien que leur goût varie d’une année à l’autre, l’adjectif qui reste constant est celui de « fruité », a indiqué Jiji. 
Chaque fin d’été, Jiji commence à mesurer la teneur en sucre des raisins sur la vigne. Une fois qu’il a assez d’informations, il détermine les 10 meilleurs jours pour cueillir ses raisins, généralement durant le mois de septembre. Après la récolte, ces raisins vont au sous-sol, qui abrite sa cave à vin et les machines que Jiji utilise pour transformer le raisin en vin, ainsi qu’un réfrigérateur unique qu’il a lui-même construit. C’est là-bas que le jus fermente, et devient du vin. 
Il faut deux semaines pour que le sucre contenu dans le jus se transforme en alcool, et 9 à 12 mois pour la décantation des sédiments, que le liquide s’éclaircisse et devienne du vin. Durant cette phase de fermentation, les gaz créés s’échappent par une valve qui permet de faire sortir l’air, mais pas d’en faire entrer. 
Désormais, avec les jours qui se raccourcissent et les nuits qui se rafraîchissent, la maison de Jiji va bouillonner d’activité. 
Ses amis et sa famille se rassembleront pour cueillir les raisins des vignes de Jiji et les écraser, pour que la fermentation puisse commencer. Après un jour de travail, ils se rassembleront autour d’un repas mijoté et se délecteront des millésimes de l’an dernier du Château Latif. 
« Cueillir est une activité inhabituelle, mais les gens en profitent toujours », dit Jiji. « C’est notre 33ème année, et certaines personnes sont avec nous depuis 30 ans. »

[Source : www.timesofisrael.com]

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