C’était il y a vingt ans : Lhasa la
magicienne, ensorcelait le monde avec son premier disque, La Llorona,
aux accents mexicains et gitans. Dimanche 3 décembre, le spectacle La
Route chante, en ouverture du festival Aurores Montréal, à la Philharmonie
à Paris, reprenait cet album, avec des musiciens de la chanteuse, ainsi que des
titres issus de ses deux autres disques, servis par une myriade d’invités :
Amparo Sanchez, Luz Casal, Anouar Brahem, Arthur H, etc. Un hommage fort.
Récit.
Publié par Anne-Laure Lemancel
Un rideau s’ouvre sur
l’écran géant. Sur la toile, le visage de Lhasa apparaît, ombre tissée
d’étincelles – ses fossettes, ses yeux en amande, ses cheveux qui
flottent, son éternelle jeunesse, sa sagesse séculaire, sa grâce d’étoile
filante. Sur le silence de la Philharmonie, sa voix se pose ; elle conte
ces histoires de Gitans, de Mexicains, dont les chants traversent les
douleurs ; ces nostalgies, ces tristesses effacées pour laisser place à la
danse. "On
rit plus fort, quand on a pleuré", dit-elle.
La Llorona, disque miracle
Sur son sourire, le rideau se ferme. Et la musique
naît. Dans la gorge du lunaire Canadien Patrick Watson, son ami, dans sa voix
rêveuse, haut perchée, surgit De Cara a la Pared, titre
inaugural de ce disque-miracle, La Llorona ("La
pleureuse"), le premier de Lhasa. C’était il y a vingt ans. Une galette,
intégralement en espagnol (400 000 exemplaires vendus entre la France et
le Canada), défrayait la chronique et affolait les cœurs, inventait des
horizons, traçait des routes d’aventures, mêlait les rancheras mexicaines
aux accents gitans, forgeait des chansons vagabondes aux courbes circassiennes.
Dès ce premier disque, Lhasa, pourtant, échappait à
ses influences. Aux premières pistes, sa personnalité unique, multiple,
cosmopolite, affleurait si fort, qu’elle ne pouvait que parler d’âme à âme. Un
investissement total et limpide dans ses chansons, à la mesure de ses idoles –
Billie Holiday, Chavela Vargas. C’était il y a vingt ans. La
Llorona marquait d’un sceau indélébile l’histoire de la
musique…
Dimanche dernier, le 3 décembre, à la Philharmonie, le
spectacle La Route chante, un hommage à Lhasa, disparue
en 2010, en ouverture du festival Aurores Montréal, reprenait le disque de
cette Montréalaise de cœur dans son intégralité, mais aussi une poignée de
titres de ses deuxième (The Living Road) et
troisième (Lhasa),
avec une myriade d’invités.
Yves Desrosiers, le maestro
Sur scène, discret derrière sa guitare, un homme, en
ouverture, prend la parole : "Je serai votre maestro pour la
soirée". Il s’agit d’Yves Desrosiers, à la direction musicale,
coartisan avec Lhasa, du disque La Llorona, celui dont la
rencontre a rendu le prodige possible. Avec lui sur scène, d'anciens musiciens
de la chanteuse – Didier Dumoutier à l’accordéon, Mario Légaré à la basse, Joe
Grass à la pedal steel, François Lalonde à la batterie…
Au décompte, le son s’élance, fidèle aux arrangements
d’origine : une musique de paysages. Dans l’épure, dans le respect, dans
l’économie de mots, les invités se succèdent. Sacrée gageure de reprendre,
celle qui, selon les mots d’Yves Desrosiers possédait cette "voix
qui rentrait directement dans la poitrine des gens". Il y a
alors quelques ratages… Quelques pépites aussi. Ainsi, les reprises de la
pétulante Amparo Sanchez (La Celestina, Floricanto…)
écrasent les nuances de Lhasa, aplanissent les reliefs de sa voix fêlée, pleine
de lumières. Luz Casal (El Desierto…) laisse
entrevoir de belles promesses, mais se révèle timide face au pupitre, à des
textes qu’elle ne connaît pas bien. Tout en rondeur, la chanteuse et
violoncelliste brésilienne Dom la Nena baigne, quant à elle Por
Eso Me Quedo et Desdenosa d’une
lumière d’innocence : une voix claire, enfantine, sans aspérité.
Et puis, l’Algérienne Souad Massi interprète El
Payande avec une sobre élégance. La Canadienne Safia Nolin insuffle une force fragile, un caractère trempé
à Fool’s
gold et Bells, quand Sophie Hunger
reprend avec l’application d’une bonne élève, parfois maniérée, J’arrive
à la ville et Con Toda palabra. Le
groupe Plant and Animals entraîne, lui, Rising, sur des sentiers
pop-rock.
Au rang des instants de grâce, Anouar Brahem ouvre Pa’
Llegar a tu Lado seul au oud. Un moment fragile, de poésie,
sur lesquels se pose, funambule, a capella, la voix de Lhasa. Sur les cordes,
son chant danse, emprunte des courbes d’Orient. Ce maître du oud apaisait la
chanteuse, l’aidait à respirer, avait-elle confié.
Autre artiste qui comptait fort dans sa vie :
Arthur H, son ami, l’un de ses confidents artistiques, chaloupe tendre, un
fantôme entre les bras, sur La Marée haute, danse sur
le ressac de ses notes. Autre moment éblouissant ? Un quatuor vocal au
féminin –Sandra Nkaké, Camélia Jordana, Raphaele Lannadère, Jeanne Added – interprète a capella en alchimie parfaite, Love
came here et Small song, nous ramenant
à la source de ces chants, aux allures de negro spirituals.
Patrick Watson, enfin, subjugue l’auditoire avec El
Pajaro, emprunte des chemins de traverse, chemins de tendresse,
pour entraîner Lhasa vers d’autres rivages, les siens. "C’est
la fille la plus magique que j’ai rencontrée de ma vie entière",
dit-il. Elle possédait, en effet, ce pouvoir d’"ouvrir le cœur des gens".
Les mots de Lhasa
Cette magie se retrouve aussi sur son Live
à Reykjavik, sorti récemment, trésor exhumé, vestige de son dernier
concert donné le 24 mai 2009, quelques mois avant sa disparition, le 1er
janvier 2010. Ce live, à l’aura
crépusculaire, reprend son dernier disque, Lhasa, mais aussi d’autres
bijoux de sa discographie.
Pour la première fois, elle livre aussi, ici, une
interprétation de A change is gonna come, de
Sam Cooke. Au creux des notes, les vers du soul man
sonnent comme une prophétie : "It's been too hard living, but
I'm afraid to die/ Cause I don't know what's up there, beyond the sky".
Comme autant de respirations, entre les
titres, des paroles et des rires fusent, ponctuations joyeuses de la chanteuse,
qui se savait ravagée par le cancer. Sur ces pistes, encore, elle offre son
chant chamanique, sa spiritualité. Un disque comme une prière, un dernier legs
précieux.
À la fin du concert à la Philharmonie, une dame
apparaît, épaulée par tous les artistes de l’hommage : c’est Alexandra, sa maman.
Sur la scène, elle lit les paroles de sa fille, tirées de son ouvrage La
Route chante* : "J’écris des chansons pour
m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit
(…)". Sous les tonnerres d’applaudissement d’une salle
debout, sous l’esprit de Lhasa, elle conclut l’hommage par ces mots de la
chanteuse : "Tu as fait grandir le cœur de ce
monde. Tu as repoussé les murs. Merci."
*Lhasa de Sela La route chante (Editions Textuel) 2008
Lhasa Live à Reykjavik (Tôt ou Tard) 2017
Site sur Lhasa
Site de la Philharmonie de Paris
Site du festival Aurores Montréal
[Source : www.rfi.fr]
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