segunda-feira, 30 de outubro de 2017

Les médias français et le rap: une longue histoire pleine de mépris

La récente affaire Jul le prouve: le traitement médiatique réservé aux rappeurs trahit une condescendance persistante d'une partie des journalistes à l'égard du rap français.
Gauche : Jul aux Victoires de la Musique, Février 2017, Thomas Sanson - AFP / Droite : Vald via Vevo

Écrit par Léa Marie 

«Le rap est une sous-culture d'analphabètes», lançait Éric Zemmour en 2008 lors d'un débat télévisé. Si l'essayiste est connu pour ses prises de positions radicales, la plupart des rappeurs français n'ont pas vraiment la cote, non plus, auprès des médias grand public. Alors que le rap est le genre musical le plus écouté en France sur les plateformes de streaming, il est encore regardé de haut par une bonne partie des journalistes.
Jul, cas révélateur

 

 

Dernier exemple en date: le rappeur Jul, raillé par Le PointL'ExpressLe Figaro20 MinutesLe Parisien et bien d'autres pour un malheureux post Facebook plein de fautes d'orthographe. Fraîchement sorti de garde à vue, l'artiste avait tenu à adresser, le 24 octobre dernier, un mot d'excuses à ses fans. Qu'il avait conclu par la phrase «Je tenez à mescuzer».
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Il n'en fallait pas plus pour le jeter en pâture sur les réseaux sociaux. D'innombrables articles et tweets au ton condescendant ironisaient, quelques heures plus tard, sur ses lacunes grammaticales. En faisant d'ailleurs fi de l'attitude du rappeur qui, loin de glorifier la criminalité comme le font parfois d'autres artistes hip-hop, se livrait à un honnête mea culpa. Une absence flagrante de conscience sociale, selon Squale, le fondateur du site Hip-Hop Reverse
«Ces moqueries sont révélatrices d’un certain mépris de classe de la part des journalistes à l’égard d’une personne issue d’un milieu autrement plus difficile que le leur.» 
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Que sa musique touche ou non, Jul est l’artiste le plus écouté en France en 2016. Malgré de rares apparitions télé, il peut se targuer d'enchaîner les disques de platine et de s'être fait une place de choix dans le paysage du rap français. Mais pas assez, visiblement, pour gagner le respect des médias.
Réduit au statut de chanteur pour ados, le rappeur marseillais ne bénéficie pas du même traitement médiatique que ses concurrents jugés plus «intellectuels» (Orelsan, Kery James ou plus anciennement, Oxmo Puccino et MC Solaar), comme nous l'expliquions récemment
Mais le cas Jul reste toutefois symptomatique d'un mépris plus général, conscient ou non, de nombreux médias français envers les rappeurs. Le journaliste du site Les Jours Sophian Fanen, auteur du livre Boulevard du Stream, explique: 
«On aime ou on n'aime pas, mais Jul est un personnage hyper intéressant. Ne serait-ce qu'en termes de business et de communication. Il a compris, instinctivement, ce qui marchait. Mais les médias parisiens préfèrent parler de sa garde à vue plutôt que de sa musique. La majorité d'entre eux n'ont d'ailleurs jamais écouté un album de Jul!»
Il en sort quatre par an.
Vald et Ardisson
Quelques semaines plus tôt, le passage d'un autre rappeur, Vald, chez Thierry Ardisson nous rappelait à quel point certains clichés sur le rap avaient la vie dure. Ce soir-là, l'animateur de «Salut les terriens» entamait ainsi son interview:
«Vald, bonsoir. Vous n’êtes pas vraiment un rappeur comme les autres. Vous n’êtes pas noir. Vous ne passez pas vos journées en salle de muscu et vous savez que le verbe “croiver” n’existe pas
Entre comparaison facile de Vald à Eminem et questions sur son frère qui s'était converti à l'islam, Thierry Ardisson incarnait à lui seul la caricature d'une classe médiatique élitiste.

Nekfeu face à Léa Salamé et Yann Moix
Nekfeu a lui aussi fait les frais d'idées reçues sur l'inculture supposée des rappeurs. Invité d'«On n'est pas couché», en 2015, il était interrogé par Léa Salamé: «Vous dites que vous avez lu Tolstoï et Céline, c’est vrai ça?» Sans laisser à l’artiste le temps de répondre, Yann Moix ajoutait, avec l'air du type à qui on ne la fait pas: «Quel passage vous avez préféré dans Voyage au bout de la nuit?». Comme si rap et goût pour la littérature étaient incompatibles. «Auraient-ils osé poser de telles questions –rhétoriques au possible– à une star de la chanson française?», soulignaient Victor Santos Rodriguez et José Geos Tippenhauer dans une tribune sur le site participatif Jet d'Encre

L'interview malaise de NTM par Ruth Elkrief... en 1998
En plein débat sur Jul et Vald, un extrait d'une interview de NTM par Ruth Elkrief datant de 1998 a refait surface. «Vous ne verrez pas d'interview plus gênante», assurent Les Inrocks. À Joey Starr et Kool Shen, «la journaliste pariso-parisienne» (selon les mots d'Arte) avait enchaîné les questions pour le moins maladroites sur la banlieue et ses habitants:
«Est-ce qu'ils font tous ce qu'il faut, eux-mêmes, pour y arriver? Est-ce-qu'il n'y a pas aussi de leur part, parfois, un défaut de prise en charge personnelle?»
Des sous-entendus auxquels Kool Shen avait répondu, plutôt agacé:
«[En banlieue] y'a pas que des immigrés, c'est multi-racial. Y'a pas que des têtes basanées, hein. Y'a des gens comme moi aussi
Ruth Elkrief s'était alors engouffrée dans la brèche: «Vous, vous êtes euh... français?» Oui, répondait Kool Shen en pointant du doigt son acolyte Joey Starr. «Lui aussi hein.» «Bien sûr», semblait réaliser la journaliste, qui esquissera ensuite un sourire forcé. 

Pendant ce temps Orelsan fascine les médias 
Il existe toutefois des exceptions. Des rappeurs qui finissent par être plus ou moins adoubés à l'image de Booba qui fit la couverture d'un magazine chic comme GQ en 2013, preuve que les mentalités évoluent doucement. Parmi les exemples un peu plus récents, le cas d'Orelsan interpelle. Son dernier album, La Fête est finie, est encensé par les critiques. Même Le Figaro lui accorde un article élogieux. Malgré tous les talents du rappeur normand, l'engouement médiatique étonne. L'artiste paraît désormais incarner, aux yeux des journalistes, un rap plus «bourgeois-compatible», assimilable au renouveau de la variété française.
En dépit d'un début de carrière tumultueux –en raison des paroles violentes et misogynes de ses morceaux «Sale Pute» et «Saint-Valentin», notamment–, Aurélien Cotentin a su séduire les médias mainstream. Et même les moins friands de rap. À grands coups des comparaisons avec Jacques Brel, nombreux sont les journalistes qui estiment que grâce à Orelsan, le «rap est devenu la nouvelle chanson française». Serait-ce parce que le chanteur ne reprend pas les codes traditionnels (ou perçus comme tels) du rap actuel? Peu d'egotrip ou de vulgarité gratuite ni de bling-bling, le tout, sur des instru' plus soft et plus pop. Des textes mordants, très écrits entre malaise intime et triste réalité sociale de la classe moyenne. En gros, un rap diffusable sur France Inter
Orelsan n'hésite toutefois pas à pointer du doigt les stéréotypes inhérents au genre dans une partie de la société française, qui perçoit toujours celui-ci comme une «musique de noirs». Dans le morceau «Défaite de famille», issu de son dernier album, Orelsan dénonce les blagues lourdes de ses proches –dépeints comme l'archétype de la classe moyenne blanche – vis-à-vis de son statut de rappeur:
«Tonton, si tu continues d'faire: “Yo, yo” avec les doigts
Chaque fois qu'tu passes à coté d'moi, tu les utiliseras pour la dernière fois.» 
Pourquoi tous ces clichés subsistent-ils en 2017? 
Spécialiste
 du mouvement hip-hop, Olivier Cachin explique que la plupart des médias associent encore le rap à une «sous-culture générée par des irresponsables décérébrés.» S'il s'est initialement construit comme une contre-culture dans les ghettos noirs américains, le genre est aujourd'hui une culture dominante en France, où il règne en maître sur les plateformes de streaming. «Il y a une réelle distortion entre la place du rap dans la société française et sa couverture médiatique», assure Sophian Fanen. Ex-directeur de Skyrock et auteur du livre Le Rap est la musique préférée des Français (2016), Laurent Bouneau explique : 
«Ses influences, références, codes, rythmes, sons et attitudes ont infiltré toutes les couches de la société
Malgré tout, la culture hip-hop reste liée, dans l'imaginaire collectif, aux classes populaires. Et plus particulièrement aux banlieues. Dans certains sites ou publications, elle est encore davantage traitée sous le mode du faits divers que de la rubrique culture. Pour Olivier Cachin, les idées reçues ne touchent pas uniquement la musique en elle-même, mais sont avant tout symptomatiques d'une fracture sociale:
«Le mépris de classe qui entoure le rap est un corollaire du mépris qui frappe les milieux populaires, bien sûr
Les journalistes parisiens se le voient reprocher fréquemment: ils ne mettent jamais les pieds en banlieue... et quand ils le font, c'est bien souvent pour faire des sujets sur la délinquance et filmer des voitures brûlées. Une réalité décriée dans de nombreux textes de rap. En 2009, le rappeur Youssoupha scandait, dans son titre «À force de le dire»
«À force de juger nos gueules, les gens le savent qu'à la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards, chaque fois que ça pète on dit que c'est nous, je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d'Éric Zemmour.»
Ces paroles lui avaient valu d'être trainé en justice par Éric Zemmour, qui avait finalement perdu le procès. Connu pour son rap militant, Kery James écrivait quant à lui, dans «Vent D'État»:
«J'accuse les médias d'être au service du pouvoir, de propager l'ignorance et de maquiller le savoir.»

Un désamour partagé

 

 

Comme tant d'autres, ces deux extraits de chansons témoignent de la méfiance des rappeurs envers les médias, qu'ils accusent de propager des clichés sur la banlieue. Il faut dire qu'originellement, à l'image des États-Unis, le hip-hop français s'est développé dans les HLM des quartiers défavorisés. Il dépeignait un quotidien rongé par la misère et la tentation de la délinquance qui en découlait. Dans les années 1990, le groupe Suprême NTM était l'ambassadeur de ce hip-hop protestataire et subversif, qui s'en prenait aux symboles de l'État, et notamment à la police (cf le morceau «Police», datant de 1993). 
Depuis, le rap n'a cessé de se diversifier dans ses sonorités comme dans ses textes, et de toucher alors d'autres milieux. «Dans cette discipline, on trouve désormais une palette très large de talents et de styles», assure Olivier Cachin.
Le traitement médiatique du rap, lui, n'a pas évolué au même rythme. Et n'a fait que nourrir le ressentiment des rappeurs à l'égard des journalistes. Un désamour mutuel entretenu par le goût des certains médias pour les contenus choc, comme la violence véhiculée dans les clips ou les textes de rap (des thèmes plus vendeurs). Une violence que revendiquent ensuite, souvent par provocation, certains artistes. 
En 2017, le rap n'est plus (uniquement) contestataire
Toujours dans «On n'est pas couché», en 2015, Léa Salamé semblait reprocher à Nekfeu son prétendu manque d'engagement politique. Après avoir souligné que le rap des années 1990 se voulait, lui, contestataire, elle l'interroge:
«Qu’est-ce qui vous met en colère? Qu’est-ce qui vous fait réagir? Qu’est-ce qui vous donne l’inspiration d’écrire sur la société d’aujourd’hui ou sur ce que vous ressentez?».
Autant de questions qui paraissent cantonner le rap à son caractère engagé, faute de quoi il perdrait de sa valeur ou de son utilité. Comme le soulignent encore Victor Santos Rodriguez et José Geos Tippenhauer:
«Considérer cette musique de la sorte, à savoir intrinsèquement liée à des impératifs socio-politiques, est largement répandu; même au sein du mouvement, chez les irréductibles du "le rap c’était mieux avant" et consors. Cette vision est néanmoins réductrice et regrettable.»
Enfermer le rap dans un tel carcan ne trahit-il pas une réticence à le reconnaître comme un style musical à part entière? La pop ou le rock ne subissent pas le même sort et ne voient pas peser sur eux ces incantations à traiter de thèmes prédéfinis.

L'aveuglement

 

 

Ainsi, rares sont les médias grand public qui s'intéressent actuellement à la nouvelle scène du rap francophone –prise d'assaut par des artistes belges– qui propose pourtant une immense diversité artistique (Damso, Deen Burbigo, Lomepal, Roméo Elvis et bien d'autres).
Le dernier album de Damso, Ipséité, a connu un immense succès populaire. Combien de chaînes de télé ou de journaux en ont (réellement) parlé? Pareil pour Niska, dont le titre «Réseaux» bat des records de longévité en top des charts français. Alors que l'entêtant single connait un incroyable retentissement dans la culture populaire française (en partie grâce à son écho dans le monde du foot), il n'est que rarement mentionné dans les médias. À part dans quelques brèves sur les ventes de disques. 
C'est justement ce que reproche Sophian Fanen aux rédactions parisiennes:
«Les médias ont fait tout un truc du dernier album d'Arcade Fire –qui n'avait pas tant de choses à raconter que ça– ou des sœurs Ibeyi. Parce que ça correspond à ce qu'ils écoutent. Le problème, c'est justement que la plupart des journalistes écoutent de la pop-rock ou de l'électro. Même dans les grandes rédacs, il n'y a généralement qu'un(e) pigiste pour traiter de l'actu rap, alors qu'ils sont six ou sept à parler des autres styles musicaux.»
Une mépris et un manque de curiosité «expliquable, mais pas excusable», conclut Sophian Fanen.  
[Source : www.slate.fr]


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