Je danserai si je veux affiche
Par Bettina Forderer

Maysaloun, peux-tu nous raconter dans quel contexte le film est né ?Maysaloun Hamoud : Tout d’abord, je vis cette vie, et je fais partie de cette scène underground qu’on voit dans le film. Ce milieu a pris de plus en plus d’ampleur au moment du Printemps Arabe. Cet esprit de changement nous a vraiment affecté. Ces grands bouleversements étaient aussi annonciateurs d’une révolution culturelle. Nous voulions nous libérer du joug de l’ancienne société patriarcale. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire. En effet, je considère le cinéma comme une forme d’activisme. Il me semble que nous devons d’abord libérer nos esprits avant de pouvoir changer les choses au niveau politique. 

Mouna, Sana et Shaden, quel est votre background dans la comédie et comment êtes-vous arrivées sur le projet ?Shaden Kanboura : J’ai étudié le théâtre et la comédie à l’Université de Haïfa, mais il s’agit de mon premier rôle pour le cinéma. J’ai rencontré Maysaloun il y a trois ans pour des auditions.
Mouna Hawa : J’ai étudié la comédie, je joue beaucoup au théâtre et j’ai déjà fait de la télé, mais il s’agit aussi de mon premier film de cinéma. Avec Maysaloun, nous nous sommes rencontrées seulement deux mois avant le début du tournage. Elle avait du mal à trouver quelqu’un pour ce rôle. Dès que j’ai lu le script, je savais qu’il fallait que je fasse partie du projet.
Sana Jammalieh : Je ne suis pas actrice, je suis graphiste et DJ (elle est très active dans la scène underground palestinienne et milite aussi activement pour l’égalité civique, ndlr). Je suis amie avec Maysaloun depuis longtemps et cela fait cinq ans qu’elle me parle du film. Quand elle m’a proposé d'interpréter le personnage de Salma, qui est la première figure de lesbienne palestinienne au cinéma, j’ai d’abord eu des appréhensions quant à la réaction de mes parents. Je savais que les gens leur feraient des remarques. Le fait d’être gay est tabou dans nos sociétés, ce n’est pas quelque chose dont on parle. Mais il était aussi évident qu’il s’agissait d’un rôle important, et que je l’aurais regretté si jamais je l'avais refusé. Il fallait que je le fasse - et il fallait que je le fasse bien.


Vous représentez des filles avec des relations différentes à la sexualité et à la religion. Vous sentez-vous proches de vos personnages ? Mouna : Mouna et Salma sont très différentes mais viennent du même milieu et ont une vie assez similaires. Ce sont des filles de la grande ville. Pour ma part, je suis arrivée à Tel Aviv il y a sept ans pour mes études ; depuis, je vis seule et en toute autonomie. Comme elle, j’ai été avec beaucoup d’hommes qui prétendent être libéraux et ouverts d’esprits mais qui ont finalement essayé de me faire changer de mode de vie. C’est difficile de trouver un compagnon qui accepte de marcher à tes cotés sans te marcher dessus. En revanche, Layla est plus courageuse que moi. C’est une femme très forte, qui ne s’excuse pas de vivre comme elle l’entend. Jouer son rôle m’a rendu un peu plus brave.
Sana : Pour ma part, j’ai une vie très semblable à celle de mon personnage, je me suis beaucoup projetée en elle. Comme je l’ai déjà dit, je suis comme elle, je fréquente donc aussi ce monde de la nuit. Salma est celle des trois qui a le moins de texte de tous, mais quand elle parle, elle a les mots justes. C’est une rebelle d’une façon très calme, ce qui la rend très sympathique. Elle ne correspond pas aux stéréotypes que certains ont d’une fille gay. Elle n’est ni expensive ni brute de décoffrage.
Shaden : Nour et moi menons une vie très différente. Je viens d’une famille très chrétienne alors qu’elle est musulmane. Cependant, j’ai essayé de trouver des points de jonction entre nous. Comme elle, j’ai profondément cru en Dieu, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je comprends le sentiment de paix intérieure que la religion peut apporter. C’est pourquoi j’ai fait le choix que Nour reste croyante à la fin de l’histoire. Avec Maysaloun, nous nous sommes demandées si elle ne devrait pas enlever son hijab, commencer à boire et devenir plus comme Layla et Salma à leur contact. Heureusement, nous avons finalement décidé que non. C’était important pour nous de montrer que ce n’est pas un homme qui lui impose de se couvrir le corps, que c’est son choix. On peut être féministe sans être laïque. Le message du film, c’est que ces filles différentes peuvent être amies et exister dans le même espace sans renier leur identité. 

Dans le scénario, il y a une différence marquée entre la vie des personnages à Tel Aviv-Jaffa, où elles peuvent jouir d’une forme de liberté, et dans leur milieu rural familial en Palestine, où elles sont sous le joug de traditions opprimantes...Maysaloun : Les jeunes qui vivent d’une manière qui ne correspond pas aux attentes de la société mènent une double vie. Surtout les femmes. Il y a beaucoup de choses dont on ne peut pas parler. Cela crée une distance avec notre famille, ce n’est pas une position facile à tenir. Et toute une génération vit de cette manière-là.

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Il y a une scène importante du film où Salma quitte son job dans un restaurant parce que son patron ne veut pas qu’elle parle arabe au travail...Maysaloun : Les personnages du film sont coincés entre deux scapes qui les rejettent : un rural où ils vivent dans le secret, et celui de la grande ville soi-disant libérale et soi-disant ouverte d’esprit - mais qui ne l’est en réalité pas du tout. La population palestinienne est opprimée par des lois fascistes et racistes. Par exemple, tu n’as pas le droit de parler de la Nakba à l’école. Je voulais montrer ces différentes crises dans le film par petites touches pour donner un aperçu de la situation complexe dans lequel vivent les jeunes Palestiniens que je dépeins. 

Le film est une co-production israélienne et française, avec un casting presque entièrement palestinien. Dans quelle langue communiquait l’équipe du film ? Maysaloun : Les acteurs parlaient arabe alors que l’équipe était mixte, avec des Palestiniens et des Israéliens. Au début, certains membres de l’équipe israéliens se sont sentis en danger parce que l’arabe était la langue dominante sur le plateau et qu’ils ne comprenaient pas tout ce qu’il se passait. Mais au fil du tournage, tout le monde a fini par reconnaître certains mots d’arabes. L’atmosphère était joyeuse. 

La musique joue un rôle très important dans Je danserai si je veux.Maysaloun : Cette musique, c’est la bande-originale de nos vies - pas seulement en Israël et en Palestine, mais dans tout le monde arabe. Car le milieu underground que j’évoque existe aussi à Beyrouth, au Caire, à Amman, à Tunis... Dans la plupart des scènes, la musique provient des lieux où se trouvent les personnages : un club, une maison, la voiture. Il n’y a que deux scènes où la musique semblent émaner d’au-dessus du monde : celui où Selma fuit loin de sa famille et celle où Nour se dénude pour se baigner dans la mer. Le choix d’une musique extra-diégétique agit ici comme une métaphore : ce sont des tournants dramatiques où les personnages se libèrent spirituellement. Où ils s’élèvent au-dessus de leur réalité quotidienne.

++ Je danserai si je veux, de Maysaloun Hamoud, en salle dans tous les bons cinémas dès le 12 avril.