segunda-feira, 19 de setembro de 2016

Luba Jurgenson, traductrice à l'honneur du festival Vo-Vf, le monde en livres

Luba Jurgenson est l’invitée d’honneur du festival Vo-Vf, le monde en livres qui donne du 30 septembre au 02 octobre la parole aux traducteurs littéraires. L’écrivaine, traductrice et chercheuse, arrivée de Moscou en France en 1975, reviendra sur son étonnant parcours littéraire et universitaire, marqué par son inépuisable questionnement sur la langue et la mémoire, la trace et l’indicible.

Luba Jurgenson, traductrice à l'honneur du festival Vo-Vf, le monde en livres

Écrit par Claire Darfeuille 

Lorsque Luba Jurgenson arrive en France à l’âge de 17 ans, elle a certes suivi des cours de français dans une école moscovite, une institution très élitiste et à la rigueur quasi militaire où « les professeurs parlaient français sans accent sans jamais avoir mis les pieds en France ». Mais, une fois à Paris, elle doit faire sienne la langue française du milieu des années 70, riche de nombreux termes sans équivalents en URSS.

Elle confie à Anne Diatkine dans un article paru dans Libération, « Je me souviens de ma perplexité. Ainsi, tout n’était pas torchon. Il y avait aussi des serviettes et des chiffons qui recouvraient une réalité différente. L’ouvre-bouteilles n’était pas un tire-bouchon. J’ai eu l’impression que l’univers du quotidien se démultipliait et que seul le générique des objets m’avait été présenté en URSS. » 

Rapidement, elle assimile cette nouvelle langue, en prenant soin de perdre totalement son accent, pour, dit-elle encore, « ne pas sortir nue dans la rue, ne pas dire à n’importe qui d’où je viens ». De cette période, elle rappelle aussi que les candidats au départ étaient déchus de leur nationalité soviétique et qu’il fallait même payer une somme importante (l’équivalent de 4 fois un salaire moyen) pour la destruction de son passeport.

Arrivée en France grâce à un visa pour Israël


Avec sa mère et sa grand-mère, Luba Jurgenson profite en 1975 d’une mesure favorisant le regroupement familial des citoyens juifs en Israël, pour fuir l’URSS et rejoindre leur famille française. « Nous avons inventé l’existence d’une sœur de mon grand-père qui se serait installée en Israël, car pour qu’il y ait réunification familiale encore fallait-il avoir quelque chose à réunifier. Ce sera ma première fiction », se souvient-elle. Ce récit fictif initial aura-t-il définitivement scellé le destin littéraire de Luba Jurgenson ?

A 23 ans, elle publie son premier recueil de nouvelles, directement écrit en français Avoir sommeil, puis L’Autre et Une autre vie, où elle raconte leur départ de Moscou. Pas un exil, mais une fuite d’un pays auquel elle ne s’est jamais sentie appartenir et qui n’existe plus à présent. Un départ espéré et attendu qui n’en reste pas moins une coupure fondatrice. Ainsi, elle confie dans un riche entretien paru dans la revue Slavica Bruxellensia : « Le fait de pouvoir retourner dans le pays d’où l’on est parti n’efface pas cette coupure, il la ravive même, mais permet aussi de la penser, et autrement qu’en termes de perte. »

"La traduction est une grande leçon d'humilité"


Agrégée de russe (reçue première), professeure à la Sorbonne, Luba Jurgenson a toujours mené de front travail universitaire et création littéraire et de traduction, soulignant non sans ironie à ce sujet « qu’il lui fut plus difficile d’entrer en traduction que d’être publiée ». En 1986, elle aborde « avec le culot de la jeunesse » sa première traduction pour l’Âge d’homme, sous les bons auspices de son professeur Jacques Catteau, un classique : Oblomov de Ivan Gontcharov. Elle se rend compte que les traducteurs avaient achoppé sur les mêmes difficultés, les avaient souvent contournées, et qu’un tiers du texte avait disparu dans la version parue chez Gallimard…

« La traduction est une grande leçon d’humilité », constate-t-elle, après avoir traduit une cinquantaine de titres, dont en 2011 l’Apologie de Pluchkine de Vladimir Toporov pour la traduction duquel elle reçoit le prix Russophonia, mais aussi des textes de Nina Berberova, Panteleimon Romanov (elle est en lice pour le prix Read Russia 2016 pour Camarade Kisliakov), Vassili Grossman, Varlam Chalamov, la correspondance entre Marina Tsvetaeva & Boris Pasternak (en collaboration), et plus récemment les romans de Leonid Guirchovitch et Sergeï Lebedev publiés dans la collection « Poustiaki » qu’elle codirige avec Anne Coldefy chez Verdier. « J’ai mis 12 ans à trouver un éditeur qui accompagne le premier », raconte-t-elle, estimant que « mon plus grand plaisir est quand le travail d’édition et de traduction s’entremêlent ».

Le Lieu du péril, un bijou de réflexion sur la langue et le bilinguisme


Elle qualifie de capitale sa rencontre avec la maison d’édition Verdier dont elle apprécie « une certaine conception de la littérature et le soin apporté aux livres », mais aussi l’esprit des lieux, « une intranquillité qui ne se laisse pas résorber dans une catharsis. Une vision du monde qui n’est pas désespérée, mais inquiète, pleine de questionnements, une littérature plantée dans le vif de la chair. ». Elle attendra néanmoins dix ans pour leur proposer un livre de sa plume… Le Lieu du péril, un bijou de réflexion sur la langue, le bilinguisme et ses effets sur le corps et l’âme, que l’on aimerait citer in extenso.

Prenons pour exemple ce passage où elle explique sa démarche :  « Il s’agit donc d’un reportage. Mais la matière que je cherche à décrire (la langue) est également celle dont je me sers pour la décrire. Le musicien vous parlera de son instrument, le tailleur, l’ébéniste, le cordonnier, le jardinier, le marin –tous auront des choses à raconter en rapport avec leurs outils et la matière qu’ils travaillent. Pour l’écrivain, l’outil et la matière sont une seule et même chose ».

 Tatouages et dessins du goulag de Dantsig Baldaev, la plus éprouvante des traductions

Au cours de cette table ronde, Luba Jurgenson reviendra sur son apprentissage de la langue française à Moscou, puis en France, notamment à travers les chansons de… Boby Lapointe. Elle évoquera ses travaux de recherches sur le goulag et les récits de témoignage pour lesquels elle participe à de nombreux projets nationaux et internationaux et reviendra sur son parcours de traductrice depuis ses premiers pas avec Oblomov, en passant par « sa traduction la plus éprouvante », celle de l’ouvrage Tatouages et dessins du Goulag de Danzig Baldaev (Editions des Syrtes) où « l’horreur de la pègre se mêlait à celle des camps », jusqu’aux jeunes auteurs contemporains qu’elle accompagne.

Elle évoquera enfin son expérience de « retour dans sa langue » à travers la traduction en russe de son livre Education nocturne qu’elle travaille à présent à rebasculer en français.

Grand entretien avec Luba Jurgenson, samedi 1er octobre de 14h à 15h au festivalVo-Vf, le monde en livres à Gif-sur-Yvette, rencontre animée par Laurence Kiéfé de l'ATLF, suivie d'une lecture de Philippe Noël de textes écrits ou traduits par Luba Jurgenson (Inscriptions gratuites, ouvertes sur le site du festival). 


[Source : www.actualitte.com]




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