sábado, 20 de agosto de 2016

Sans A_ : le média qui tient chaud


Martin n’a pas pris de vacances depuis deux-ans et demi. Il faut dire qu’il a été pas mal occupé ces derniers temps à monter Sans A_, un média consacré aux sans-abris et à toutes les victimes de la précarité. Entretien avec une grande gueule au grand cœur.

* | courtoisie de la page Facebook officielle de Sans A_ © Zacharie Scheurer
 
AUTEURE : Hélène Pillon
Marinière et manteau d’hiver sur le dos, les yeux fatigués par le manque de sommeil et une clope au bec, Martin Besson ressemble à n’importe quel jeune parisien. Sauf qu’à 20 printemps, il est déjà à la tête d’un média. Il y a deux ans et demi, alors que la crise de l'information bat son plein, il crée Sans A_, un pureplayer qui raconte à coups de photos et de textes la vie des SDF. Grâce à son bagout et à sa détermination, Martin entraîne rapidement 80 bénévoles dans son aventure, récolte des fonds et séduit 5 000 lecteurs. 
La réalité quotidienne est un peu moins rose. « Réunion sur réunion pour la moindre décision », « trouver un business model », « gérer les egos », « passer du statut d'association à celui d'entreprise », « répondre à 70 mails », à la terrasse chauffée d'un café, il égraine les tâches qui rythment désormais ses jours et ses nuits. « C'est compliqué, mais on y croit », lâche-t-il sans détour en cherchant du feu pour rallumer sa cigarette. Et c'est avec cette même conviction que, devant sa première bière de la journée, il revient pour cafébabel sur ce projet qui occupe presque toutes ses pensées.
cafébabel : Comment à 18 ans, t’es-tu dit : « Je vais créer un média sur les sans-abris » ?
Martin Besson : Quand j’avais 17 ans, je passais dans la rue, je voyais ces gens dehors et je discutais ou je fumais des clopes avec eux. Donc j’étais déjà un peu sensibilisé à cette question. Puis après avoir passé un Bac pro vente, je me suis dit qu’il fallait donner du sens à ma vie. Car c’est bien d’avoir le Bac, c’est bien de jouer à la console, mais s’il n’y a que ça dans la vie, ce n’est pas intéressant et on ne fait pas du bien aux autres. Donc je me suis dit, « je vais passer une semaine dans la rue comme un sans-abri ». Et finalement, cette semaine s’est transformée en une journée, parce que c’était extrêmement violent et c’est là que j’ai compris que ce dont les sans-abris avaient besoin, c’était d’être visibles.
cafébabel : Qu’est ce qui était violent ?
Martin Besson : T’es assis sur un trottoir, tu te les gèles, t’es dans un quartier assez aisé, t’as pas de thunes et tu vois les gens qui parlent de leur soirée, de leurs courses, etc. Donc déjà, t’as toutes les tentations et beaucoup de frustration. Les gens ne te regardent pas ou comme de la merde. Mais au final, tu te dis qu’ils te regardent comme ça parce qu’ils n’ont pas de temps à perdre. Pourquoi iraient-ils s’intéresser à un sans-abri ?
cafébabel : Le but de Sans A_, c’est donc qu’on prenne le temps de le faire ?
Martin Besson : En fait, je me suis dit qu’il fallait les rendre visibles, car beaucoup des stéréotypes sur les sans-abris viennent du fait qu’on ne connaît pas leur histoire. Si on la connaissait, on irait leur parler. Ce ne serait plus l’espèce de clodo, mais Jean-Claude, Jean-Marc, Sophie… qui ont une histoire et un passé.

 
cafébabel : Tu te souviens du premier sans abris que tu as interviewé ?
Martin Besson : Oui, bien sûr, ça a été une grosse claque. La personne expliquait son parcours et tu te rendais compte que ça pouvait arriver à tout le monde.
cafébabel : Il y a pas mal de personnes qui ne s’arrêtent pas pour discuter avec des SDF, pas par indifférence, mais parce qu’elles sont un peu intimidées. Comment ça se passe en général quand vous abordez un sans-abri ?
Martin Besson : Bien ! Souvent, ils sont assez étonnés. Parfois, ils le prennent mal quand on annonce qu’on est journalistes, car ils se disent : « Ah, ils viennent nous voir que lorsqu’il se passe un truc ». Mais après, on explique notre démarche et ça leur fait plaisir.
cafébabel : Et en quoi votre approche diffère-t-elle de celle des médias classiques ?
Martin Besson : Généralement, ils parlent de statistiques et ils ont un impératif de production. Nous, on veut aussi parler des statistiques, mais on veut surtout raconter une histoire et on prend le temps de le faire. Récemment, Sans A_ s’est élargi à toutes les formes de précarité, car finalement, le problème des SDF est assez visible : on va dans la rue, on les voit, mais on ne parle pas des personnes en situation de précarité, du mal-logement, des problématiques liées au handicap, à la santé… Nous avons choisi de tourner autour de toutes ces problématiques qui sont assez liées, de façon à sensibiliser les gens et à les pousser à l’action. Sans A_ n’est pas un média militant, mais c’est un média engagé qui croit qu'il faut parler de ces causes-là.
cafébabel : Et qu’espères-tu quand tu publies un article ?
Martin Besson : Ce qui est intéressant, c’est que ça crée de l’interaction entre les lecteurs et les Sans A_. Par exemple, Brigitte nous a dit qu’après son portrait, plein de gens sont venus la voir dans la rue et sa belle-sœur nous a contactés. Donc tu vois, ça montre le pouvoir des réseaux sociaux, de ce qui se passe quand on fait quelque chose de bien. Il y a également des gens qui nous disent : « Merci, grâce à vous mon regard a changé ». Et ça, c’est balaise ! Je peux aussi te lire le message que Samuel - un membre de Sans A_ - m’a envoyé l’autre jour : « Parfois, il y a des choses qui vous redonnent foi en ce métier. Hier soir, j’ai pris un café avec Caroline. Caroline est l’ex de Pierre, ancien barman à la rue que j’avais portraitisé il y a quelques semaines avec Corentin. Elle n’avait plus aucune nouvelle de Pierre jusqu’à ce qu’elle lise son portrait hier soir. Les larmes lui sont venues et moi la confirmation qu’on ne fait pas tout ça pour rien. »

 
cafébabel : Attends-tu aussi des choses de la part de la classe politique ?
Martin Besson : Non, pas du tout. Je suis très éloigné de tout ça. Et je n’ai pas envie que Sans A_ soit récupéré par un politique, parce qu’on se débrouille très bien avec nos lecteurs. Puis franchement, ça fait 30 ans que les associations font un travail de dingue pour qu’ils s’attaquent à ces questions, ça fait des lustres que les hommes politiques connaissent ces problématiques, mais ils ne sont pas capables de changer les choses, on le voit bien avec la loi travail en ce moment…
cafébabel : Justement, n'as-tu pas envie de faire plus que du journalisme pour faire bouger les choses ?
Martin Besson : Tu ne peux pas être militant, en faisant un média, ça ne fonctionne pas. Tu ne peux pas faire des actions militantes et après dire « coucou,  je vous informe ». Il y a un problème d’objectivité. Ce n’est pas notre rôle.
cafébabel : Oui, mais le journalisme que vous pratiquez, c’est déjà un acte social, non ?
Martin Besson : Oui, mais ce n’est pas du militantisme. En revanche dans le futur, on va faire un peu plus. On va se lancer dans le journalisme de solution. On interviewera une personne, cette personne nous dira : « Mon rêve, c’est ça » et on essaiera de faire en sorte qu’il se réalise via les lecteurs. Et ces derniers seront libres d’y participer ou pas.

 
cafébabel : À quoi elles rêvent toutes ces personnes dans la précarité ?
Martin Besson : C’est dur de faire des généralités. Serge, son rêve, c’était d’ouvrir un café pour sans-abris, par exemple. Emmanuelle, elle, voudrait rencontrer son chanteur préféré à Barcelone. Ils ont tous des désirs et des ambitions différentes. Mais quand on fait leur portrait, ils sont juste heureux de raconter leur histoire, de parler et de partager. Ils espèrent que ça peut provoquer un changement.
cafébabel : Lequel ?
Martin Besson : Pour les sans-abris, que les gens dans la rue les regardent plus et mieux, qu’on fasse attention à eux. Pour les personnes handicapées, qu’on se dise « ah oui, ils rencontrent beaucoup de problèmes » et qu’on règle ces problèmes. Il y a plein de choses… Alors nous, ce qu’on essaie déjà de faire, c’est d’apporter du bonheur, des choses positives dans leur vie en racontant leur histoire. Et si grâce à ça, on arrive à convaincre deux-trois personnes, c’est déjà bien. Si on arrive à en convaincre plus, c’est beaucoup mieux. Et on va s’y atteler !
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[Cet article a été rédigé par la rédaction de La Parisienne de cafébabel. Toute appellation d'origine contrôlée. Source : www.cafebabel.fr]

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