William S. Burroughs n'était pas qu'un écrivain. La figure phare de ce que l'on appelle communément la Beat Generation était également — surtout, diraient certains — un peintre et un plasticien reconnu dans le milieu. La galerie Semiose expose les œuvres de ce specimen et nous rappelle l’importance de la plasticité chez l’auteur du Festin nu (éd. Gallimard, trad. Eric Kahane). Aperçu de l’exposition et rencontre avec le directeur de la galerie, Benoît Porcher.
![]() |
pleased to meet you, numéro #1 consacré à William S. Burroughs
©Semiose Galerie
|
C’est dans un lieu d’un blanc immaculé que l'on découvre les œuvres de William S. Burroughs. De ces murs sur lesquels est projetée une lumière artificielle puissante jaillissent les peintures, dessins sur papier, planches de bois colorées de Burroughs. Benoît Porcher nous introduit à l’œuvre de celui qui est, pour lui, plus proche d’un plasticien que d’un écrivain : « Le cut-up, l’invention littéraire qu’il a faite avec Brion Gysin est presque un geste de plasticien : couper, découper, assembler le texte, c’est déjà un geste d’atelier. »
Dans l’œuvre générale de Burroughs, « la plasticité est centrale ». « On connaît des dessins qui datent des années 1950. Les œuvres que nous montrons à la galerie sont des œuvres des années 1980, il devait avoir 80 ans. Il a peint toute sa vie, mais cela s’est accéléré dans les dernières années, plus précisément après la mort de Brion Gysin [en juillet 1986, NdR]. Mais il a commencé à rendre ses œuvres publiques dès 1946. »
Brion Gysin était un poète, peintre et performer britanno-canadien. C’est lui qui aurait découvert le Beat Hotel et inventé, avec le mathématicien Ian Sommerville, la technique du cut-up. Elle consiste à découper en fragments et au hasard un texte original et de réarranger les fragments entre eux afin d’en faire un nouveau texte. Burroughs s'est livré à l'exercice à plusieurs reprises.
Dans sa vie, Burroughs entretenait des relations étroites avec les artistes qu’il admirait, mais qui l’admiraient particulièrement : « Toute sa vie, il a côtoyé des artistes. Il a parfois collaboré avec Keith Haring, George Condo, Robert Rauschenberg, notamment, et restait en permanence en contact avec Warhol ou John Giorno. Il a beaucoup médité sur le disque. Il s’est rapproché des artistes de la poésie sonore comme les Français Henri Chopin ou Bernard Heidsieck. Pour les plasticiens, il y avait David Hockney, Francis Bacon, Roberto Matta. Il a toujours cherché la présence des artistes et les artistes ont toujours cherché sa présence. »
Quand on lui demande ce qu’il pense des hommages rendus par des artistes plus contemporains comme Kurt Cobain ou David Bowie, Benoît Porcher estime que « les inventions sont faites pour donner des généalogies ». « C’est à ça qu’on reconnaît un artiste important : c’est quand il donne à manger aux générations suivantes. Burroughs est un génie pour ça. »
Le mysticisme dans le travail artistique de Burroughs
« William S. Burroughs faisait un grand travail méditatif. Évidemment, il travaillait sous substances, ou vivait sous substances, plus exactement. Mais l’idée c’est de parler de peinture. C’est une peinture magique à regarder, à expérimenter. C’est une peinture qui est peut-être l’extrapolation de ce qu’il a vécu avec la Dreamachine. » Cette dernière est une œuvre de Brion Gysin et Ian Sommerville qui utilise un cylindre tournant sur lui-même avec, en son centre, une ampoule émettant de la lumière sortant par des fentes spécialement conçues. La fréquence précise de la lumière de la Dreamachine est censée apaiser l’esprit et procurer des sensations lorsque les yeux sont ouverts ou fermés...
Retrouvez 10 choses que vous ignorez sur la Beat Generation
La peinture de Burroughs est une « peinture d'oracle ». « Le mysticisme s’exprime dans la scientologie ou autre chose. Il croit aux extraterrestres, il croit à toutes sortes de choses. C’est plutôt une envie d’autre chose. »
La Beat Generation, « marketing » avant tout
« Je pense qu’il ne faisait pas partie de la Beat Generation », poursuit Benoît Porcher. « Déjà, je ne comprends pas le terme de Beat Generation. C’est du marketing. » Et pourquoi le public a-t-il moins accès aux œuvres plastiques de Burroughs ? « Tout simplement parce que les arts plastiques sont moins visibles que la littérature et le cinéma. Comment faire oublier que Burroughs est l’auteur du Festin Nu ? On ne peut pas. De plus, rares sont les artistes plasticiens qui ont le même public qu’un chanteur ou un écrivain. »
« Les gens se rendent compte que l’œuvre de la “Beat Generation” est très liée à la plasticité. Le fameux rouleau de Jack Kerouac qui est exposé à Beaubourg [36,50 mètres de long, NdR] est un objet littéraire, certes, mais c’est un objet matériel avant tout. »
Pleased to meet you #1 : une revue consacrée à Burroughs
La galerie sort une nouvelle revue dont le premier numéro est consacré à Burroughs en tant que plasticien. On y trouve « ses inspirations, ses fréquentations, ses inventions plastiques ». Il y a un entretien dans lequel il raconte l’aspect magique de l’écriture : « Il disait que sa main faisait des choses et qu’après il les regardait. C’est pour ça que certaines œuvres sont signées dans plusieurs sens. »
La littérature et l’art plastique de Burroughs sont-ils du même ordre ? « Je ne sais pas si son écriture relève de la littérature », s’interroge Benoît Porcher. « Il y a des juxtapositions d’images, de peintures, le cut-up. C’est le même personnage qui écrit et qui parle. Le geste est fluide, simple. »
Parmi les pièces assez impressionnantes que nous montre la galerie, il y a le Gunshoot, tout au fond de l’exposition : « C’est une œuvre sur planche de bois, sur laquelle il a tiré à la carabine. Mais c’est une famille d’œuvres qui regroupe deux passions présentes dans la fin de sa vie : la peinture et le tir à la carabine. Il y a deux côtés, un côté brut et un côté éclat. Pour lui, les deux côtés sont aussi importants. C’est un jeu de hasard, une décision de tirer et qui donne des impacts de balle différents. C’est à la fois un geste de distance et en même temps un geste décidé, mais distinct qui provoque un éclat, un arrachement, du hasard. »
Le Gunshoot côté pile :

Le Gunshoot côté face :

« Il y a deux choses. Une récurrence (chiffres, personnages) et du hasard. Mais les préoccupations restent les mêmes. William faisait beaucoup de choses sur bois. »
Pour en savoir davantage sur l’œuvre de Burroughs, il faut revenir sur ce que l’artiste disait lui-même, notamment par la revue. « La parole de l’artiste est la plus juste », conclut Benoît Porcher.
À présent, testez vos connaissances sur la Beat Generation...
Sem comentários:
Enviar um comentário