sábado, 23 de abril de 2016

Le suicide politique de Bernie Sanders

Bernie Sanders en visite dans le quartier à prédominance afro-américaine de Brownsville, à Brooklyn.

Par Jacques BENILLOUCHE



Bernie Sanders était bien parti. Grâce à un discours innovant, il avait réussi à attirer une classe d’électeurs qui ne votaient pas forcément démocrate. Il est vrai qu’il avait longtemps été réticent à discuter de ses origines juives mais il avait précisé que le fait d’être juif et d'avoir perdu des parents dans la Shoah avait influencé son intérêt précoce pour la politique. Il avait habité le quartier le plus laïc de Brooklyn et avait fréquenté l’école publique mais il s’était fait un point d’honneur à s’absenter à l’occasion des fêtes juives. Il avait gardé une identité juive forte car beaucoup de membres de sa famille, restés en Europe, ont été assassinés pendant la Shoah. Mais cette identité était plus ethnique et culturelle que religieuse. 



Cependant au cours de sa campagne, il a voulu modifier les codes dans un pays qui reste malgré tout conservateur dans ses traditions politiques. Il croyait qu’en renversant la table, il pouvait changer l’esprit des électeurs. Il a d’abord renié ses amis israéliens en les critiquant pour la conduite de la guerre de Gaza et en inventant la mort de 10.000 "innocents" palestiniens alors toutes les sources les limitent à 2.000. Il fallait exagérer pour choquer et pour mobiliser les esprits.


Il pensait pouvoir se dégager de l’influence juive qui lui pesait. Personne ne lui avait demandé de prêter allégeance à Israël mais au moins de marquer une certaine solidarité avec le pays des Juifs. Son premier geste négatif a été de bouder la convention de l’AIPAC, passage obligé de tous les candidats à la présidentielle. C’est là que se réunissent tous les puissants des États-Unis, républicains comme démocrates. Donald Trump aurait été le seul à pouvoir s’en passer et pourtant il s’est présenté face au lobby juif.

Bennie Sanders, quand il a compris qu’il ne réussirait pas à obtenir l’investiture, a voulu détruire sur son passage, tel Samson, le pilier juif, comme un juif honteux qu’il n’est pas. Il s’en est pris à la fois aux Juifs et à Israël dans un combat perdu d’avance, mais dans le cadre d’un suicide clairement planifié. 

Simone Zimmermann

Sa stratégie a été dévastatrice le jour où il a engagé Simone Zimmermann comme coordinatrice de ses relations avec les Juifs. Ce fut une erreur car au lieu de le rapprocher des Juifs, elle l’a éloigné. Quelques jours après sa nomination, elle a d’ailleurs été suspendue après des commentaires désobligeants à propos du premier ministre israélien. On peut en vouloir au chef du gouvernement mais on ne l’insulte pas sans conséquence : « Bibi Netanyahou est un trompeur, un cynique, un connard manipulateur arrogant ... Va te faire foutre, Bibi, pour avoir osé insister que vous représentez légitimement même une fraction des Juifs dans ce monde».

Sanders était resté dans la critique virulente mais avec doigté ; pour lui la construction dans les implantations juives en Cisjordanie était nocive pour la sécurité d'Israël ; pour lui le gouvernement israélien ne faisait pas un effort sincère pour parvenir à la paix. Il avait affiché avec franchise ses préférences contre la politique israélienne mais ses conseillers auraient dû lui rappeler que le Sénat et le Congrès avaient été unanimes dans les ovations face au premier ministre israélien. Israël est intouchable pour la majorité des Américains. Or Sanders a été le rare candidat à prendre des positions négatives contre Israël en pleine campagne présidentielle. Généralement on avait droit à soutien affirmé de l’amitié avec Israël, parfois même à une promesse de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, mais les candidats évitaient d’entrer dans les affaires intérieures d’Israël. Il s’est donc condamné de lui-même et a déçu tous ceux qui avaient misé sérieusement sur lui.

Sanders au Vatican

Les stratèges de sa campagne ont eu tout faux comme s’ils voulaient la saboter. Les électeurs juifs n’ont pas compris sa visite au pape à Rome à la veille de la primaire décisive de New-York. C’était au contraire le moment de rencontrer les financiers de Wall Street et les «barbus juifs» de Brooklyn. Il a préféré l’acte le plus antijuif en pleine campagne, la soumission au représentant suprême du christianisme, comme s’il recherchait le vote catholique en dernier ressort. Certains y ont vu un défi contre les Juifs qui ont fini par dénier son appartenance au judaïsme, insulte suprême non justifiée.

Israël, quel que soit le gouvernement en place, est l’allié indéfectible des États-Unis au Moyen-Orient. On ne s’en prend pas à lui impunément, a fortiori lorsque l’on appartient à la même communauté. On croirait même que Sanders a voulu volontairement user des poncifs antijuifs : les Juifs détiennent les banques et le commerce, voire le monde. Il a utilisé le même langage qu’un Mélenchon en France. Il a appelé à rompre avec les banques et avec les accords de «libre commerce» qui touchent l’industrie américaine en appauvrissant les classes défavorisées, sous-entendu il faut s’élever contre la finance juive. Il ne pouvait pas gagner en rejetant les siens et en s’en prenant à la fois à l’establishment juif et israélien.


Il avait pourtant bien commencé sa campagne face aux étudiants de l’Université George Mason en Virginie, lorsqu’il avait répondu à une question d’une étudiante musulmane voilée, Remaz Abdelgader. Sanders l’avait prise dans ses bras pour la réconforter sous les applaudissements de la salle, en utilisant un langage qu’aucun gauchiste n’aurait désavoué: «Permettez-moi d'être très personnel ici, si vous me le permettez. Je suis juif. La famille de mon père est morte dans les camps de concentration. Je ferai tout ce que je peux pour débarrasser ce pays de la tache laide du racisme qui existe depuis de trop nombreuses années. Le racisme avec sexisme et homophobie ont longtemps été utilisés pour diviser les travailleurs. Ils ont joué un groupe contre un autre. Les riches se sont enrichis alors que tout le monde se battait les uns des autres. Notre travail consiste à construire une nation dans laquelle nous sommes tous ensemble comme un seul peuple».

Mais son couplet tardif anti israélien l’a éloigné de la victoire. À l’heure où ces lignes sont écrites, les jeux ne sont pas faits mais la défaite est actée. Il avait estimé que les Juifs ne voteront pas pour lui, uniquement parce qu’il affiche sa judéité, mais aujourd'hui ils n'ont aucune raison de le faire. Les Juifs américains décideront en fonction de leurs intérêts propres. Mais pour Sanders, jouer uniquement sur sa probité et sa frugalité ne suffit pas. La politique a des contours sinueux et des codes auxquels il faut se plier. Sanders n’était pas homme à se plier. Il en paie les conséquences.


[Source : benillouche.blogspot.com]

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