Deux ans et demi se sont écoulés depuis La Cerise, son disque précédent. Le discret Yvan Marc sort aujourd’hui Nos vies d’ours, un quatrième album toujours folk, plus intimiste, dans lequel il observe et convoque paysages et éléments pour faire parler les sentiments. RFI musique a rencontré ce chanteur-artisan qui continue d’œuvrer en marge des circuits.
Rfi Musique : Dans quel cadre vivez-vous ?
Je vis en Haute-Loire, où je partage mon temps entre la ville du Puy-en-Velay (20.000 habitants), et une petite cabane située dans un hameau d’une vingtaine de maisons dans la forêt du Meygal, à 1100m d’altitude. J’y suis resté sept ans, y vivant à l’année avant de déménager en ville quand j’ai eu des enfants. Je m’y réfugie le plus tôt possible, d’avril à octobre-novembre, car il n’y a pas vraiment de chauffage. Je suis bien là-bas. C’est très souvent là que j’écris mes chansons. Pour cet album particulièrement, c’est là qu’elles sont nées. J’y ai même fait des prises de son. Il est chargé de cette ambiance de nature et de forêt.
C’est la cabane de l’ours, qui apparaît en métaphore tout au long du disque… L’êtes-vous vraiment, ours ?
Quand j’y vais, je me dis que oui, puisque je me renferme. Et finalement non : c’est dans le monde moderne qu’on est ours. On est toujours sur nos écrans, on s’isole. Je me suis demandé ce qui était le plus ours. Dans les bois, ne suis-je pas plus ouvert à ce qui m’entoure, à la poésie du lieu, à la sensibilité ? Alors que quand je suis en ville, je suis sur mon ordinateur. Je sors moins, je suis peut-être moins à l’écoute. Ce paradoxe me travaille : comment concilier modernité et valeurs de la nature. Dans cet album, Nos vies d’ours, J’apprends, Le refuge, sont des titres qui traitent de ça, du besoin de retrouver quelque chose de plus animal. J’ai l’impression qu’on se construit un monde de technologie et d’objets, au détriment du monde qui nous porte et des éléments. On est dans une phase d’oubli de là d'où l’on vient. Comment je vis, qu’est-ce que j’apprends, qu’est-ce que je dois transmettre à mes enfants ? À se servir d’une tablette ou à s’ouvrir à la terre et à la poésie des éléments ? Moi qui suis toujours branché, cette forêt m’oblige à déconnecter.
On vous voit rarement à Paris, vous avez pour habitude de privilégier les concerts dans des lieux confidentiels. D’où cela vous vient-il ?
À mes débuts, je jouais surtout dans des bars, à la campagne. Je me suis construit un réseau de lieux alternatifs, qui font vivre la culture en milieu rural. J’aime beaucoup rencontrer ces gens. J’ai fait des saisons culturelles, puis des grandes salles en première partie de Mickey 3D et ça m’a vraiment plu, mais quand je suis reparti avec La Cerise, je n’avais pas envie de me prendre trop la tête pour préparer la tournée. J’ai commencé par y jouer pour roder mes chansons. J’ai pris beaucoup de plaisir et j’ai voulu continuer. Bien sûr, dans les grandes salles, on est accueillis dans des conditions techniques plutôt chouettes. Mais quand on va jouer dans les granges culturelles, les cafés associatifs, les médiathèques… Souvent, c’est le point culture du village, c’est assez touchant : il y a toujours du monde, les gens sont contents de nous recevoir, à l’écoute ; il n’y a pas de chichi et j’aime ça. On arrive, on installe notre décor – on en a un pour cet album-là – notre sono, on bricole les lumières. Il y a un côté très artisanal qui me plait, et un contact avec le public différent : on est vraiment proches, à la même hauteur. C’est agréable, il y a une discussion aussi après le concert.
Le public lui-même est différent…
Ça permet d’aller chercher un public très familial, qui ne viendrait pas autrement ; on a déjà joué devant un bébé, une dame de 80 ans… c’est très large. Ils viennent parce qu’on vient là où ils habitent. Même dans leur propre village, ils peuvent être réticents à cause de ce côté "culturel", "institution", qui leur fait parfois peur. J’ai fait un concert un jour à côté d’un four à pain, en plein air : il y avait une assemblée de 150 personnes, là où en vivent peut-être 20. Par le bouche-à-oreille… On voyait arriver les gens parce que je venais jouer "chez eux", sur la petite place du hameau. Je fais ça assez souvent, je trouve ça super sympa.
Comment s’y porte la délocalisation de la culture ?
Il y a suffisamment de lieux institutionnels. Ce qu’il faut, c’est justement aider ces petits lieux qui font vivre la musique autant que le théâtre. C’est un maillage qui permet justement d’apporter la culture dans ces zones plus isolées culturellement. Ça crée du lien social, ça dynamise un village. C’est important de les soutenir. Il ne faut pas grand-chose. En termes de financement, ils n’ont pas besoin de beaucoup. Je pense que les artistes commencent à avoir cette volonté d’aller dans ces lieux-là, au détriment peut-être du côté technique. Quand on y va, c’est dépouillé. C’est l’œuvre et la personne, le côté brut. On ne peut pas embellir le truc avec des lumières. Ils ont compris et ont envie d’y aller en faisant des efforts au niveau de la création, pour l’adapter à tous les lieux, qui n’ont pas énormément de budgets. C’est important qu’ils vivent et accueillent des spectacles de qualité avec des artistes qui vivent de cette musique. Ça permet aux gens d’avoir un regard sur ces métiers artistiques, c’est important. J’aime bien aller dans ces lieux-là. Quelque part, ça devrait être fondamental pour la vie dans ces communes, qui ont été désertées à un moment et se repeuplent maintenant.
Vous poursuivez par ailleurs votre activité d’enseignant…
Je suis issu de ce milieu-là, de la campagne. Je suis enseignant d’éducation socioculturelle à mi-temps en lycée agricole. C’est issu de l’éducation populaire, et on y fait avec mes élèves de BTS, de la méthodologie de projet en milieu rural. Je suis sensible à ça, et j’y développe cet aspect-là. C’est une matière qui m’a permis de faire de la musique, du théâtre. Avec mes étudiants, on écrit des chansons. Je fais des clubs de chant. On enregistre des disques, on fait des clips. J’organise des concerts dans le lycée où je fais venir des artistes. C’est ma vocation, et je me partage entre les deux métiers.
Yvan Marc Nos vies d’ours (LabelDiff43)2016
Site officiel d'Yvan Marc
Page Facebook d'Yvan Marc
Par Marie-Catherine Mardi
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