L'HISTOIRE
David Sumner, chercheur américain et sa femme Amy, emménagent dans la maison d’enfance de cette dernière, au fin fond de l’Angleterre. En quête d’une vie paisible et posée, le couple se heurte rapidement à l’hostilité du clan Hedden, dont Charlie Venner, ex-amant d’Amy, est un des membres les plus charismatiques. Alors que le couple se délite peu à peu, la virilité de David, être faible et lâche, sera mise à rude épreuve par les provocations des villageois et la violence qui l’entoure…
ANALYSE ET CRITIQUE
Formidable ironie de l’histoire, qui voit Irréversible descendu en flammes, alors que dans le même temps Criterion ouvre son prestigieux catalogue à Straw Dogs, œuvre aujourd’hui portée aux nues, hier vouée aux gémonies d’une presse qui a décidément la mémoire courte. Straw Dogs / Irréversible. 1972 / 2002… Trente ans mais toutes ses dents, et bien acérées s’il vous plait : les chiens de paille de Peckinpah gardent aujourd’hui tout leur mordant. Un film moderne et dérangeant, dont l’audace formelle (et thématique) ne cesse de poser des questions, à l’image des débats enflammés qui opposent encore aujourd’hui les cinéphiles pro et anti-Noé…
Tout comme dans le dernier opus de Gaspard Noé, la polémique prend sa source dans une scène de viol, longue, crue et extrêmement violente. Que ce soit chez Noé ou Peckinpah, cette scène primordiale, axe du film, procède d’une vraie réflexion de cinéaste qui a le mérite de poser des questions sur la représentation de cet acte (et plus généralement de la violence) sur un écran. Des questions de durée, de montage, de point de vue, d’emplacement de caméra… Des questions de cinéma, qui loin de toute controverse, obligent le spectateur à remettre en cause son statut de témoin (de voyeur ?). Et si le film de Noé, aux réponses parfois ambiguës, n’a pas encore eu le temps de trouver sa place dans l’Histoire du cinéma, gageons que le film de Peckinpah y est déjà, bien au chaud, aux côtés de petits frères tout aussi malpolis, sujet à polémiques et prestigieux que - excusez du peu - Orange Mécanique, l’Inspecteur Harry ou Délivrance. Des films qui avaient alors pour ambition de se frotter à la violence d’une époque (marquée notamment par l’enlisement de l’armée américaine au Vietnam) et qui chacun à leur manière, déclenchèrent des polémiques démesurées.
Le viol… Tout comme Kubrick et Boorman dans leurs deux oeuvres, Peckinpah fait de ce crime la clé de son film. La scène est ici la conséquence logique de divers éléments scénaristiques mis en place dans le premier tiers du film : la lâcheté de David Sumner, la frustration sexuelle d’Amy et la bestialité du clan Hedden. Dès le début du film, les pièces d’un puzzle fatal se mettent donc en place pour aboutir à l’inéluctable : que ce soit la première apparition d’Amy, cadrée uniquement sur sa poitrine aux seins dressés, le vol de la petite culotte par le gang Hedden ou encore la métaphore du piège à loups, tout nous mène vers le viol d’Amy par son ex-amant Charlie Venner, puis par Norman Scutt. Impuissant face à l’inévitable (sentiment qui sera poussé à son paroxysme par Noé et sa narration inversée), le spectateur n’est pas au bout ses peines. N’offrant aucun point de vue moral, poussant même le vice jusqu’à alterner des plans subjectifs du violeur et d’Amy, Peckinpah nous laisse nous démener avec un viol où la victime se montre, au fur et à mesure de la scène, de plus en plus consentante. Détail primordial qui fit scandale à l’époque, alimentant l’image misogyne du réalisateur de la Horde Sauvage mais qui tend surtout à étayer un des thèmes principaux du film : la déliquescence d’un couple aux frustrations sexuelles patentes...
Axe du film, le viol marque aussi son tournant vers un épilogue sanglant… Un véritable déchaînement cathartique où l’on retrouve toute la patte de Peckinpah, notamment dans son art consommé du montage. Longtemps considéré comme un des films les plus découpés de l’Histoire du cinéma, Straw Dogs plongea dans des abîmes de perplexité jusqu’à son monteur, Paul Davies, qui envoya des mémos affolés à la production au vu des premières scènes et des desiderata démentiels de Sam Peckinpah en matière de découpage. Cruel aveuglement qui aurait pu nous priver des films de John Woo quelques années plus tard, tant tout ce qui fait le sel du cinéma de Woo est déjà là dans la dernière heure de Straw Dogs - toute en ralentis, montage explosif, succession de plans ultra courts et violence graphique…
Cette fin, finalement assez ‘western’ dans son ton (le couple, reclus dans une maison, se défend contre une horde sauvage - qui a dit Rio Bravo ?) signe la mort du couple et achève d’enfoncer David, qui se révèle finalement aussi bestial et sauvage que les autres. Pacifiste dans l’âme, lui qui avait quitté les Etats-Unis pour échapper à la violence de ses émeutes, finit au bout du compte dans un bain de sang. Les beaux discours ne tiennent plus, seule la violence aura réussi à résoudre les conflits. Faible et lâche, abandonnant ses convictions (et sa femme par la même occasion – cf. dernière scène), David est à l’image des anti-héros du cinéma américain de l’époque : complexe et totalement paumé ("I don’t know my way home" : on a effectivement connu plus optimiste comme dialogue final).
D’un pessimisme noir, le film de Peckinpah s’inscrit dans le cinéma américain des années 70, celui des Boorman, Penn, Altman, Hopper ou autre Schlesinger. Un cinéma à la narration travaillée et destructurée (les nombreux flashs qui ponctuent le film, notamment lors de la scène de la messe), au formalisme marqué (un sens aigu du cadrage et du montage) et aux scénarios sombres, voire désespérés. Servi par un des plus grands acteurs de son époque, Dustin Hoffman, alors au sommet de sa gloire et qui venait d’enchaîner Little Big Man, Le lauréat et Macadam CowBoy, épaulé par une superbe Susan George (choix qu’Hoffman récusa pourtant), le film est aussi une superbe réussite formelle, jouant sur les tons grisés des décors et une partition musicale étonnante de Jerry Fielding.
Une date dans la filmographie de Peckinpah, mais aussi dans l’histoire de la Censure au cinéma : le film, purement et simplement banni des écrans anglais, doit sa seconde vie au… DVD, qui permet aujourd’hui aux spectateurs anglais (et du monde entier) de revoir cette œuvre vénéneuse, qualifié à l’époque de film faciste par la grande critique américaine Pauline Kael… Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Le film a trouvé sa place, son public, et une reconnaissance méritée, à la limite du statut culte. Un peu de patience Gaspard… Ton tour viendra.
[Source : www.dvdclassik.com]
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