Cherchez l'intrus entre Baudelaire, Girolamo Fracastoro, Oscar Wilde et James Joyce. Bravo, c'est Girolamo : il fut le seul à ne pas avoir contracté la syphilis, si l'on en croit de récentes études portant sur l'écrivain irlandais. Alors que le médecin italien, lui, n'aura fait que nommer la maladie. Mais qui ose donc souiller la mémoire du créateur de l'impénétrable Ulysse ?
Kevin Birmingham, professeur d'histoire et de littérature à Harvard, affirme dans son prochain livre que Joyce est devenu aveugle, justement à cause de la maladie vénérienne. L'ensemble des symptômes évoqués par l'écrivain ne pourraient avoir qu'une seule cause : que ce soient les abcès à la bouche, le bras droit handicapé, les évanouissements ou les insomnies... Inutile de recourir au Dr. House, la syphilis est la principale responsable.
En 1975, une biographie suggérait que l'on avait plutôt affaire à une maladie congénitale, bien que l'hypothèse de la maladie honteuse n'ait alors pas été complètement écartée. Le scientifique de Harvard promet qu'il a retourné toutes les pierres de ce mystère, mais une double référence à des injections d'arsenic et de phosphore, qu'il raconte dans deux lettres de 1928, lui ont mis la puce à l'oreille.
Un médicament, que Joyce cite, le Galyl, composé tout à la fois d'arsenic et de phosphore, était par ailleurs utilisé dans les traitements contre la syphilis. La messe est dite, l'affaire est faite : Joyce n'aura pas eu la chance d'être traité avec de la pénicilline, comme cela se fait aujourd'hui.
Le médecin qui suivait Joyce avait par ailleurs une très bonne réputation. Louis Borsch devait être assez assuré de son diagnostic, pour recommander 3 semaines d'injection d'un produit dangereux. Et surtout, personne ne traiterait avec des médicaments antisyphilitiques, une personne qui n'aurait pas la syphilis. Enfin, peut-être que si, mais il faudrait alors être passablement tordu...
Si l'on ajoute ces éléments au fait que les symptômes décrits répondent parfaitement, il semble évident. Mais Birmingham ne s'en laisse pas compter : « Sans le diagnostique, les lettres de Joyce nous feraient croire que Joyce était hypocondriaque rouspeteur ou quelqu'un qui n'est pas vraiment sain. La vérité est qu'il était dans un état de souffrance grave. Il souffrait profondément et en silence, et le fossé entre sa douleur intime et sa vie publique a contribué à façonner la manière dont il a écrit. »
En somme, les affres physiques ont participé à l'élaboration d'une fiction telle que nous la connaissons. Et lui-même ne manque pas de l'évoquer, à travers la mort d'un prêtre, dans The Sisters, qui est frappé par la maladie. La phase finale provoque même des bouleversements mentaux, qui montrent comment, dans sa phase finale, la syphilis peut être destructrice. Ce « piège mortel ordinaire, pour les jeunes gens », que l'on ne contracte qu'avec « les femmes de mauvaise vie », finalement, auraient pu être autant de messages de l'auteur pour signaler sa propre souffrance. (via Guardian)
D'autant plus que la syphilis restait un tabou majeur, dans une société encore peu encline à parler de sexualité. On mesure à quel point Joyce a pu doublement souffrir de cette maladie, mais également du silence qu'elle lui imposait.
En tout cas, la recherche progresse...
Écrit par Nicolas Gary
[Source : www.actualitte.com]
Sem comentários:
Enviar um comentário