Le pays est candidat à l'entrée dans la
Communauté des pays de langue portugaise, alors qu'il n'est pas
lusophone. Et ce n'est pas du goût de tout le monde.
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Le président Equato-Guinéen salue les [alors] président et premier ministre portugais Aníbal Cavaco Silva (au centre) et José Sócrates (à gauche) lors du sommet de la CPLP de 2008 à Lisbonne. |
Écrit par Hugo Dos Santos
Cela fait
quatre ans que la
Guinée-Equatoriale manifeste – à travers la voix de son président
Teodoro
Obiang – sa volonté d'intégrer la Communauté des pays de langue
portugaise (Cplc). Bien que le portugais y soit essentiellement parlé
par les expatriés angolais ou mozambicains, la langue de Camões a été
instituée en 2011 troisième langue officielle du pays, avec l'espagnol
et le
français. En réalité, si les Equato-Guinéens parlent surtout le fang
(une
langue de la famille bantoue) et le pidgin, 88 % d'entre eux parlent ou
comprennent l'espagnol, ce qui en fait le seul pays
d'Afrique ayant la langue de Cervantès comme langue officielle. Le but
avoué de la manœuvre était de pouvoir prétendre à entrer dans la Cplp,
un sésame pour le marché lusophone.
Lusophonie et droits de l'homme
Si l'adhésion de la Guinée-Equatoriale à la Cplc avait été refusée une première fois en 2012 (pour non-respect
flagrant des droits de l'homme), elle pourrait être acceptée cette année. En
effet, Rui Machete, ministre des affaires étrangères portugais, a déclaré dans un entretien au journal Público
qu'il
ne s'y opposait plus depuis l'abolition de la peine de mort dans ce pays
: "Je n'ai aucune raison de douter de la parole de la
Guinée-Equatoriale." Lorsque le journaliste Nuno Ribeiro lui a posé la
question de savoir comment se calibraient les exigences relatives aux
droits de l'homme, le ministre a répondu : "C'est une question
difficile, car cela dépend de quels droits de l'homme on parle."
Cette déclaration a provoqué l'indignation de
Manuel Alegre, une des figures de l'opposition portugaise et ancien
candidat du Parti socialiste à la présidentielle de 2006 : "Je vois avec
stupéfaction les mots du ministre Rui Machete. Le ministre des affaires
étrangères d'un pays démocratique ne peut avoir confiance dans la
parole d'une dictature ou d'un dictateur qui passe son temps à faire des
promesses mais ne change rien." L'ancien opposant à la dictature de Salazar déclare également que "doivent faire partie de la Cplp les pays
qui respectent formellement les règles de la démocratie, ce que ne fait
pas la Guinée-Equatoriale. Il doit y avoir d'autres raisons à
l'enthousiasme lié à cette nouvelle adhésion."
La Guinée-Equatoriale renfloue des banques portugaises
Le Bloc de gauche, par la voix de la députée Helena Pinto, voit un lien entre
l'adoucissement de la position du gouvernement portugais et la promesse
d'une entreprise d'Etat équato-guinéenne d'investir 133 millions
d'euros dans la Banif – une banque portugaise partiellement renflouée
par l'Etat portugais après la crise financière de 2008. "La Banif a
besoin de ce capital et peu lui en importe l'origine. Le régime
dictatorial de Teodoro Obiang a besoin de la Cplp pour se refaire une
virginité sur le plan international", proteste la députée de gauche
radicale, qui conlut : "La réponse est douloureusement simple : pétrole
et affaires."
Selon le Diário Económico,
l'eurodéputée socialiste Ana Gomes a demandé à la Banque du Portugal de
"faire son travail" et de "s'opposer à l'entrée de l'Etat
équato-guinéen dans le capital de la Banif". L'Autorité bancaire
européenne a également indiqué
que la Banque du Portugal était souveraine de décider de l'entrée de
ces nouveaux capitaux dans la banque détenue à hauteur de 70 % par
l'Etat portugais.
D'après l'hebdomadaire Sol, la
Guinée-Equatoriale serait également intéressée par une entrée au
capital de la banque portugaise BCP à hauteur de 11 %. Plus de 20 % de
la BCP appartient déjà à deux compagnies angolaises, la Sonangol (la
compagnie angolaise de pétrole) et le fonds d'investissement Inter
Oceânico.
Dans les faits, la peine de mort est loin d'être abolie
D'autre part, un groupe d'associations et de chercheurs portugais a publié une lettre ouverte à
Xanana Gusmão, Premier ministre du Timor-Oriental, où se déroulera le
prochain sommet de la Cplp (du 20 au 25 juillet), afin de lui demander
de mettre son veto à l'entrée de la Guinée-Equatoriale, rappelant que la revue Forbes
avait classé le dictateur Teodoro Obiang comme le huitième chef d'Etat
le plus fortuné au monde (alors que l'indice de développement humain est
un des plus bas), et que le pays était "loin d'obéir aux paramètres
démocratiques".
Le 25 février, l'opposant équato-guinéen Samuel Mba Mombe avait publié dans Público une lettre ouverte adressée au
Premier ministre portugais Pedro Passos Coelho. Il y souligne que
"quand la moitié du monde condamne la systématique et flagrante
violation des droits de l'homme en Guinée-Equatoriale, il est surprenant
que le Portugal, qui a souffert dans sa propre chair de l'impact d'une
dictature – et qui avait reçu un appui international – puisse
aujourd'hui soutenir une dictature cruelle qui assassine, séquestre,
emprisonne et torture."
La chercheuse Ana Lúcia Sá affirmait le 20 février
que "la peine de mort n'a pas été abolie en Guinée-Equatoriale. Nous ne
savons pas si elle le sera. En revanche, nous savons qu'il y a deux
semaines neuf personnes ont été exécutées en Guinée-Equatoriale." Selon
l'hebdomadaire Expresso,
Washington a également condamné la violation des droits de l'homme sous
la dictature de Teodoro Obiang et "la négation des libertés basiques :
liberté d'expression, de la presse, de réunion et d'activité politique".
[Source : www.courrierinternational.com]
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