terça-feira, 10 de dezembro de 2013

Les plages de Rio de Janeiro pas si démocratiques que ça !

Avec l’été austral qui pointe le bout de son nez, les plages de Rio de Janeiro sont attirantes. Sont-elles pour autant accueillantes pour tous ?

Plage d'Ipanema à Rio de Janeiro. Photo : WikiRio
Écrit par Jean-Jacques Fontaine, de Vision Brésil

Pas vraiment. Les touristes s’y sentent parfois en état d’insécurité, les résidents du bord de mer se plaignent d’être envahis par la population pauvre des quartiers du nord de la ville qui ne se sont pas les bienvenus en bordure d’océan. À Rio de Janeiro,  contrairement aux apparences, la plage n’est pas un espace démocratique. Elle est même un lieu de ségrégation sociale, affirme Julia O’Donnel, dans un ouvrage, « l’invention de Copacabana : culture urbaine et style de vie à Rio de Janeiro entre 1890 et 1940 ».

Mais si la grève carioca n’est pas équitablement partagée, c’est aussi parce que la notion du respect de l’autre est loin d’être la norme. Alors, pour jouir d’une baignade tranquille, sans se faire voler ses affaires, il faut encore souvent se méfier des intentions de son voisin de sable, quand il est jeune, noir et pauvre. Discipliner la plage pour en faire un espace public ouvert à tous impose une meilleure stratégie de surveillance de la part des forces de l’ordre, mais surtout un puissant effort d’éducation à la citoyenneté.

Domaine réservé

Julia O’Donnel, anthropologue originaire de São Paulo, vit à Rio de Janeiro depuis 2004. Pour sa thèse de doctorat, elle s’est penchée sur « l’histoire du projet de civilisation qui s’est construit sur la plage à partir de son occupation par les cariocas à la fin du XIX° siècle ». Avant le début des années 1900, les gens n’allaient en effet à la plage que sur indication médicale. Le bord de mer était perçu comme socialement sans intérêt. Mais dès 1920, par imitation de l’Europe et des États-Unis, la presse commence à en donner une autre image. La plage devient un endroit où il est élégant de se faire voir.


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"Five o'clock tea"

Mais pas n’importe comment ! La plage est le royaume de l’élite : bronzés et élégants, ceux qui la fréquentent font et défont les modes. Leur référence s’appelle Coco Chanel, telle qu’elle s’exhibe en tenue de bains dans les revues de luxe. A Copacabana, les « taiobas » qui se risquent ne sont pas accueillis à bras ouverts ! Les « taiobas », ce sont les passagers des tramways de seconde classe qui relient la Zone Nord au centre-ville. Par extension, les habitants des régions moins fortunées sont surnommés « taiobas ». La plage est un domaine qui leur est implicitement interdit.

Dans les années 1930, la presse se fait l’écho de diatribes enflammées dénonçant cette « invasion ». Ainsi, en 1929, le journal « Beira-Mar » (Bord de Mer) publie un éditorial dans lequel il affirme : « nous ne sommes pas de ceux qui veulent faire de Copacabana un lieu exclusivement pour les riches, mais nous défendons l’ordre et la beauté sociale de nos plages. Soyons progressistes, mais en séparant le bon grain de l’ivraie. »
Une ségrégation qui dure
Copacabana est aujourd’hui un quartier populaire et sa plage est fréquentée par tous. Mais la discrimination se perpétue, note Julia O’Donnel, au fur et à mesure qu’on avance vers l’ouest, vers Ipanema et Leblon. « Les résidents du bord de mer parlent toujours de nous et les autres. Depuis l’arrivée du métro en 2009, la zone de l’Arpoador, au début de la plage d’Ipanema est vue comme le lieu des favelados. Il suffit qu’un groupe d’adolescents de couleur décide de s’installer au niveau du Poste 10 d’Ipanema, pour que les habitués migrent vers le Poste 11 à Leblon [*]. »

Le constat est incontestable : la plage de Rio de Janeiro est objet de discrimination. Mais si l’espace du bord de mer est aussi mal partagé, ce n’est pas seulement à cause d’idées toutes faites. La réalité, hélas, rejoint souvent l’imaginaire: en majorité, les vols, les désordres et la saleté abandonnée sur le sable en fin de journée sont le fait des baigneurs provenant de la Zone Nord. Le simple réflexe de chercher à préserver sa tranquillité impose donc souvent de s’éloigner des lieux investis par cette catégorie de la population. Les faits nourrissent les préjugés, qui à leur tour alimentent la perception des faits. Et la stratégie des autorités, ou plutôt le manque de stratégie, n’aide pas à résoudre la question.
Des faits et des préjugés…

Témoin « l’arrastão », la razzia perpétrée contre des baigneurs par plusieurs groupes de jeunes et d’adolescents, lors d’un beau dimanche ensoleillé de mi-novembre sur la plage de l’Arpoador, qui a donné lieu à des courses-poursuites avec les policiers jusque dans l’eau, dont les photographes de presse se sont régalés ! Dès le lendemain, plus de 600 policiers étaient déployés le long de la grève d’Ipanema pour prévenir le retour de tels incidents. Sauf qu’on était lundi et qu’il pleuvait. Les forces de l’ordre étaient inutilement plus nombreuses que les baigneurs. 48 heures après, les képis avaient disparu !

Manchette du journal Oglobo - 20 novembre 2013
Autre phénomène, la prolifération des baraques et des vendeurs ambulants sur le sable. Par un respectable souci démocratique de préserver le commerce ambulant pour donner du travail aux personnes les plus modestes, la vente de boissons, glaces et autres en-cas sur la plage n’est pas limitée. Il faut seulement bénéficier d’une autorisation qui s’obtient facilement. Aussi respectable soit-elle, leur activité débordante génère une énorme quantité de déchets, canettes de bière, emballages et autres, qui s’accumulent en fin de journée, particulièrement dans les zones investies par les populations les plus pauvres, qui, par manque d’éducation, n’ont jamais été incitées à ramener leurs déchets avec eux ou à les déposer dans une poubelle.
Réglementer et éduquer

C’est donc un immense travail de réglementation de l’usage de la plage et de surveillance systématique qu’il faut entreprendre à Rio de Janeiro, pour éviter que, comme dans les années 1990, les plages ne soient à nouveau désertées par les touristes à cause de l’insécurité et de leur saleté. Mais c’est aussi un énorme effort d’éducation à la citoyenneté partagée qu’il faut faire, pour que tous les cariocas (et les visiteurs !) prennent conscience que cet espace est leur et qu’ils en sont responsables.

Détritus abandonnés sur la plage de Leblon
Photo : www.portaldeleblon.com.br
Les choses ne se sont pas passées autrement d’ailleurs, sur les plages européennes. Il a fallu bien des années pour les discipliner, pour que le pavillon bleu de la propreté flotte partout, que des poubelles en suffisance soient installées pour inciter les baigneurs à les utiliser, et que des surveillants en nombre adéquat aident à faire régner l’ordre. Avec d’ailleurs un effet pervers que le Brésil ne connaît pas encore : la réglementation est devenue si rigoureuse sur certaines parties du littoral français, par exemple, que les buvettes et échoppes qui les bordent pratiquent souvent des prix qui éloignent de certaines zones les populations les moins fortunées.

À y regarder de plus près, les plages publiques « européennes » n’ont peut-être de démocratique que l’apparence. Même si la « privatisation » du sable, dont l’Italie s’est fait la championne, n’est encore l’apanage que de peu de pays, la ségrégation basée sur capacité économique n’est peut-être pas si différente des préjugés de classe qui règnent sur les plages de Rio de Janeiro.

[*] Les Postes sont les centres de surveillance de la mer des pompiers installés tous les 700 mètres le long de la plage. Ils sont numérotés de 1 à 12, le premier, le Poste 1, est installé au début de Copacabana et le dernier, le Poste 12, à la fin de la plage de Leblon.

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