quinta-feira, 5 de dezembro de 2013

Et si l’innovation venait des pays du Sud ?

Consommerons-nous plus de produits et services conçus dans les pays du Sud? Bénédicte Faivre-Tavignot, directrice de la Chaire "Social business" à HEC, explique cette tendance qui séduit les pays industrialisés.


Contributeur : Bénédicte Faivre-Tavignot

Dans la course à l’innovation dans laquelle les entreprises globalisées sont engagées (comme une véritable condition de survie), un nouveau concept émerge et se développe depuis 2009-2010: celui de l’innovation inversée.

Introduit dans un article de Harvard Business Review par deux professeurs, Vijay Govindarajan, Chris Trimble, et le PDG de General Electric, Jeffrey Immelt, il désigne alors une innovation réalisée dans les pays en développement, avant d’être répliquée dans les pays industrialisés. S’agit-il alors d’une tendance de fond dans le monde de l’innovation ou d’une nouvelle mode éphémère ?

Un tracteur développé en Inde, vendu dans 70 pays


L’exemple le plus connu, cité dans l’article évoqué précédemment, est celui de l’électrocardiogramme léger et portatif, conçu en Inde par General Electric, pour les zones rurales, à un prix 80% moins cher que les appareils similaires américains. 

L’entreprise a réalisé que cet appareil pouvait être également vendu aux Etats-Unis, pour des usages spécifiques tels que les accidents de la route: un appareil portatif et moins cher y est pertinent; un tel usage permet par ailleurs d’éviter le risque de "cannibalisation". C’est-à-dire que les clients habituels se tournent vers d'autres produits de cette même entreprise, moins rentables pour elle.


L'électrocardiogramme portatif de Genral Electric. Crédit: General Electric.

Un autre exemple est celui du groupe américain de tracteurs Deere & Company: arrivé en Inde dans les années 2000 pour vendre des tracteurs conçus aux Etats-Unis, il a vite compris que les produits sophistiqués et chers conçus à l’origine pour les agriculteurs américains ne répondaient pas aux attentes de prix et de flexibilité des agriculteurs indiens et ne pouvaient se vendre. Il a donc développé, en Inde, une gamme de tracteurs plus simples, plus robustes, plus modulables aussi, qui quelques années après, en 2011, étaient déjà en vente dans 70 pays, dont les Etats-Unis.

On le voit ici, l’innovation inversée est proche du concept d’innovation frugale ou de Jugaad Innovation (que certains traduisent par "innovation ingénieuse"); même si ces concepts sont en principe distincts.

Un phénomène encore limité

S’il est possible de citer d’autres exemples d’innovation inversée, le phénomène est encore loin d’exploser: les exemples se limitent encore souvent à quelques multinationales et à l’intérieur de ces dernières, à quelques produits.

Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’une part, l’innovation "in", menée sur le terrain, est un processus long et complexe : on observe que les multinationales des pays développés mettent un temps certain à innover véritablement dans les pays émergents, et à bâtir des modèles profitables. D’autre part, l’innovation "from", réplication et diffusion des innovations terrain dans d’autres pays, notamment développés, suppose la mise en œuvre de stratégies, structures et processus bien spécifiques.

Innover pour les clients pauvres : un levier de compétitivité ?

Faut-il en conclure que l’innovation inversée fait partie de ces nombreux mirages qui, un temps, ont pu fait miroiter la richesse à moindre coût ? La conclusion est sans doute aussi un peu hâtive. Le fait est que ce concept répond à un enjeu de compétitivité majeur, voire de survie pour un certain nombre de multinationales des pays développés : un moyen quasi-incontournable à terme de résister aux concurrents issus des pays émergents. Ces derniers sont d’autant plus redoutables qu’ils sont méconnus, et les menacent avec des offres en rupture et un certain retour à la simplicité.

Par ailleurs, la crise économique, particulièrement marquée actuellement en Europe du Sud (Grèce, Portugal, Espagne avec 50% de chômage des jeunes), et la précarité qui en résulte, rendent encore plus pertinent le retour à des produits simples et moins coûteux. Les exemples cités ci-dessus et les initiatives d’accès aux biens et services menés par Danone au Bangladesh, au Sénégal et répliqués dans d’autres pays, mettent en lumière le potentiel transformationnel de ces démarches.

Travailler pour et avec les personnes à bas revenus peut permettre aux entreprises de nos pays de remettre en cause leurs manières habituelles de penser et d’agir : confrontées à des contraintes très fortes de coût et d’accessibilité, et engagées dans des démarches de co-création avec les acteurs de la société civile et les communautés, elles en viennent à mener des innovations de rupture, à fonctionner sous un mode beaucoup plus entrepreneurial, en partant à nouveau des besoins et attentes des populations pour concevoir des produits et services adaptés. 

Levier de compétitivité pour l’entreprise, l’innovation inversée peut aussi dès lors induire de profondes transformations, contribuant à une économie frugale, créative, centrée sur les besoins des personnes ; et finalement plus inclusive et soutenable.

[Photo : Flickr/Balaji.B- source : www.youphil.com]

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