domingo, 15 de dezembro de 2013

Dany Laferrière tourne la page

L'écrivain d'origine haïtienne Dany Laferrière, 60 ans, a été élu le 12 décembre à l'Académie française. Cette bonne nouvelle ne doit pas faire oublier que les intellectuels haïtiens ont été pourchassés et brimés par des politiques méprisant la culture, dénonce l'éditorialiste.

Dany Laferrière lors d'une conférence au chateau de Vincennes, à Paris, le 24 septembre 2010
Écrit par Dieulermesson PETIT FRERE

La nouvelle de l'élection de Dany Laferrière à l'Académie française le 12 décembre a explosé comme une grenade. Un geste, ô combien historique, qui vient de nous remettre sur la carte du monde. La nouvelle a parcouru le web – donc la planète – comme un éclair déchirant l'horizon. 

Avec 13 voix sur 23, il devient, après Léopold Sédar Senghor, le deuxième Noir – ou plutôt le deuxième descendant d'Africain – à entrer dans cette prestigieuse institution vieille de plus de trois siècles. L'histoire retiendra que "Da" est entré à l'Institut sans se fatiguer, contrairement à de grandes figures de la littérature française, entre autres Zola ou Hugo, qui se sont vus recaler à plusieurs reprises avant d'y être accueillis. Les discours pleuvront – si ce n'est déjà le cas – sur la terre d'Ayiti Toma.

Mais avec quel courage on entendra la ministre de la Culture [haïtienne], sourire aux lèvres, une pointe de fierté dans le regard, un noble orgueil dans la voix, adresser ses félicitations à l'académicien ? Ou même notre président de la République, qui n'a fait que se servir de la banalisation du savoir pour arriver au pouvoir ? On se souvient encore de ses slogans de campagne. "A bas les diplômes !" clamait-on haut et fort pendant toute la période électorale.

Que de discours haineux et méprisants contre ces hommes de plume. Un gouvernement qui ne jure que par le carnaval. La bamboche populaire au lieu d'investir dans l'homme haïtien. Les discours pompeux, vides de toute construction sociétale. On aura vite oublié que Dany est un exilé. Un banni de la dictature de Baby Doc [Jean-Claude Duvalier, de 1971 à 1986]. A un moment où ce dernier faisait – comme son père [François Duvalier (Papa Doc) de 1967 à 1971 – la chasse aux intellectuels. Par peur de se voir assassiné comme son ami Gasner Raymond, journaliste comme lui, il s'est réfugié au Canada. Là-bas, il a été accueilli. Accepté. Respecté. Vénéré. Et on a cru en lui. Il s'est construit une vie. Une nouvelle famille. Dans le froid glacial de cette mégapole qui l'a bercé plus de trente-cinq ans durant. Fatigué et meurtri par le silence imposé par Le Cri des oiseaux fous, pour avoir perdu Le Goût des jeunes filles et L'Odeur du café, Dany revient aujourd'hui Vers le sud pour revivre ses Années 1980 dans sa vieille Ford. Question de résoudre l'énigme du retour.

C'est Edward Said qui l'écrit dans Representations of the Intellectual : "L'intellectuel est un individu qui joue, au sein de la société, un rôle particulier qui ne saurait être réduit à celui d'un professionnel anonyme ; il est doté de la capacité de formuler une pensée ou une opinion, aussi bien en direction d'un public qu'en son nom. Et c'est un rôle délicat, car cet individu mettra un point d'honneur à poser publiquement des questions embarrassantes, à affronter l'orthodoxie, à incarner celui qui ne peut être facilement coopté par les autorités, et dont la raison d'être est de représenter les personnes et les problèmes qu'on a l'habitude de glisser sous le tapis." Et Noam Chomsky de renchérir dans les mêmes termes pour souligner que "les intellectuels sont ceux qui écrivent l'Histoire". Ils sont le ciment de la société, nous dit-il. Des avant-gardes.

Avec l'élection de Dany à l'Académie française, c'est une tout autre page de l'histoire d'Haïti qui vient d'être écrite ou se récrit. C'est le moment d'envoyer un autre signal au monde pour qu'on soit perçu autrement. Voici venu en Haïti le temps de construire et de croire en l'homme. Le temps de "tourner la page [...], jeter le vieux cahier [...] et enlacer l'arbre, la colonne de marbre qui fuse dans le ciel", pour reprendre les paroles de la chanson [Il faut tourner la page] de Claude Nougaro.

La culture est tout ce qui nous reste debout quand tout tombe en Haïti, avait souligné notre académicien, il y a seulement trois ans. Qu'avons-nous fait de c(s)es paroles ? Que d'occasions avons-nous manquées afin de redresser la barque ? Depuis deux siècles que nous nageons dans la bêtise et la médiocrité ! Cet événement doit au moins nous servir de prétexte pour nous porter à remettre les pendules à l'heure. A nous prendre au sérieux. A faire de la culture notre carte de visite. A croire aux choses de l'esprit. Question d'inventer un avenir aux jeunes.

[Photo : AFP/Bertrand Langlois - source : www.courrierinternational.com]

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