Œuvre assez déjantée à l'époque, le roman de Cervantes 
serait le plus lu et le plus traduit au monde. Il serait aussi le livre 
le plus lu après la Bible. Quatre siècles plus tard, le chevalier errant
 caracolle toujours en tête de liste des best-sellers mondiaux, y 
compris en version numérique.
Le titre complet du premier volume est « El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha », œuvre du grand Miguel de Cervantes donc, dont la vie aventureuse n'a rien à envier à celle de son héros.
Un premier volume en 1605
Petite parenthèse qui réconfortera peut-être les plumitifs que 
nous sommes, Cervantes n'aura de cesse d'avoir des difficultés à joindre
 les deux bouts au cours de sa longue existence (1547-1616), même avec 
la célébrité, preuve que les difficultés économiques liées à la 
profession ne datent pas d'hier.
La première édition du premier volume est donc publiée en 1605 à Madrid par Juan de la Cuesta, suite à l'accord (el privilegio real)
 signé par Cervantes le 26 septembre 1604. À l'époque, on ne pouvait pas
 encore balancer son œuvre sur le web du jour en lendemain et acquérir 
une célébrité immédiate via Facebook et Twitter. Mais, même sans les 
moyens de diffusion contemporains, l'œuvre de Cervantes cartonne, tout 
au moins dans le sud de l'Europe.
Tant et si bien que l'éditeur et imprimeur Juan de la Cuesta 
publie rapidement, dès la même année, une deuxième édition du roman, 
suite à un nouveau privilegio real signé par Cervantes le 9 
février 1605, cette fois pour diffusion non plus seulement en Espagne 
mais aussi au Portugal. En quelques semaines, le succès est fulgurant.
Cette deuxième édition du roman correspond à peu de choses près
 à la première édition, à l'exception des chapitres 23 et 30 devenus 
nettement plus volumineux avec le récit du vol de l'âne de Sancho Panza,
 fidèle compagnon du Quichotte (appelé tout simplement el Quijote en espagnol, donc autant faire de même en français), puis le retour du même âne à son heureux propriétaire.
Toujours en 1605, deux autres éditions du Quichotte non 
autorisées (des éditions pirates, donc, n'ayons pas peur des mots) sont 
publiées à Lisbonne, ville phare du Portugal, et deux autres éditions 
dûment autorisées sont publiées à Valence, sur la côte est de l'Espagne.
 On notera en passant que les éditions pirates existent dès le XVIIe siècle et ne sont donc pas l'un des fléaux apportés par l'internet, contrairement à ce qu'on veut souvent nous faire croire.
En 1607, le roman est publié à Bruxelles, première étape hors 
de la péninsule Ibérique, bien avant que cette ville ne soit le siège de
 la Communauté européenne.
En 1608, le roman est de nouveau publié à Madrid par le même 
Juan de la Cuesta. J'espère que vous me suivez, la vie du livre suivant 
des méandres aussi sinueux que ceux de son héros, et qui plus est des 
méandres qui diffèrent énormément selon les sources consultées, la 
légende venant enjoliver la réalité. Pour une fois, on privilégie ici 
les sources pré-internet du XXe siècle.
Cette troisième édition « officielle » (les deux premières 
datant de 1605) présente des variantes et corrections attribuées pendant
 un temps à Cervantes. Mais certains spécialistes pensent que le texte 
véritablement écrit de la plume de l'auteur est la première édition de 
1605, et qu'il n'aurait pas participé aux ajouts et corrections des 
éditions suivantes, à l'exception du récit du vol de l'âne de Sancho 
Panza. Qui se serait alors permis de tels ajouts et corrections ? 
L'éditeur qui, déjà à l'époque, « arrangeait » l'œuvre de l'auteur à sa 
façon, pour raisons commerciales et autres ? 
ID Number, CC BY 2.0
On raconte aussi que, dans sa hâte à republier l'œuvre (ou à la
 réimprimer, pas de différence sensible à l'époque) pour que les fans de
 Cervantes n'aillent pas acheter une édition pirate (non, pas sur 
l'internet, nous sommes toujours au XVIIe siècle), l'éditeur aurait 
malencontreusement laissé passer quelques fautes d'orthographe 
immédiatement repérées par les érudits de l'époque, et bien sûr par les 
critiques littéraires.
Un deuxième volume en 1615
Suite à quelques autres écrits laissant moins de traces dans le
 firmament littéraire, Cervantes récidive dix ans plus tard avec un 
deuxième volume, dénommé cette fois « El ingenioso caballero don Quijote de la Mancha » et publié par le même Juan de la Cuesta en 1615, suite au privilegio real signé en mars et une ultime approbacion
 signée en novembre (la première ayant été signée dès février), soit 
cinq mois avant la mort de Cervantes le 22 avril 1616 (la veille de la 
mort de Shakespeare). À notre époque contemporaine, ce deuxième volume 
aurait pu être disponible en librairie juste pour les fêtes de fin 
d'année, pour peu que l'imprimeur ne perde pas de temps et le 
distributeur non plus.
Outre Don Quichotte et Sancho Panza, dont le quotient 
intellectuel (QI) semble augmenter de chapitre en chapitre au contact de
 son illustre maître - une réflexion personnelle confortée par les 
spécialistes du sujet -, 200 personnages foisonnent, avec 150 
personnages masculins et 50 personnages féminins. Pas encore de parité 
donc, mais le pourcentage de femmes reste impressionnant pour l'époque, 
la plus visible et la plus touchante étant Dulcinée, le grand amour du 
Quichotte. Précisons que, dans la vie réelle de Cervantes aussi, les 
femmes qui l'entourent sont loin d'être des potiches sans voix et sans 
caractère, et que leur vie amoureuse n'est pas encore soumise au 
puritanisme des siècles suivants.
N'oublions pas non plus un autre personnage essentiel, qui est 
Rossinante, le fidèle cheval du Quichotte, un étalon décharné 
immortalisé dans nombre d'œuvres d'art en Espagne et ailleurs. Le 
Quichotte, cherchant un nom pour sa monture, fait ce choix suite à 
quatre jours d'intense réflexion pour « signifier clairement que sa 
monture avait été antérieurement une simple rosse, avant de devenir la 
première de toutes les rosses du monde ».  Pas de modestie excessive 
donc pour le cheval comme pour le maître.
L'œuvre – désormais en deux volumes – poursuit son chemin au 
fil des siècles vers la gloire planétaire, sans éclipses majeures 
semble-t-il, contrairement à d'autres chefs-d'œuvre de la littérature 
mondiale. Elle aurait été publiée une trentaine de fois dans sa langue 
originale au XVIIe siècle, une quarantaine de fois au XVIIIe siècle, environ deux cents fois au XIXe siècle et au moins trois cents fois au XXe siècle, de manière assez régulière, soit trois fois par an. 
Moult traductions
Les traductions foisonnent dès le XVIIe
 siècle en anglais, français, italien, allemand et hollandais, preuve 
que l'Union européenne existait bien avant le XXe siècle, tout au moins 
dans le monde littéraire. 
fredpanasse, CC BY SA 2.0
La première traduction des aventures du Quichotte (dont 
l'édition originale fut publiée en 1605) est en anglais, même si 
l'anglais n'est pas encore la lingua franca indispensable aux 
communications mondiales, y compris littéraires. Peut-être est-ce dû à 
l'influence de Shakespeare, dont ce sont les dernières années sur terre.
Le traducteur s'attelant à cette tâche gigantesque est Thomas 
Shelton, ce sans traitement de texte, sans traduction assistée par 
ordinateur et sans correcteur d'orthographe. Sa traduction est publiée à
 Londres en 1612 sous le titre « The history of the valerous and wittie knight-errant don Quixote of the Mancha ».
 Thomas Shelton traduit ensuite le deuxième volume (dont l'édition 
originale fut publiée en 1615) dans la foulée, avec publication de la 
traduction en 1620.
Suit une traduction française très attendue dans la Ville 
Lumière, particulièrement à la Sorbonne et dans les cafés littéraires 
branchés du Quartier Latin, et partout en France et en Francophonie, 
très vaste puisque le français est toujours la première langue mondiale 
et ne s'est pas encore fait doubler par l'anglais. Le premier volume est
 traduit par César Oudin, et paraît à Paris en 1614 sous le titre de « L'ingénieux don Quixote de la Manche »,
 un titre plus sobre que le titre anglais, une fois n'est pas coutume. 
Le deuxième volume, traduit cette fois par François de Rosset, paraît en
 1618.
Vient ensuite une traduction en italien par Lorenzo Franciosini de Castelfiorentino, sous le titre de « L'ingegnoso cittadino don Chisciotte della Mancia »,
 publiée à Venise en 1622. La traduction du deuxième volume est publiée 
en 1625. On imagine avec émotion l'œuvre de Cervantes voyageant dans 
l'une des milliers de gondoles circulant dans les rues de Venise pour 
être livrée à domicile et aux libraires, ou partant à bride abattue 
conquérir Rome et d'autres villes.
Suivent des traductions en allemand et en hollandais, toujours au XVIIe siècle, en danois, en polonais, en portugais et en russe au XVIIIe siècle, et enfin dans pratiquement toutes les langues - aussi bien majeures que minoritaires - aux XIXe et XXe siècles.
Certains mettent la barre très haut. Au lieu de lire l'œuvre 
traduite dans leur langue maternelle, ils décident d'apprendre le 
castillan – devenu l'espagnol - pour pouvoir lire les aventures de Don 
Quichotte en version originale.
C'est notamment le cas d'Alexandre Pouchkine, selon Wikipédia. 
Mais Wikipédia ne mentionne pas si Pouchkine a vraiment lu les deux 
volumes en castillan de bout en bout ou si les services de Google 
Traduction de l'espagnol vers le russe lui ont manqué pour les passages 
les plus difficiles à comprendre, qu'il aurait donc zappés pour passer à
 la page suivante.
Pour ceux qui veulent se lancer, signalons la belle édition 
virtuelle (gratuite, bien sûr) de Don Quichotte sur le site du Centro 
Virtual Cervantes.
Écrit par Marie Lebert
[Source : www.actualitte.com]   

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