Une inconnue s’immisce dans la vie d’une veuve dont le couple
parfait a été violemment brisé. Une réflexion poétique sur l’amour, le
deuil et l’oubli.
Écrit par Nathalie Crom
![]() |
Los Enamoramientos, traduit de l'espagnol par Anne-Marie Geninet Ed. Gallimard | 384 p., 22,50 €. |
Le réel n’est pas que tangible, événements, faits, lieux, mots prononcés – il est cela, bien sûr, mais à quoi s’ajoute la somme sans fin des pensées et de leurs revirements, des intentions, des intuitions, des éclats de désir ou de mémoire, des hypothèses, des possibles demeurés inaccomplis. C’est de ce réel vertigineux, inaccessible parce que sans contour, sans limite, que se saisit l’écrivain Javier Marías dans Comme les amours, exercice romanesque éblouissant fonctionnant tout ensemble comme un roman à suspense et une fable métaphysique déployant une méditation captivante sur les thèmes forcément mêlés de l’amour, de la mort.
Tout commence donc comme une narration classique, plutôt attrayante :
tous les matins, à la terrasse du café où elle prend son petit
déjeuner, une jeune femme prénommée María, la narratrice du roman,
observe discrètement un couple qu’elle a surnommé le Couple parfait –
parce que le spectacle non ostentatoire mais éclatant de leur amour, de
l’harmonie qui règne entre eux deux, lui « donne plaisir et quiétude », confère
à sa journée à venir une aura d’optimisme. Cela dure des mois, jusqu’au
jour où María apprend que l’homme est mort brutalement, poignardé par
un sans-domicile-fixe déséquilibré. Le Couple parfait disparaît donc de
son paysage, mais un beau jour, à la terrasse du café, réapparaît la
femme, seule donc désormais, et dont María décide de s’approcher, mue
par un sentiment mélangé de sympathie et de curiosité.
Le défunt s’appelait Miguel Deverne ou Desvern – sur cette question,
le flou persiste… –, apprend María, son épouse se nomme Luisa Alday,
accablée par le deuil et l’absence de l’homme qu’elle aimait.
Instantanément, voilà María comme aspirée par ce chagrin, obsédée et
mentalement envahie par cette femme navrée et par ceux qui l’entourent,
notamment le dénommé Javier Diaz-Varela, qui fut le meilleur ami de
Miguel et veille désormais sur Luisa.
La piste de lecture de Comme les amours ouverte par les toutes
premières pages du livre, celle qui relève presque du roman policier,
tourne rapidement court, tandis que l’on pénètre toujours plus avant
dans le patient, précis et enveloppant dispositif narratif que met en
place Javier Marías. Si enquête il y a, son objet n’est pas tant de
savoir qui a guidé la main de l’assassin de Miguel Deverne/Desvern – on
le saura, de fait, mais peu importe ou presque – que de réfléchir à la
place qu’occupent les morts auprès des vivants. De quelle façon pèsent
sur ces derniers la mémoire de ceux qui ne sont plus là, les promesses
qui leur ont été faites ? Quelle sorte de crime est l’oubli ? Que
devient l’amour lorsque celui ou celle qui le suscitait n’est plus là ?
Quelle ambivalente curiosité, ou secrète perversité, nous incite parfois
à imaginer la mort d’un être proche, aimé ? De quel meurtre, quel
sacrilège nous rendons-nous alors coupable ? Ce ne sont là que
quelques-unes des interrogations que soulève, examine, évalue moralement
et poétiquement le roman hautement spéculatif de Javier Marías. Lequel
convoque, en outre, en guise d’interlocuteurs privilégiés, Balzac (Le Colonel Chabert), Dumas (Les Trois Mousquetaires) et Shakespeare (Macbeth), pour avec eux, non pas en marge de la narration mais à travers elle, converser sur l’amour, la mort, la folie, le meurtre.
[Source : www.telerama.fr]
Sem comentários:
Enviar um comentário