quinta-feira, 18 de abril de 2013

Quand le portugais s’inspire du français


Au Brésil, il est possible de dîner à la carte au restaurant, passer sa commande au garçom, prendre le metrô, offrir un buquê de fleurs, assister à la première d’un film ou au vernissage d’une exposition. Rosa A. Bottosso Passos, professeur et directrice de l’Alliance Française de Jaboticabal dans l’Etat de São Paulo, nous en dit un peu plus sur l’emprunt de mots français dans le portugais du Brésil.

Lepetitjournal.com - Le portugais et le français étant deux langues romanes, comment distingue-t-on les mots importés spécifiquement du français dans le portugais du Brésil ?
Rosa A. Bottosso Passos - Difficilement. On peut reconnaître certains mots empruntés au français – les gallicismes – par leur orthographe et par le champ sémantique auxquels ils appartiennent. Ces mots directement issus du français sont fréquents dans le vocabulaire des arts, de la décoration, la mode et la gastronomie. Mais de manière générale, savoir quels mots viennent plutôt du français que du portugais nécessite de connaître l’étymologie des mots en question.

Par quels chemins des mots français sont-ils entrés dans le portugais du Brésil ?

La plupart des gallicismes que l’on trouve dans le portugais du Brésil sont également présents dans le portugais parlé au Portugal, puisque ces mots français sont arrivés au Brésil via le Portugal. La venue de la famille royale du Portugal au Brésil colonial apporta les coutumes suivies de la Cour Portugaise et ces coutumes étaient françaises ! Les échanges commerciaux entre le Portugal, la France et le Brésil ont été rendus possibles grâce à des décrets signés par la monarchie nouvellement arrivée.

Le cas de la Maison Garraux, ouverte en 1860, illustre bien l’existence de ces échanges commerciaux. Des produits importés d’Europe y ont été vendus pendant trente ans. Les familles riches admiraient les vitrines et achetaient les produits directement venus de France, tel le maquillage et le rouge [ndlr. fard de couleur rouge], des morceaux de mousseline, le taffetas et l’organdi, ainsi que des vêtements comme le peignoir, le soutien-gorge, le cache-col, le maillot, les jupes plissées et la lingerie.

A la faveur de quels événements des mots français sont-ils entrés dans le portugais parlé au Brésil ?
Nombreux sont les événements qui ont favorisé le contact entre les deux langues et cultures. Nous pouvons commencer par l’année 1555 avec l’arrivée de l’explorateur Nicolas Durand de Villegagnon à Rio de Janeiro, pour réaliser le rêve de la création de la France Antarctique. Au début du XIXe siècle, c’est la Mission Artistique Française, un groupe d’artistes mené par Joachim Lebreton, qui a changé le panorama des Beaux-Arts dans notre pays. La Révolution Française et la pensée des Lumières ont joué un rôle dans l’accès à notre Indépendance et la création de notre Constitution actuelle.

La Belle Epoque est arrivée au Brésil vers 1889 et a modifié notre architecture, notre mode et nos coutumes. A cette époque, l’influence de la France a été très importante. Les membres des classes supérieures se rendaient à Paris une fois par an. Pour ceux qui restaient au Brésil, il était possible d’être au fait des nouveautés grâce à la revue Fon-Fon, publiée de 1907 à 1958. Dans cette revue, les Brésiliens, principalement ceux de Rio de Janeiro et de São Paulo, pouvaient lire des articles publiés en français sur tout ce qui se passait dans l’Hexagone.

Au XXè siècle, les années 30 ont été marquées par l’arrivée d’intellectuels français ayant pour objectif la création de l’USP (Université de São Paulo). Jusque dans les années 50, la France a grandement influencé la culture brésilienne. Comme nous pouvons le voir, la France a joué un rôle important dans la construction de l’identité brésilienne dans les champs politique, économique, social et culturel. Chacun des événements dont j’ai parlé a apporté dans ses bagages (bagagem, voici un autre gallicisme) des expressions et mots français que nous avons assimilés. Comme l’a dit le poète Horace, “Verba sequuntur rem”, "les mots suivent la chose". 


Comment s’est faite l’appropriation de ces mots ?
On observe plusieurs cas d’assimilation des unités lexicales :
▪    certaines unités lexicales ont deux orthographes, à savoir l’orthographe d’origine française et l’orthographe adaptée au portugais. C’est le cas du mot “toilette”, que l’on trouve écrit dans son orthographe française mais aussi dans l’orthographe portugaise, “toalete”. D’autres exemples incluent “boîte” et “boate”, “ballet” et “balé”, “atelier” et “ateliê”.
▪    d’autres gallicismes ont entièrement été adaptés et sont uniquement employés dans l’orthographe du portugais du Brésil, comme c’est le cas de “marrom”, “baguete”, “chofer”, “tricô”, “maiô”, “guidão”, “carnê”, “guichê”, “garçom”, “purê”, etc.


▪    les cas intéressants sont ceux où le mot emprunté est employé au Brésil dans un sens différent de la signification originale du français. Au Brésil, le mot “couvert” désigne une entrée, un hors-d’œuvre. Autre exemple, “bâton”, qui à l’origine désigne un objet de forme cylindrique, a vu son orthographe changée en “batom” et désigne le bâton de rouge à lèvres.

Aujourd’hui, comment sont perçus ces mots par les Brésiliens ?
Comme on a pu le voir, les mots d’emprunt au français sont entrés dans le portugais du Brésil il y a longtemps et ont subi des adaptations. Seuls les locuteurs attentifs reconnaissent qu’il s’agit de gallicismes lorsqu’ils en trouvent. La majorité des locuteurs ne se rend pas compte que des mots aussi fréquents que “garçom”, “à la carte”, “crochê”, “suvenir”, “maionese”, “buquê”, “rechô”, “reprise” et de nombreux autres sont d’origine française.

Qu’indique la sélection des mots français entrés dans le portugais du Brésil ?
L’emprunt de mots d’origine étrangère est un phénomène sociolinguistique. C’est rarement l’absence d’un mot dans une langue qui est à l’origine d’un emprunt. Une des raisons pour laquelle une langue importe des mots étrangers est le prestige que la langue étrangère et ses locuteurs exercent sur la langue réceptrice. Prenons le mot “sutiã” (soutien-gorge): il existe un équivalent en portugais, “porta-seios”, mais ce terme n’a jamais été utilisé.

Les échanges politiques, culturels et commerciaux sont une autre raison. La mondialisation a largement contribué à cet échange lexical et même influencé certaines structures grammaticales (voir ci-dessous). C’est une constante dans le monde entier et le Brésil ne fait pas figure d’exception.

A-t-on une idée du nombre de mots français entrés dans le portugais du Brésil ?
Il n’existe pas encore d’étude systématique qui pourrait fournir cette information. Cependant, certains linguistes estiment que 15% de la langue portugaise seraient formés par des unités lexicales provenant du français.

Propos recueillis par Anahide MERAYAN 
Quelques exemples de structures grammaticales influencées par le français (explication de Rosa A. Bottosso Passo)
- Utilisation de certaines prépositions : falar ao telefone vs. falar no telefone (parler au téléphone). 
Des spécialistes, dont fait partie Napoleão Mendes de Almeida, affirment que l’utilisation de la préposition à au lieu de emno ou de est le résultat de l’influence du français.

- Ordre des mots : terminada a conferência vs. a conferência terminada (la conférence terminée). 
La forme nominale du verbe qui, en principe, se place avant le substantif en portugais se retrouve souvent après, sous l’influence du français.

- Utilisation de certaines expressions : ter lugar vs. acontecer (avoir lieu)
. Ter lugar est un calque du français exprimant le acontecer portugais.

- Utilisation de certains suffixes : garçonete, chacrete, caderneta, camiseta
. Toujours d’après Napoleão Mendes de Almeida, les suffixes ete et eta ont également été introduits dans la langue portugaise grâce au français.

[Source : www.lepetitjournal.com]

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