Ce roman, écrit avant tout par
un journaliste reporter, se lit effectivement comme une brillante enquête
approfondie de la société danoise et frappe par son aspect très réaliste et
sérieux, sans concession, plutôt critique mais vraiment convaincant.
Applicable à de nombreux pays
riches, cette histoire sombre, parfaitement maîtrisée, conduira certainement le
lecteur à examiner de plus près la manière dont, en tant que citoyen, il se
positionne face à la venue d'étrangers au sein de son pays, quelle place il est
prêt à leur accorder, quel intérêt et quelle crédibilité il accorde également
aux médias face à ce sujet et comment les politiques peuvent se positionner,
entre démagogie et nationalisme démesuré, voire abject.
Tout commence un soir de juin,
doux et lumineux, un soir où les étudiants sortent nombreux fêter leur
baccalauréat et leur entrée dans le monde adulte. Un soir où la jeunesse est
heureuse, se sent libre et disposée à s'amuser. Que l'on soit Danois de souche
ou d'adoption, la fête se concentre essentiellement en boîte de nuit, là où les
premières rencontres amoureuses peuvent naître.
Aussi, dans la file d'attente,
on peut croiser indifféremment Julie, Zaki, Kamal ou Muddi. Mais face à Micky
Madsen, videur de la boîte et « bon père de famille » danois,
tout le monde n'est pas semblable et certains doivent patienter plus longuement
que d'autres pour espérer pénétrer dans la discothèque.
« Il faut que vous
attendiez un peu. Il y a trop de garçons à l'intérieur […] Donne moi juste un
quart d'heure, ceux qui entrent sont des habitués […] C'est plein là-dedans
pour le moment, il faut attendre que d'autres sortent […] On verra dans un
quart d'heure… », répète inlassablement Micky au groupe de jeunes
immigrés qui souhaite entrer, jusqu'à ce que, après une heure et demie
d'attente, le sentiment d'injustice ressenti par Zaki se manifeste
à travers un geste de violence aux conséquences tragiques.
« Le sentiment
d'injustice généra en lui cette force qu'il redoutait, mais au lieu de la
combattre, Zaki la laissa monter, jusqu'à ce que sa plus petite veine, son plus
petit muscle, soient gonflés de fureur et d'adrénaline ».
Le videur est malmené,
rétorque avec virulence et meurt, accidentellement.
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Olav Hergel |
Commence alors un acharnement
médiatique envers les immigrés, pris dans une globalité, qui va engendrer des
haines nationalistes et plonger la ville dans une série d'émeutes, prêtes à
embraser les quartiers sensibles. La réaction des politiques, tardive et
rarement à la hauteur, hypocrite et élaborée uniquement à des fins
électoralistes, calme rarement les esprits et semble bien vaine, sous la plume
de l'auteur.
Seule une journaliste courageuse,
Rikke Lyngdal (déjà héroïne de son précédent roman) prend le temps d'écouter
toutes les parties, de vérifier ses sources et de publier une version
divergente, au risque de se voir malmener par sa direction, l'opinion manipulée
et le parti politique en place. « Elle ne devenait pas l'amie de ses
sources, mais restituait leurs points de vue […] Elle n'est pas assez critique
à l'égard des musulmans, disait-on, et on trouvait des gens pour remettre ses
articles en question. »
La force de ce roman est de
dresser un portrait très nuancé des immigrés et réfugiés au Danemark, de
décrire avec précision et lucidité l'hétérogénéité de la société danoise, de ne
pas adopter une vision lisse et simpliste, mais en restant toutefois très critique
à l'égard de la politique actuelle du Danemark et d'une certaine presse à
scandales, qui ne vise que rentabilité et complaisance envers un parti et un
lectorat, sans se soucier de déontologie.
Le résultat est
éloquent, hyperréaliste, tellement proche de nos sociétés occidentales, qu'il
dérange notre esprit, interroge sur notre sincérité, nous confronte sans
ménagement à notre tolérance, notre capacité d'accueil vis-à-vis de l'étranger.
Un roman utile, éveilleur de conscience. A diffuser largement.
Par Cécile
Pellerin
[Source :
www.actualitte.com]
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