Malgré
cinquante ans d'" arabisation ", le français est plus omniprésent que
jamais
Le " butin de guerre ", cher au grand écrivain algérien Kateb Yacine, qui décrivait ainsi la langue française au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, a été bien conservé.
Journaux, affiches publicitaires, enseignes commerciales, jusqu'aux commentaires des matches de football sur les radios, ou dans les conversations, où il se mélange parfaitement à l'arabe parlé, le Français est partout présent dans les rues d'Alger.
La capitale s'apprête à accueillir dans l'effervescence le président François Hollande, en visite d'Etat les 19 et 20 décembre, quelques jours avant la fin de l'année du cinquantenaire des accords d'Evian.
Pas une langue officielle, mais pas tout à fait non plus une langue étrangère, le français a suivi, ici, tous les bouleversements de la société. Autrefois réservée à quelques privilégiés durant les cent trente années de colonisation, la langue de Molière s'est paradoxalement développée... après l'indépendance.
A l'abri des turbulences
Alors que l'Algérie n'est que membre observateur de l'Organisation internationale de la francophonie, une étude, en 2008, estimait à un tiers le nombre d'Algériens sachant lire, écrire et parler en langue française. Certes, cette dernière s'est trouvée aux prises avec un conflit idéologique et la généralisation de l'enseignement arabe décrétée dans les années 1970 et 1980. " C'était des batailles homériques dans les facs entre les francophones, dont je faisais partie, et les arabophones, qui nous délivraient des certificats de trahison ", se souvient Salim Rabia, journaliste.
Malmenée pendant la décennie de repli sur soi, lors de la guerre civile qui a opposé l'armée algérienne aux islamistes, le français a pourtant refait surface. Les tentatives d'infuser l'anglais n'ont pas détrôné sa prééminence. " Dans les entreprises privées, les entretiens d'embauche se déroulent en français, et la première question est : maîtrises-tu cette langue ? ", rapporte Maaga Saïda, 23 ans, rencontrée dans la jolie petite cour de l'Institut français d'Alger. Ses études en droit des affaires achevées, la jeune femme a rejoint les 11 065 étudiants ou salariés inscrits en 2012, moyennant la somme non négligeable de 12 000 dinars (110 euros) pour une cinquantaine d'heures de perfectionnement, dans l'un des cinq instituts français d'Algérie qui ont rouvert en 2008. A cette date, ils n'étaient alors que 4 571.
" En
quatre ans, le nombre des inscriptions a plus que doublé ", constate
Fabrice Ribert, directeur du département des langues. Dix ans après la reprise
des cours au lycée international Roland-Dumas d'Alger, c'est au tour de l'école
primaire française d'avoir, pour la première fois en 2012, accueilli ses premiers jeunes élèves dans le
quartier Dely Brahim. " Un rapport apaisé à la langue française ",
titrait, vendredi 14 décembre, le quotidien francophone El Watan, soulignant la
distance, de plus en plus grande dans la population, avec la perception de la " langue du colonisateur ".
Dans le très
beau texte Au large de la langue française paru en 2008 dans la presse, la journaliste
arabophone Zineb Kobbi a raconté comment les violences commises par les soldats
français sur sa mère et sa soeur, lors de la guerre d'indépendance, l'avaient tétanisée
vis-à-vis de cette langue " étrange " : " J'ai entendu un jour
sur une radio française l'histoire d'une fille de résistants qui ne supportait
pas l'allemand, car cela évoquait de sombres heures d'effroi et d'incertitude.
(...) Je comprenais ce qu'elle éprouvait."
Aujourd'hui,
Zineb parle français et le traduit. Le " butin " a fructifié. A
l'abri des turbulences de la relation franco-algérienne et des débats sur la
" repentance ".
Isabelle
Mandraud
[Source :
www.lemonde.fr]
Sem comentários:
Enviar um comentário