Et ce ne sont pas de babillages
Qui connaît le traducteur de Oui-Oui ? Ou encore celui de Super-Charlie,
l'album jeunesse de Camilla Läckberg ? Grand silence dans la salle... Et
pourtant, sans lui, votre bout de chou ne pourrait vraiment pas lire son album jeunesse, à
moins qu'il soit doté d'une sensibilité précoce aux langues étrangères. La
journée panorama de la littérature pour la jeunesse, organisée par la SGDL, la
Charte et l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF), a réservé
une table ronde à ces travailleurs de l'ombre.
C'est la
base : « trouver l'écriture la plus en
adéquation avec le texte d'origine », et personne ne devrait contester
l'affirmation de Cécile Térouanne, directrice éditoriale aux Éditions Hachette Jeunesse.
Mais la traduction des albums jeunesse dresse une nouvelle exigence pour celui
qui s'y attelle : « Pour chaque phrase, c'est un
vrai cas de conscience »
confie Rose-Marie Vassallo, auteure et traductrice. «Les enfants vont apprendre par
coeur les albums, et donc « ce » français que nous y injectons » poursuit-elle.
De gauche à droite : Lim
Yeong-Hee, Cécile Térouanne, Rose-Marie Vassallo, Emmanuèle Sandron
Si
les albums jeunesse renferment moins de texte à traduire qu'un roman,
l'exercice n'en reste pas moins difficile, voire rendu un peu plus ardu par
l'âge des lecteurs : les références culturelles devront être adaptées, ou bien
expliquées à un jeune public, sans se reposer sur les notes de bas de page...
Lim Yeong-Hee en sait quelque chose, elle qui traduit régulièrement du coréen
au français, et vice-versa. « Je suis traversée de conflits
internes » s'amuse
Emmanuèle Sandron, qui jongle entre France et Belgique (y compris le schisme
Flamands/Wallons) dans ses traductions.
Tout
torturé qu'il soit, le traducteur doit tisser des liens avec les maisons
d'édition pour s'assurer une activité régulière : une fiche de lecture,
composée d'un résumé de 40 lignes, de commentaires stylistiques et d'un
échantillon de traduction constitue le passage obligé qu'il convient de faire
parvenir à une maison d'édition. La
rémunération, s'il y en a une, varie selon les éditeurs : dans l'ensemble, tout
le monde admet qu'elle reste médiocre si elle n'est pas suivie par une
traduction complète.
En cas de
collaboration fructueuse, l'éditeur pourra compter sur le traducteur pour que
celui-ci devienne un « apporteur » : au fait de l'actualité éditoriale
à l'étranger, un traducteur pourra devenir une sorte de boussole aux ouvrages
de qualité. « Je ne sais même plus quand je
suis apporteur, souligne
Emmanuèle Sandron, cela se fait naturellement, et
j'apporte sans m'en rendre compte. » Les éditeurs, comme le précise Cécile Térouanne,
s'échangent entre eux les fiches de lecture, et donc les traducteurs.
Ensuite, après traduction, il est rare que l'auteur
exige des modifications au texte, mais il dispose toujours d'un droit de
regard. Rose-Marie Vassallo, qui dispose d'un double point de vue d'auteure et
de traductrice, concède que le passage d'une langue à l'autre est parfois
douloureux : « Vous jouez avec les temps de la
langue française et... Paf ! Tout au prétérit dans la version anglaise... » Les droits des traducteurs, tout
juste reconnus, seront parfois source de conflits, à la manière de « Fifi
Brindacier »,
longtemps déposé, ou des Hauts de Hurlevent,
un titre que Hachette n'a pas pu utiliser pour sa nouvelle traduction de Wuthering Heights.
Quelques licences, particulièrement tatillonnes, comme
Star Wars ou Naruto, exigent même une double traduction : le texte adapté devra
être à nouveau traduit dans sa langue d'origine pour vérifier si les écarts ne
sont pas trop importants. Quand on parle de traduction, la création
n'est pas loin, mais la trahison reste une peur persistante.
Par Antoine Oury
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