quarta-feira, 31 de janeiro de 2018

Les sombres et troublants arrière-plans de «Wonder Wheel», le nouveau Woody Allen

Pris dans le grand bouleversement #MeToo, le nouveau film du new-yorkais semble décalé: un plaisant vaudeville d'époque délibérément en mode mineur.

Ginny (Kate Winslet) mère, épouse, serveuse, qui avait rêvé d'une autre vie. (©Mars Films)

Écrit par Jean-Michel Frodon 

Un fétu de paille pris dans un maelström. Impossible désormais de parler et d’écrire à propos du nouveau film de Woody Allen indépendamment des débats liés à l’immense mouvement en faveur des droits des femmes enclenché par l’affaire Weinstein. C’est comme ça.

Ce qui reste possible est de voir le film. Le voir, c’est découvrir une œuvre très représentative d’une tendance du cinéma de l’auteur de September et de Whatever Works, à savoir un film volontairement en mineur, qui pourrait être un huis clos sur une scène de théâtre ou une dramatique télé comme Allen en a tournée jadis (Don’t Drink the Water).
À cette aune, son 47e long métrage est une réussite, modeste et subtile, grâce à l’usage de la voix off (depuis longtemps un des talents les plus aiguisés du réalisateur de Manhattan) et à une interprétation impeccable, où on distinguera particulièrement la présence très émouvante de Kate Winslet, qui tient avec les honneurs un rôle qui, il y a quelques années, aurait pu être confié à l’immense Gena Rowlands.
Mickey (Justin Timberlake), le séduisant maître-nageur qui rêve d'une carrière d'auteur dramatique. 
(©Mars Films)

Dans le cadre par définition artificiel du parc d’attraction de Coney Island dans les années 1950, un vaudeville doux-amer se noue entre un couple de cinquantenaires cabossés par l’existence, Ginny et Humpty (Jim Belushi qui s’occupe d’un manège, Kate Winslet serveuse dans un bar à huîtres), Mickey le sémillant maître-nageur (Justin Timberlake) et Carolina (Juno Temple), la fille du mari débarquée inopinément, avec un contrat de la mafia sur le dos et tous ses avantages naturels bien en avant.
     Menacée de mort, Carolina (Juno Temple) débarque à Coney Island. (©Mars Films)

     
À quoi s’ajoute un gamin qui évoque le gosse de Radio Days, et l'enfance du personnage joué par Allen dans Annie Hall, figure la plus évidente du réseau de références à son propre cinéma qui est de longue date un des charmes des films du prolifique cinéaste new-yorkais.

Le contexte Weinstein/#MeToo

Des critiques américains avaient pointé lors de la présentation du film aux États-Unis le parallèle entre le fait que le séducteur maître-nageur délaisse sa liaison avec la femme d’âge mûr pour tomber amoureux de la fille du mari de celle-ci et le fait que Woody Allen lui-même avait délaissé Mia Farrow pour vivre avec la beaucoup plus jeune Soon-yi, fille adoptive de Mia Farrow, et désormais son épouse depuis vingt ans.
Bien qu’ayant connaissance de ces articles, dont celui du New York Times, on avouera n’avoir jamais songé à faire ce rapprochement pendant la projection. Par ailleurs, on se gardera bien d’émettre un jugement moral sur les choix affectifs de personnes majeures et saines d’esprit.
Il en va autrement des actes de pédophilie dont le réalisateur est accusé par sa fille adoptive Dylan Farrow, et qu’elle est venue redire lors d’une émission sur la chaine CBS le 18 janvier. Est-ce vrai, comme elle le dit, soutenue par l’avocat Ronan Farrow, le fils de Mia et Woody qui a joué un rôle central dans la mise à jour de l’affaire Weinstein? Est-ce faux comme l’affirment Woody Allen et aussi Moses Farrow, autre fils de Mia? L’auteur de ces lignes n’en sait évidemment rien.
Tout juste peut-on rappeler trois points.
1) Un grand artiste n’a pas plus à être exonéré des crimes et délits qu’il aurait commis que qui que ce soit.
2) Deux commissions d’enquête indépendantes avaient, à l’époque des premières accusations, conclu qu’elles n'étaient pas de nature à permettre une action en justice. 
3) Il a été très fréquent que des femmes ayant été victimes d’abus et de violences ne voient pas leurs droits reconnus.
Avec ça, on n’est pas beaucoup plus avancés, et certainement pas en mesure d’émettre une condamnation ni un acquittement, juste de rappeler qu’on n’est pas une instance judiciaire.

Regarder ou pas?

La question suivante est: suis-je capable de regarder un film sans y projeter des éléments de contexte, liés aussi bien à mon histoire personnelle qu’aux événements publics? La réponse est assurément: non, jamais, en aucun cas, et un critique pas plus qu’un autre spectateur.
Ginny, la femme qui rêve, et Richie (Jack Gore), son fils pyromane. (©Mars Films)

Next question: dans ce cas particulier, et en tenant compte de la réponse précédente, suis-je néanmoins capable d’accueillir une réalisation signée Woody Allen, Woody Allen désormais, justement ou injustement, une des figures en vue dans l’immense mouvement de mobilisation en faveur du droit des femmes et contre les pratiques machistes que structurent la société, sans qu’elle interfère massivement avec ma vision du film?
La réponse appartient à chacune et chacun en son for intérieur. Je ne peux répondre ici que pour moi-même: oui, je le peux.
Ceux qui répondront par la négative passeront leur chemin et, comme c’est bien leur droit, critiqueront ceux qui répondent oui. Ils ne verront pas un film pourtant plus étrange qu’il ne semblait, et bien plus sombre.

L'enfant incendiaire

Wonder Wheel est un film sur la folie. La «folie douce» de chacun, qui se rêve autre chose que ce qu’il est –la «douceur» n'étant que la manière lénifiante, ou résignée, de désigner la négociation permanente entre l’image qu’on se fait de soi-même et son véritable environnement quotidien.
Mickey, Ginny et Carolina sous la menace imaginaire (le cinéma) et mortelle (des tueurs rôdent) matérialisée par l'affiche de Winchester 73,
récit d'une poursuite impitoyable et fratricide.
Dans la bizarre maison de bois sous la grande roue ou sur la plage où se délassent les New-yorkais des classes populaires, les protagonistes vivent entre la banalité de chaque jour et un fantasme, fantasme comme souvent chez Allen lié au monde du spectacle, fantasme auquel renvoie le titre du film.
C’est aussi, même traitée avec une désinvolture qui est une forme d’élégance, ou de stylisation, un film où la mort rôde, et frappera.
C’est enfin un film à la structure dramatique complexe, sous son apparente simplicité de vaudeville nostalgique. La véritable figure centrale du récit, bien qu’il semble secondaire, est sans doute le petit garçon, Richie, le fils de Ginny passionné de cinéma mais surtout obsédé par le désir de mettre le feu partout où il le peut.
Cet enfant incendiaire, on l’a dit, est un avatar de Woody Allen lui-même, qui avait cet âge à cette époque et fut un habitué de Coney Island. Sous ses airs de film mineur, a fortiori  dans le contexte actuel, ce fragment d’autoportrait en pyromane compulsif est assurément une des dimensions les plus intrigantes de l’histoire. 
Wonder Wheel
de Woody Allen, avec Kate Winslet, Justin Timbelake, Jim Belushi, Juno Temple, Jack Gore.
Durée: 1h41. Sortie le 31 janvier 2018.





[Source : www.slate.fr]


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