sábado, 15 de abril de 2017

Les enfants du siècle

Taipei Story (1985) d’Edward Yang avec Hou Hsiao-Hsien, Tsai Chin. (Editions Carlotta films). Sortie en salles le 12 avril 2017
Les enfants du siècle
Avec Hou Hsiao-Hsien comme producteur, co-scénariste et acteur principal du film, Taipei Story pourrait apparaître comme une sorte de manifeste de la « nouvelle vague » taïwanaise. Ce deuxième film du grand Edward Yang (Yi-YiA Brighter Summer Day) est une chronique impressionniste d’un couple qui se délite. Lon est un ancien joueur de base-ball qui vivote sans véritable projet, sinon celui de s’exiler aux États-Unis où il a été faire un petit séjour. Chin est secrétaire dans un grand cabinet d’architecte mais elle perd son emploi lorsque son entreprise est rachetée.

A partir de cette trame minimaliste, Yang dresse le portrait d’une génération en plein désarroi, pris entre les derniers feux d’une tradition encore prégnante et les effets d’une modernité dont le cinéaste capte les reflets d’une manière remarquable. Le film s’ouvre sous les auspices bienveillants d’Antonioni : grands appartements vides, cadre rigoureux qui isole l’individu dans le décor, paysages urbains déshumanisés, incommunicabilité entre les êtres…

A travers le portrait de ce couple se dessine l’ambition du cinéaste : parvenir à représenter des sentiments aussi fugaces que tus. Les marques d’affection entre Lon et Chin sont très rares au point qu’on peine à savoir parfois s’ils forment vraiment un couple ou s’ils sont seulement des amis d’enfance. D’autre part, des sentiments semblent naître entre Chin et un de ses collègues de bureau, rencontre émouvante de deux solitudes tandis que Lon semble avoir renoué avec une ancienne « amie », même si rien ne sera détaillé de cette histoire.

Comme dans les films de Hou Hsiao-Hsien, Taipei Story repose sur des sentiments et actions extrêmement ténus et il faut bien reconnaître qu’il est parfois facile, la fatigue aidant dans mon cas précis, de « décrocher » à certains moments. On repère néanmoins la « patte » d’Edward Yang, cinéaste beaucoup plus « urbain » que son homologue, qui filme à merveille les effets de la modernité.

Le film repose effectivement sur une série de contrastes éclatant surtout lorsque le cinéaste confronte Chin à son père. En effet, alors que celle-ci a tout de la jeune femme moderne et indépendante (un salaire, elle a quitté le domicile familial en étant toujours célibataire…), elle subit toujours le poids de la tradition. Le temps d’une scène de diner, Edward Yang souligne parfaitement ces tensions entre les conventions d’un autre temps et la réalité du monde moderne : le père ne s’adresse qu’à Lon et n’hésite pas à prendre sans demander la cuillère de sa fille lorsque la sienne tombe à terre. Dans cette société, la femme n’a qu’une raison d’être : offrir à l’homme un descendant à sa lignée. Il est d’ailleurs frappant que le jeune homme préfère accompagner son « beau-père » pour aller boire des verres et le regarder jouer aux échecs (entre hommes), plutôt que de rester avec sa fiancée.

Cette description ne doit pas laisser entendre que Taipei Story est un film à thèse qui dessine lourdement des silhouettes destinées à illustrer un propos. Cette dimension se devine dans la trame d’un récit plutôt évanescent, qui n’assène jamais lourdement un propos.

On se laisse alors séduire par cette manière qu’a Edward Yang de capter les effets de la modernité, entre griserie et gueule de bois. Rarement on aura aussi bien filmé des paysages urbains nocturnes avec ces silhouettes un peu paumées qui se dessinent en ombres chinoises devant de grandes enseignes lumineuses, entourées par les milles néons de la mégalopole. Là encore, le cinéaste joue habilement des contrastes en montrant l’euphorie de certaines soirées (beuveries entre amis, virée en boite de nuit…) et la profonde mélancolie qui point au cœur de ces instants que l’on pourrait croire privilégiés. Ce contrepoint, Yang l’obtient soit par la musique profondément triste qui nimbe certaines scènes de bar tandis qu’un raccord sur Chin, fatiguée, la tête dans les mains, traduit parfaitement ce sentiment qu’on a tous pu connaître dans les boites de nuit, lorsque la liesse générale fait paraître encore plus lourde notre détresse et notre solitude.

Je le redis, il est possible de passer à côté des émotions très ténues avec lesquelles joue le cinéaste. En revanche, difficile de nier l’incroyable talent en devenir d’Edward Yang et la maîtrise d’une mise en scène jouant à la fois sur l’isolement et l’enfermement des personnages et la sensation volatile qu’un ailleurs est toujours possible…


[Source : drorlof.over-blog.com]

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