Formidable assemblage de formes et de couleurs, la capitale mexicaine, qui inspire architectes, urbanistes et artistes du monde entier, recèle de nombreux trésors et surprises. Qui l’arpente en compagnie de ses habitants le découvre vite : cette ville-là a beaucoup à apprendre au reste du monde.
Un terrain
de sport de la ville d'Ecatepec de Morelos, dans la banlieue nord-est de
Mexico, vu depuis le téléphérique. Photo : Mallika Vora |
Carlos Matos voudrait bien franchir la clôture. Nous sommes dans une rue qui longe la réserve naturelle rattachée au vaste campus de l’Université nationale autonome du Mexique. Derrière le grillage, d’épaisses broussailles et des arbres noueux. Une célèbre construction se cacherait quelque part au milieu de la végétation : c’est là que Carlos veut m’emmener. Le lieu, savant mélange de sculpture et d’architecture, est selon lui l’un de ceux qui incarnent le mieux l’esprit d’expérimentation qui règne dans la capitale et la place prépondérante accordée à l’esthétique. Il s’en est d’ailleurs beaucoup inspiré dans ses travaux – Carlos est architecte.
Mais la clôture est haute, le portail est verrouillé, et la réserve est de toute évidence fermée au public aujourd’hui. “Tu te débrouilles en escalade ?”, me demande Carlos.
Les dimensions d’un monstre
Avec près de 22 millions d’habitants [sur l’ensemble de la conurbation], Mexico est la cinquième plus grande ville du monde. C’est un véritable mille-feuille de bruits, de couleurs, d’odeurs, de crasse, de lumières, d’embouteillages, d’hommes et de femmes. Et après plusieurs jours dans cette immensité urbaine, la vue d’une poche de nature préservée a de quoi surprendre.
Ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans la capitale mexicaine s’imaginent souvent une ville surpeuplée, aride, noyée dans le smog, ravagée par les gangs et bétonnée jusqu’au dernier centimètre carré. Et ce n’est pas totalement faux, dans certains quartiers du moins. Pourtant plus sujette aux précipitations que Londres, Mexico fait partie des dix villes du monde les plus durement frappées par les pénuries d’eau. Cinq millions de voitures polluent l’atmosphère de cette cité perchée à 2 200 mètres d’altitude et entourée de montagnes. Le réseau de transports en commun, pourtant bien aménagé, ne dessert pas les faubourgs, où la plupart des habitants vivent dans la promiscuité.
L’écrivain mexicain Jorge Ibargüengoitia [1928-1983] a un jour décrit la ville comme un petit garçon qui grandit vite et fait la fierté de ses parents. Alors que l’enfant mesure déjà trois mètres à l’âge de 18 mois, personne n’ose rien dire. C’est seulement lorsqu’il dévore sa gouvernante un beau jour que quelqu’un trouve enfin le courage de demander à sa mère : avez-vous pensé à consulter un médecin ?
Une référence esthétique
Malgré le poids écrasant de cette énorme population, de nombreux quartiers de la capitale ont réussi à triompher des défis auxquels sont confrontées beaucoup de métropoles. Mexico a su devenir un lieu accueillant. Certains quartiers sont si verdoyants qu’ils prennent des airs de gigantesque parc, et un téléphérique ultramoderne permet de désengorger le trafic dans plusieurs secteurs densément peuplés. Les concepts d’habitat et d’espaces partagés – aussi bien en intérieur qu’en extérieur –, qui sont encore à l’état de projet à Berlin, sont déjà bien implantés dans la capitale mexicaine.
Mexico jouit également d’une renommée croissante sur le plan esthétique. Les créateurs et les architectes du monde entier s’inspirent aujourd’hui de ce savant mélange d’influences précolombiennes, baroques et modernistes, où se croisent les styles colonial et Art nouveau, et les peintures murales. Les matériaux et coloris qui font aujourd’hui fureur auprès des designers parisiens et londoniens – le béton brut, le rouge terracotta, le carrelage Terrazzo – sont utilisés depuis longtemps déjà dans la capitale mexicaine. Preuve s’il en est que la vision locale est très prisée, le Metropolitan Museum of Art de New York a confié la rénovation de son aile d’art moderne et contemporain à la jeune architecte mexicaine Frida Escobedo, au détriment [du célèbre architecte britannique] David Chipperfield.
Stimuler la curiosité
Carlos Matos, qui nous guide à travers la réserve naturelle de l’université [après que nous avons escaladé le grillage], fait lui aussi partie de ces jeunes créateurs dont les idées font sensation à l’étranger. Au détour du sentier, les broussailles s’ouvrent tout à coup et laissent apparaître un cercle d’environ 100 mètres de diamètre, formé de 64 prismes à base triangulaire en pierre, de quatre mètres de haut. Sur chacun d’eux, l’une des faces forme une sorte de rampe que l’on peut gravir pour s’asseoir sur l’arête, les jambes pendant dans le vide.
Au centre du cercle, le sol est recouvert de roches provenant du volcan Xitle, situé à quelques kilomètres de là, et quelques fleurs ont poussé sur l’étendue craquelée. Cette construction est l’œuvre d’un collectif de sculpteurs et d’architectes, parmi lesquels Federico Silva [né en 1923]. “J’aime ce genre de constructions sans finalité évidente, souligne Carlos Matos. Lorsque le portail est ouvert, les étudiants viennent ici pour lire, grimper sur les pierres, faire une sieste. Les amphithéâtres sont comme ça, poursuit-il en dessinant les contours d’une boîte carrée avec ses mains, mais cet endroit, lui, invite à la réflexion, il stimule la curiosité.”
C’est un lieu dont chaque grande ville pourrait rêver : un espace de verdure ouvert à tous, qui invite au partage et au repos. Et, cerise sur le gâteau, une œuvre d’art que l’on peut escalader en toute liberté.
Ce cercle minéral fait partie de l’Espacio Escultórico, un jardin de sculptures qui a vu le jour dans les années 1970 sur le campus de l’université, sous la direction de Mathias Goeritz, architecte allemand expatrié au Mexique [1915-1990].
La maison est un jardin, et inversement
Quelques décennies plus tôt, dans les années 1940, l’architecte Luis Barragán avait conçu non loin de là, toujours dans le sud de la ville, le quartier résidentiel Jardines del Pedregal. Barragán recherchait l’harmonie avec la nature. Dans la Casa Pedregal, par exemple, les terrasses et les sols en pierre volcanique [que les Aztèques utilisaient déjà dans leurs constructions] se confondent presque à la perfection. Les joints qui séparent les carreaux de la terrasse sont volontairement larges, pour...
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