quarta-feira, 11 de novembro de 2015

La France, paradis perdu

Cette journaliste américaine installée à Paris en brosse un portrait désabusé.

Un couloir de métro à Paris en août 2012. 
Écrit par Pamela Druckerman 
Quand je me suis installée en France, il y a douze ans, ce fut comme arriver dans un paradis légèrement hostile. D’accord, personne ou presque ne me parlait. Mais il y avait les congés maternité payés et l’école maternelle gratuite. Tout le monde ou presque semblait favorable à une réglementation stricte des armes à feu, à la contraception et à l’avortement. Non seulement tout le pays avait une couverture santé mais la plupart des immigrés sans papiers pouvaient avoir des soins médicaux et dentaires gratuits. (Hélas, les cures thermales n’étaient pas couvertes.)
J’ai en outre fini par apprécier la façon de penser des Français, telle que Sudhir Hazareesingh la décrit dans son nouvel ouvrage, opportunément intitulé Ce pays qui aime les idées : histoire d’une passion française. Comment pouvais-je résister à un pays où les rappeurs citent Rousseau, où la philosophie est obligatoire au lycée et où les gens ordinaires font valoir qu’il y a une dualité en toute chose, des vêtements au mariage ?
En tant que journaliste, je m’émerveillais de la capacité des gens pour la pensée abstraite. Quand j’ai interviewé des Parisiens sur l’infidélité, beaucoup ont commencé par me demander si par “fidélité”, j’entendais être fidèle à son partenaire ou à soi-même. Les Français sont convaincus d’avoir le devoir de penser non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour le reste du monde, écrit M. Hazareesingh.
Un pays d’immigrés
Toute cette pensée peut servir des causes admirables. Quand des centaines de milliers de réfugiés ont fui le Vietnam, à la fin des années 1970, les intellectuels français – sous la houlette de Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, qui se querellaient depuis des décennies – se sont regroupés et ont demandé au président d’apporter son aide. “Ces hommes sont en danger de mort et nous devons les aider parce que ce sont des hommes”, a déclaré Sartre lors d’une conférence de presse. Il faut dire que les intéressés fuyaient une ancienne colonie française. La France a accueilli près de 130 “boat people” originaires du Vietnam, du Laos et du Cambodge.
C’est cet apport et bien d’autres qui a contribué à faire de la France un pays d’immigrés. Près d’un quart de la population compte au moins un grand-parent né à l’étranger.
Quand des centaines de milliers de migrants se sont mis à arriver en Europe, j’ai donc supposé que la France serait accueillante à leur égard.
Un accueil insuffisant
Ce ne fut pas le cas. Le président François Hollande a déclaré en septembre que la France accueillerait 24.000 réfugiés de plus au cours des deux prochaines années. Dans un sondage réalisé après, 70 % des personnes interrogées jugeaient que c’était “suffisant” ou “très suffisant” et la moitié confiaient qu’elles refuseraient de recevoir des réfugiés dans leur ville.
Pour mettre les choses en perspective, l’Organisation internationale pour les migrations estime à 724.000 le nombre de migrants qui sont arrivés en Europe en traversant la Méditerranée jusqu’à présent. Beaucoup d’autres sont arrivés par voie terrestre. L’Allemagne s’attend à recevoir au moins 800.000 demandeurs d’asile cette année.
La France a apparemment pour stratégie de se montrer si peu accueillante que les réfugiés ne voudront pas y rester. Le camp de réfugiés qu’on appelle la Jungle compte désormais 6.000 personnes, dont la plupart souhaitent gagner la Grande-Bretagne. Des représentants des autorités se sont rendus à Munich en septembre pour ramener les premiers des nouveaux réfugiés en France mais sont revenus avec des bus à moitié vides.
Qu’est-il arrivé au pays qui pense pour le monde ?
Virage à droite
Certains intellectuels de renom ont viré à droite ou se sont exprimés contre l’accueil des réfugiés. Sartre était une star mondiale. Les penseurs d’aujourd’hui ne sont pour la plupart connus qu’en France et se produisent dans des talk-shows aux heures de grande écoute avec des actrices.
La classe politique semble avoir décidé qu’il n’y a rien à gagner d’un grand geste humanitaire. Tous les partis se durcissent vis-à-vis de l’immigration pour récupérer les électeurs du Front national.
Et il y a cette question brûlante : la plupart de ces migrants sont musulmans. 65 % des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête réalisée par le gouvernement en 2013 considéraient que les Français musulmans étaient des “Français comme les autres” ; elles étaient 80 % quatre ans auparavant.
Changé pour le pire
Je vois maintenant que la France n’a jamais été un paradis. “Votre alter pays est tout ce que le premier n’était pas, écrit l’auteur anglais Julian Barnes. Pour l’adopter, il faut de l’idéalisme, de l’amour, de la sentimentalité et une certaine vision sélective.”
Mais la France a aussi changé pour le pire. L’aimable humeur grincheuse, le “chic maussade” d’antan se sont transformés en quelque chose de plus noir : la conviction que si les gens quittent Alep et viennent ici, c’est pour se faire soigner les dents gratuitement, l’impression que la France ne peut les aider davantage – bien qu’elle soit la sixième économie du monde.
Désormais, les Français semblent même mécontents d’être devenus si négatifs. S’ils considéraient les réfugiés d’un point de vue positif, ils se sentiraient probablement revigorés. En l’état actuel des choses, la France ne peut plus prétendre avoir un message universel. Ce n’est qu’un pays imparfait, ordinaire, qui pense surtout pour lui-même. 

[Photo : @LAIN G, LE RETOUR !/FLICKR/CC - source de l'original The New York Times - New York - publié sur www.courrierinternational.com]

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