"Si professionnaliser le Salon signifie faire payer les professionnels, alors il y a un problème"
Exclusif :
Les rencontres de la traduction sont devenues un rendez-vous
traditionnel du Salon du livre de Paris. Instaurée en 2011, c'était
originellement une journée unique, consacrée à la traduction et aux
traducteurs, apportant un éclairage particulier sur cette activité
centrale dans l'édition. Réunissant en moyenne 450 personnes, la
quatrième édition de ce rendez-vous sera cette année boycottée par
l'Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) et la Société
française des traducteurs (SFT).
En 2014, le Salon du livre de Paris
inaugure pour la première fois deux journées, les 22 et 23 mars,
consacrées à ces rencontres. « Organisées en collaboration
avec l'Association des Traducteurs Littéraires de France, le programme
des rencontres mettra le métier en lumière dans le vaste processus
éditorial, littéraire, culturel et pédagogique », peut-on lire.
Mais l'ATLF et la SFT « ont décidé de ne pas participer à cet événement »,
expliquent Laurence Kiéfé, présidente de l'ATLF et Graham MacLachlan,
président de la SFT. En effet, la société Reed Expositions « voulait faire une manifestation payante », provoquant le retrait des deux organisations.
« L'ATLF et la SFT regrettent vivement cette situation
et espèrent qu'un accord sera trouvé pour que cette manifestation
puisse reprendre, l'an prochain, sur ses principes originels, en
concertation avec les traducteurs professionnels », précisent-elles.
Pour Graham MacLachlan, la SFT « a voté à l'unanimité
le soutien à la décision de l'ATLF. Les précédentes journées ont
toujours été organisées gratuitement pour les participants. On ne
comprend pas la décision de Reed que de changer cette formule. Deux
journées, ce sont plus de tables rondes, mais on ne peut pas demander
aux participants de payer pour y assister ».
Olivier Mannoni, ancien président de l'ATLF, qui avait
participé avec Juliette Joste à la création des premières Rencontres, en
2011, se dit « interloqué ». Selon lui, cette décision de rendre les Rencontres payantes « n'est
ni dans l'esprit de ce qui avait été pensé au démarrage, ni même dans
ce que l'on peut attendre de l'esprit du Salon. Nous souhaitions
organiser des rencontres professionnelles, comme cela pouvait se
retrouver à Francfort [NdR : Foire du livre particulièrement importante
en Europe]. Je suis étonné que l'on assiste à un pareil revirement ».
Aujourd'hui, Olivier Mannoni dirige l'Ecole de Traduction Littéraire, créée par le Centre national du livre. « Nous serons concernés, oui, assez directement, puisque l'École devait participer à ces rencontres. »
"C'est
tout de même une vilaine ironie que d'organiser deux journées
consacrées aux conditions de travail des traducteurs, et de leur
demander de payer pour y assister."
De son côté, Laurence Kiéfé regrette cette volonté des organisateurs du Salon « de
vouloir rentabiliser le succès des précédentes journées. Comment
expliquer au Conseil d'administration de l'ATLF, qu'il allait falloir
payer pour assister à ces deux journées, alors même que l'ATLF les
organise ? » C'est que, dans la chaîne éditoriale « nous ne
sommes pas les plus dorés : si la reconnaissance symbolique est
meilleure, économiquement et financièrement, c'est de plus en plus
difficile pour les traducteurs ».
Et d'ajouter : « Reed Expo a accepté de revoir à la
baisse les tarifs initialement proposés. Nous étions arrivés à 45 € sur
les deux journées, pour les personnes membres de l'ATLF. Mais avec
l'approche du Salon, nous avions de moins en moins de temps pour
négocier. Il fallait prendre une décision rapidement. »
Évidemment, professionnaliser le Salon du livre de Paris, est une intention louable. « Il
existe ces rencontres professionnelles à Francfort, mais c'est une
foire internationale. Paris, cela reste cette ‘grande librairie', où
l'on peut retrouver des instants consacrés aux professionnels. Mais si
professionnaliser le Salon signifie faire payer les professionnels,
alors il y a un problème. »
Cependant, les débats et animations concernant la
traduction se dérouleront bien sur le stand de l'ATLF, à la Place des
auteurs, ainsi que dans l'espace du Centre national du livre. Pourtant,
chez les traducteurs eux-mêmes, on grince des dents. « C'est tout de
même une vilaine ironie que d'organiser deux journées consacrées aux
conditions de travail des traducteurs, et de leur demander de payer pour
y assister. Soit Reed méconnaît complètement la situation des
traducteurs, soit ils ignorent volontairement la réalité économique, qui
n'a pas vraiment changé, et a même empiré. »
Nous avons sollicité la société Reed, et mettrons cet article à jour.
Mise à jour 14h30 :
Sollicité par ActuaLitté, le Salon du livre annonce l'annulation des deux journées consacrées aux Rencontres de la traduction.
Écrit par Nicolas Gary
[Photo : CC BY SA 2.0 - source : www.actualitte.com]
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