1943, Italie. Pendant la guerre, dans un hôpital de Rome,
une étrange épidémie fait des ravages, au point qu’un service lui est dédié.
Et qu’elle tient les nazis à distance.
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L’hôpital Fatebenefratelli, fondé au XVIe siècle, sur l’Île Tibérine. À gauche, la synagogue du ghetto. |
Écrit par Francesco
Buscemi
Derrière les portes closes de
l’hôpital Fatebenefratelli de Rome, un service est submergé par des patients
atteints du syndrome K. Cette nouvelle maladie, inconnue – dont le nom
évoque le bacille de Koch (la tuberculose) –, fait fuir les soldats allemands
habituellement chargés de perquisitionner l’hôpital à la recherche de Juifs, de
partisans et d’antifascistes. Redoutant d’être contaminés, les nazis n’osent
pas pénétrer dans le service et poursuivent leurs recherches ailleurs.
[Cela ne fait pas longtemps, en cette fin de 1943, que] des patients hospitalisés chez qui on a diagnostiqué le syndrome K sont placés dans ce service. [Peu avant,] le 16 octobre, les nazis ont ratissé le ghetto juif et d’autres quartiers de Rome, puis déporté plus de 1 200 Juifs (seule une quinzaine d’entre eux reviendra des camps). Depuis cette date, les médecins et les moines de l’hôpital accueillent de plus en plus de patients. Des patients qui, en réalité, sont des fugitifs. Car le syndrome K n’existe pas.
Un centre de résistance
politique dans la capitale italienne
Il
a été inventé par Giovanni Borromeo, le médecin-chef de l’hôpital, avec l’aide
de ses collègues, dans l’intention de sauver les Juifs et les antifascistes
venus se réfugier dans leur établissement. Né en 1898, Borromeo est un opposant
déclaré au fascisme. Avant de prendre ses fonctions au Fatebenefratelli, il
s’est vu offrir le poste de médecin-chef dans deux autres hôpitaux, mais a
refusé à chaque fois car il aurait dû pour cela devenir membre du Parti
national fasciste. Il a accepté de travailler au Fatebenefratelli parce que
cette institution est tenue par des moines catholiques et que, conformément à
un accord entre l’Église et le régime fasciste, elle est considérée comme un
hôpital privé, non soumise aux réglementations de l’État. Ses employés ne sont
pas contraints d’appartenir à un parti politique.
Sur
place, Borromeo recrute de nombreux médecins victimes de discriminations de la
part du régime pour diverses raisons. Parmi eux se trouve le médecin juif
Vittorio Emanuele Sacerdoti, qui a réussi à cacher quelques rescapés de la
rafle du 16 octobre dans l’enceinte de l’hôpital. Dans les mois qui
suivent, ce dernier devient un centre de résistance politique.
D’ailleurs,
la résistance antifasciste au Fatebenefratelli ne se limite pas au syndrome K.
En collaboration avec les moines, Borromeo et ses alliés installent un émetteur
radio dans l’hôpital et s’en servent pour communiquer avec les partisans afin
de mieux organiser la lutte. Quand Borromeo et les moines s’aperçoivent que les
nazis ont repéré l’emplacement de l’émetteur, ils jettent tout le matériel dans
le Tibre.
L’hôpital n’échappe pas
aux perquisitions
Situé
sur l’île Tibérine, le Fatebenefratelli éveille les soupçons de la hiérarchie
nazie par sa proximité avec le ghetto. [À la fin d’octobre 1943,] Borromeo et
ses collègues savent que les Allemands vont inévitablement venir
perquisitionner leurs locaux. Dans les documents officiels, on indique alors
que les Juifs hospitalisés (et d’autres patients “politiques”) souffrent du
syndrome K. Ce nom est une plaisanterie, mais qui pourrait se révéler
risquée : Borromeo a baptisé K sa maladie imaginaire en référence soit à
Albert Kesselring, soit à Herbert Kappler. Kesselring est le commandant en chef
du groupe d’armées C, qui tient le front italien. C’est lui qui ordonnera à
Kappler, chef de la police nazie à Rome, de commettre le massacre des Fosses
ardéatines, qui, le 24 mars 1944, coûtera la vie à 335 civils
italiens. Les deux hommes seront jugés et condamnés pour crimes de guerre après
le conflit.
L’expression
“syndrome K” ne tarde pas à devenir un nom de code pour les gens cachés dans
l’hôpital. Adriano Ossicini (qui deviendra ministre de la Famille et de la
Solidarité sociale dans les années 1990) est de ceux qui envoient
régulièrement des messages à Borromeo afin de réclamer qu’un nombre précis de
lits soit réservé pour des patients atteints du syndrome K devant arriver
prochainement. L’hôpital accueille des réfugiés jusqu’à la libération de Rome
par les Alliés (le 5 juin 1944).
Pietro
Borromeo, le fils de Giovanni, a depuis raconté que, comme attendu, à la fin
d’octobre 1943, les nazis ont donc perquisitionné le Fatebenefratelli, à
la recherche de Juifs et d’antifascistes. Son père leur a fait visiter
l’hôpital et leur a décrit en détail les terribles effets du syndrome K sur les
victimes. Puis il les a invités à inspecter le service. Les nazis, accompagnés
d’un médecin, ont refusé et sont partis sans demander leur reste.
Un acte de résistance spontané
Il
existe diverses versions de l’incident, mais toutes confirment que le syndrome
K a bien été inventé. Si le fils de Borromeo, Pietro, affirme que toute
l’affaire s’inscrivait dans une campagne planifiée et systématique de lutte
contre le fascisme, Ossicini et Sacerdoti, eux, estiment qu’il s’agissait
surtout d’une improvisation, d’un acte de résistance aussi spontané que
désorganisé face à la dictature.
Une chose est sûre, le syndrome K a maintenu les nazis loin des “patients”, et
cette maladie fictive a sauvé bien des vies. Le courage de Borromeo a été salué
en Italie comme au niveau international. En 2004, longtemps après sa mort en
1961, Yad Vashem, le mémorial israélien dédié aux victimes de la Shoah,
lui a décerné le titre de “juste parmi les nations”, attribué aux gentils qui
ont risqué leur vie pour sauver des Juifs durant l’Holocauste. L’histoire du
syndrome K met aussi en lumière l’ambiguïté du rôle joué par l’Église
catholique sous le fascisme : elle préférait souvent fermer les yeux sur
ce qui se passait dans l’Italie de Mussolini, mais soutenait aussi parfois la
lutte contre la tyrannie.
[Photo : robertharding / Alamy Stock Photo – source : www.courrierinternational.com]
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